par Alain Lamassoure, le vendredi 14 janvier 2011

"Une union sans cesse plus étroite". Il aura fallu la crise de 2008-2010 pour montrer combien ce mantra de chaque traité européen s'est transformé en réalité concrète.


Les banques anglaises étaient exposées au risque irlandais autant que les françaises au risque grec.

La prime à la casse allemande a généré des emplois en Roumanie et des bénéfices en France. L'énorme excédent commercial de l'Allemagne trouve sa source dans la sous-compétitivité de ses partenaires européens autant que dans la vertu germanique.

La crise outre-Manche a fait chuter le marché immobilier en Périgord et a stoppé l'immigration polonaise vers les îles britanniques.

L'architecture précise du bouclier antimissile de l'OTAN n'est pas encore arrêtée, mais il est acquis qu'il couvrira toute l'Europe – ou rien.

Enfin, phénomène aussi stupéfiant que révélateur : pour la première fois, après des années de scepticisme scientifique, d'incompréhension culturelle, de sarcasmes humoristiques et de savante mauvaise foi contre tout ce qui venait de « Bruxelles », The Economist, le Financial Times et les eurodéputés conservateurs ont commencé à défendre vigoureusement la solidité de la zone euro et la cohésion européenne comme des atouts indispensables aux intérêts fondamentaux du Royaume-Uni !

La communauté de destin est acquise. Elle appelle la communauté d'action pour maîtriser ce destin. Mais si le mot "solidarité" apparaît 20 fois dans le traité de Lisbonne, sa traduction concrète reste à réaliser. Car c'est bien de l'insuffisance de la solidarité politique que viennent les échecs majeurs de l'Europe. Pour s'en tenir à l'économie, l'alpha et l'oméga étaient contenus dans le pacte de stabilité et de croissance. Qu'avons-nous vu ?

Panne de croissance. Au niveau mondial, les dix années qui ont précédé la crise ont été les plus prospères de toute l'histoire de l'humanité. Pourtant, en Europe, les grands pays continentaux, Allemagne comprise, se sont traînés à 1% de croissance annuelle. Tandis que les performances flatteuses d'autres Européens reposaient sur du sable. Chacun a bâti son modèle économique dans l'ignorance de ce que faisaient ses voisins et dans la méconnaissance des objectifs communs proclamés dans la "stratégie de Lisbonne." Défaut de solidarité.

Panne de stabilité. Ou plutôt, malgré la stabilité assez remarquable de l'euro dans les périodes les plus troublées, panne de crédibilité de l'ensemble européen vis-à-vis des "marchés financiers" – en l'espèce, les opérateurs financiers les plus respectables astreints au placement en dettes souveraines : compagnies d'assurances, fonds de pension, fonds de placement. Qu'ont-ils vu ? Quinze jours avaient suffi aux dirigeants européens pour mettre en place un plan de 1 400 milliards pour sauver les banques, plus de quinze mois seront nécessaires pour donner une garantie comparable à un Etat de la zone euro. Défaut de solidarité.

Or la solidarité n'est pas un concept abstrait et qualitatif. Elle se mesure. Dans toute communauté humaine, famille, association, ville, région, Etat, union d'Etats, la solidarité s'évalue au niveau du budget commun. Au sein de la famille "France", la solidarité est considérable : pour 100 euros gagnés, chaque Français verse, en moyenne, 44 euros au pot commun, dont 43 sont redistribués en France. 1 seul euro transite par le budget communautaire : entre Européens, la solidarité est limitée à 1%. Un niveau digne d'une gentille société de philanthropie. Pas d'une famille.

Le remède doit tenir compte du caractère profondément original de l'Union européenne. Ce n'est pas une famille, mais une famille de familles – elle a eu bien tort d'abandonner le beau nom de "communauté" qui correspond si bien à sa nature. Elle doit inventer son propre modèle de solidarité. Pour organiser, entre peuples si différents, et si attachés à leurs différences, le vivre ensemble, l'agir ensemble et surtout le réussir ensemble. A défaut d'une forte augmentation du budget commun, ce modèle doit comporter un ensemble cohérent et crédible de mécanismes générateurs de solidarité. Par exemple :

- Sur le budget européen lui-même, le retour à un financement proprement communautaire, par des ressources propres, à la place des contributions nationales.

- L'extension de la coordination des politiques budgétaires, au-delà du seul problème des déficits, au contenu des budgets nationaux, pour s'assurer, année après année, que la nécessaire discipline budgétaire n'empêche pas le financement des objectifs communs européens d'Europe 2020.

- Le recours à des emprunts collectifs, plurinationaux ou communautaires, pour financer une partie de ces objectifs.

- L'introduction de la solidarité au cœur du marché intérieur (« single pact ») et la mise en œuvre des compétences nouvelles données par le traité pour une politique commune de l'énergie, ainsi qu'en matière d'immigration.

Le moment est venu de compléter le pacte de stabilité et de croissance, pour le transformer en pacte européen de stabilité, de croissance et de solidarité.

Article publié dans le numéro de janvier 2011 de la revue « Confrontations Europe ».


Alain Lamassoure, est ancien ministre français des Affaires européennes puis du Budget, ancien membre de la Convention européenne. Actuellement député européen (Parti populaire européen, PPE), il est vice-président de la délégation française du groupe PPE et Président de la Commission des Budgets du Parlement européen. 

http://www.alainlamassoure.eu

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