par Philippe Herzog, le lundi 17 janvier 2011

Après une année 2010 meilleure que prévu, la croissance de l'économie mondiale se poursuivra en 2011. Les pays émergents sont en plein boom et devraient pouvoir gérer les risques de surchauffe et d'inflation. Aux Etats-Unis, Barack Obama a lancé une deuxième relance d'un volume supérieur à celle de 2009. Sous la pression des Républicains, les cadeaux fiscaux vont perdurer. La croissance américaine pourrait atteindre 4%, nettement au-dessus du trend, en dépit de la charge de dettes abyssales et de l'instabilité financière.


Convalescence?

Dans ce contexte, l'Europe est-elle en convalescence, comme différents commentateurs ont pu l'avancer ? Ça n'a rien d'évident. En dehors de grandes banques, le secteur bancaire ne s'est pas rétabli et les politiques de rigueur freinent la demande. Surtout, la construction d'une nouvelle croissance durable parait peu avancée.

De nombreux pays européens souffrent de graves problèmes de compétitivité. En France, si Mathilde Lemoine et Patrick Artus donnent un satisfecit sur la politique budgétaire française, ils soulignent que l'investissement n'a pas vraiment repris et ils se demandent si la baisse de la productivité n'a pas un caractère structurel, pas seulement conjoncturel. A la question "Quand pourra-t-on dire que nous sommes sortis de la crise ?", Christine Lagarde répond que l'épisode le plus dur sera derrière nous dès lors que l'économie recommence à créer des emplois, ce qui semble être le cas.

Une opinion tout à fait contestable. Plus d'emplois mais moins de productivité et peu d'investissements signifient une quasi-stagnation pour la création de ressources disponibles. Si la ministre veut dire que les risques de rechute en récession sont derrière nous, elle a sans doute raison, mais une croissance faible ici comme ailleurs en Europe, et des réactions sociales dures face aux politiques de rigueur requises pour endiguer la hausse des dettes, signifient de grands efforts à entreprendre et un avenir difficile.

2. Contraste entre les Etats-Unis et l'Europe

Le contraste est saisissant entre la relance aux Etats-Unis (quantitative easing deuxième round + baisse d'impôts) et les cures d'austérité en Europe. Le débat entre économistes se poursuit, entre ceux qui critiquent ces politiques d'austérité et renvoient la solution du problème des dettes publiques à moyen terme ; et ceux qui comme Jean-Claude Trichet considèrent qu'il faut agir strictement dès maintenant pour éviter une situation pire à moyen terme. Pourquoi les marchés laissent-ils tranquilles les Américains, dont le déficit va rester supérieur à 9% du PIB, ou encore le Royaume-Uni (11%), le Japon (entre 9 et 11%)… et non les membres de la zone euro ? Des travaux analysent les causes de cette dissymétrie.

Première raison : l'Europe est dépendante des investisseurs non résidents, par exemple la dette publique française est détenue à 67% par l'étranger. La deuxième raison est la multiplicité des émetteurs (27 Etats membres). S'il n'y en avait qu'un, il n'y aurait pas de problème. Ceci justifie la solution Juncker-Trémonti d'une gestion communautaire d'une partie des dettes, que le Conseil européen a pourtant refusé de discuter, pour l'instant. Jusqu'à une nouvelle crise de dettes souveraines ? La France et l'Allemagne se sont opposées à cette solution, non sans arguments intéressants.

Pourquoi transférer la dette irlandaise au niveau communautaire quand ce pays s'arroge le droit de fixer au plus bas le taux de l'impôt sur les sociétés ? Il faudrait une "convergence des économies nationales" en préalable à une éventuelle gestion commune de dettes publiques, indique N. Sarkozy. Pour lui, une coordination non seulement des fiscalités mais aussi des prélèvements sociaux et des politiques de formation est souhaitable. Ce qui est visé, ce sont les problèmes de compétitivité sous-jacents aux tensions dans la zone euro.

Une coordination fiscale et sociale est en effet un objectif à élaborer. Mais ce n'est pas tout. Si les différents pays membres consentaient l'effort de consolidation du marché intérieur en bâtissant des réseaux de formation et d'infrastructures, en réalisant des investissements en commun, ils pourraient être solidaires dans l'effort de compétitivité. La Communauté devrait pour cela disposer d'outils financiers adéquats : eurobonds et levier budgétaire.

3. L'Europe toujours handicapée par sa crise bancaire

Une autre raison de la vulnérabilité de l'Europe et des freins en matière de politique macroéconomique réside à l'évidence dans son retard préoccupant à traiter sa crise bancaire (évidemment beaucoup plus grave dans certains pays que dans d'autres, ainsi la France semble se porter bien). Lire les études de The Economist, Nicolas Véron, et Telos.

Les banques européennes ont utilisé l'espace de l'eurozone à fond : les grandes se sont installées partout, d'où une forte interdépendance (par exemple dépôts en Allemagne… crédits dans la périphérie). Elles ont pu le faire sans aucun souci, assurées des refinancements de la BCE et du soutien implicite des Etats. La vieille règle selon laquelle les dépôts doivent équilibrer les crédits dans l'espace national a sauté, sans que l'Union européenne ait un dispositif de contrôle des déséquilibres liés à l'enflure des crédits. La Banque des règlements internationaux tire la sonnette d'alarme : il y a près de deux trillons d'engagements dans la périphérie, dont 78% proviennent des banques de l'eurozone et de la Grande-Bretagne. Face aux risques de défaut, les pertes seraient considérables. Il faut donc soutenir les succursales périphériques. Mais les crédits seront forcément réduits dans ces pays et les coûts accrus, d'où des conséquences récessives chez eux.

Les marchés comptent sur les Etats pour une prise en charge ; mais les économistes estiment que cette hypothèse n'est pas soutenable. On estime à deux trillons d'euros les besoins de recapitalisation des banques en Europe dans les deux ans à venir (chiffre à vérifier). Ainsi, quand l'Union doit soutenir des Etats, il ne s'agit pas uniquement de répondre aux besoins de financement des dettes publiques mais aussi aux besoins de liquidité et de recapitalisation des banques. La BCE a lancé un avertissement aux Etats à ce sujet (les banques irlandaises captent le quart des opérations de refinancement). Si les nécessités de restructuration bancaire restent différées, les soutiens en leur direction viendront en concurrence avec les besoins de financement des Etats (lire dans le même sens Robert Parker, FT).

Ainsi, une politique face aux dettes privées est impérative. Les créditeurs allemands, entre autres, ont du soutenir les banques irlandaises. A l'avenir, si les flux nets de capitaux ne peuvent être limités, il faudra accepter que les pertes tombent aussi sur les créditeurs.

4. Perspectives de hausse des taux d'intérêt

Les tensions sur les taux d'intérêt sont visibles aux Etats-Unis (+0,8% en fin d'année), et même en Allemagne (+0,6%), au Japon et au Royaume-Uni. Toutefois, Martin Wolf considère que ceci n'est pas encore significatif, et d'ailleurs le niveau des taux reste inférieur à celui d'avant la crise. Mais il semble bien que l'avenir soit dans cette direction, comme le démontre une étude de Mc Kinsey. Soulignant que le taux d'investissement dans les économies développées a baissé depuis trois décennies. Celle-ci anticipe une reprise durable ; en tout cas dans les pays émergents où la demande d'investissement sera encore plus considérable. Face à quoi la hausse de l'épargne sera insuffisante, et donc le capital plus coûteux.

5. Compétitivité et solidarité : le plus dur des réformes est devant nous

Ainsi la conjoncture 2011 reste incertaine en Europe. Pour calmer le jeu, le Conseil de décembre 2010 a décidé de pérenniser le Fonds européen de stabilisation financière (FESF) : provisoire jusqu'en 2013, il deviendra ensuite permanent. Mais contre l'avis de la BCE et du FMI, les changements du dispositif actuel sont renvoyés à 2013. Les Pays-Bas, l'Allemagne et les pays nordiques s'y sont opposés. Il aurait pourtant pu être utilisé préventivement à court terme, par exemple pour offrir des prêts à l'Espagne. A défaut, la BCE doit doubler son capital pour pouvoir acheter en plus grande quantité des obligations des Etats-membres vulnérables. Autre handicap : faute de réforme du FESF, tous les créditeurs seront protégés jusqu'en 2013. Ensuite seulement ils pourraient subir des pertes (« haircuts »). Wolfgang Munchau souligne que ceci va concentrer tous les risques de défaut des Etats périphériques de l'eurozone sur la période post 2013. Cela pourrait conduire alors l'agence chargée du FESF à émettre des eurobonds, faute de souscripteurs suffisants…, ces obligations étant garanties par les Etats restant notés AAA, Allemagne et France en tête. En cas de défaut, les pertes pèseraient sur eux.

Tony Barber dresse un commentaire général. Les Etats-membres ont du consentir bien des évolutions depuis la crise grecque ! Ils feront tout pour sauver l'euro. Mais demain, quand la phase la plus dangereuse des tensions se produira, que feront-ils ? A ce stade, on n'en sait rien.

Un signe rassurant est l'ouverture d'un débat contradictoire en Allemagne. Des dirigeants comme Schaüble et Steinmaier, envisagent de nouvelles réformes de l'UE. L'émission d'euro-obligations face à une situation de crise de la dette souveraine ne parait pas définitivement rejetée, mais à condition qu'elle soit assortie de contrôles beaucoup plus stricts sur les politiques budgétaire et de crédit.

Les partisans du retour au deutschemark s'expriment, mais les sondages montrent qu'une majorité d'Allemands est désormais gagnée à l'idée de mécanisme communautaire de sauvetage de pays en difficulté.
Par contre une lettre commune de plusieurs Etats dont la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne adressée à leurs collègues, appelle à geler toute augmentation du budget communautaire en valeur réelle ; et le refus des Etats de s'engager à négocier avec le Parlement européen sur les perspectives budgétaires à moyen terme est une autre mauvaise nouvelle. Alain Lamassoure souligne le déni – à ce stade – de tout pacte de solidarité.
Les perspectives économiques et les débats en cours confirment pleinement que l'Union européenne devra consentir de nouvelles réformes, ainsi que le bien fondé de notre action en ce sens. En matière de transformations, les tâches les plus dures sont devant nous.

Chronique de Philippe Herzog 4 janvier 2011



http://www.confrontations.org/

Philippe Herzog vient de sortir son dernier livre intitulé "Un tâche infinie.Fragments d'un projet politique européen" publié aux Editiond du rocher

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