Un député européen britannique, une fois de plus, vient de lancer une nouvelle initiative en vue de l'installation définitive du Parlement européen à Bruxelles.
Cette initiative n'étonne pas s'agissant d'un parlementaire issu d'un pays qui n'a jamais caché sa préférence pour la capitale belge.
Il est toujours difficile dans ce domaine sensible, de faire la part des choses entre le symbole et le pragmatisme, le "chauvinisme" et le coût financier des éternels transferts d'hommes, de matériels et autres tonnes de dossiers.
Bruxelles : des économies substantielles
En faveur de l'installation définitive du Parlement européen à Bruxelles, on peut noter le fait que le triangle institutionnel se situerait en plain cur de la capitale bruxelloise, les différentes institutions étant situées à quelques centaines de mètres les unes des autres (voire environ une vingtaine de mètres entre la Commission européenne et le bâtiment du conseil des ministres).
Un Parlement définitivement installé à Bruxelles faciliterait les échanges et les réunions de travail avec les fonctionnaires de la Commission et les représentants des Etats membres travaillant au sein du siège du conseil, ce qui n'est pas négligeable.
Un autre élément jour en faveur de la capitale belge : cela constituerait un geste fort pour démontrer la détermination des pouvoirs publics européen de gérer au mieux les deniers publics et par suite l'argent des contribuables. Les transferts incessants entre Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg ne sont pas raisonnables ni admissibles au moment où il s'agit de faire des économies et où l'on parle de développement durable soucieux de préserver l'environnement en polluant moins.
Strasbourg : un symbole très fort
Face à cette exigence "gestionnaire", Strasbourg dispose-t-elle encore d'un avantage ?
Son principal atout, outre le fait d'être une ville très agréable, est d'être un symbole : celui de la réconciliation franco-allemande. Il est en effet important, sur le plan politique comme sur celui de la construction européenne, de garder en mémoire les symboles.
Cette ville est aussi celle où des initiatives majeures furent prises en faveur de la construction européenne : on pense notamment au "club du crocodile" qui dû son nom à un restaurant de la ville où Altiero Spinelli, militant anti-fasciste enfermé dans les goêles de Mussolini et fédéraliste convaincu, avait lancé son club en vue d'une union européenne. On pense aussi, dans la foulée, au discours prononcé par François Mitterrand, président de la République française, précisément au Parlement européen le 24 mai 1984, où il proposa d'étudier un projet d'Union européenne. Cette ville a toujours vécu la ferveur européenne et on ne peut l'oublier. Beaucoup de fédéralistes se réunirent aussi dans l'hémicycle ancien du Parlement.
En outre, les liaisons avec la capitale alsacienne se sont nettement améliorées ainsi que ses capacités hôtelières.
Mais de combien pèseront ces atouts lorsqu'il s'agira de peser pour et le contre ?
Si les réunions mensuelles et plénières sont censées se dérouler à Strasbourg, de fait, les exceptions à ce principe ou les arrangements semblent êtres devenus courants
Le pragmatisme exige de dire que Bruxelles semble avoir pris une longueur d'avance. Ceci dit, rien n'est joué d'avance.
En premier lieu, la décision est entre les mains des chefs d'Etat et de gouvernement : seul le conseil européen peut encore décider du siège des institutions européennes et la priorité ne semble pas être celle d'un affrontement à ce sujet.
En deuxième lieu, si un jour le lobby pro Bruxelles devait l'emporter au nom du pragmatisme et des économies, encore faudrait-il que Strasbourg reçoive une compensation prestigieuse. Cette possibilité qui, à ce stade de la réflexion, ne pourrait officiellement qu'être démentie, pourrait progressivement germer dans l'esprit tant des dirigeants français que celui des édiles strasbourgeois qui ont investi des dizaines de millions d'euros dans l'hémicycle du nouveau Parlement européen.
Continue à siéger à Strasbourg la Cour européenne des droits de l'homme qui n'a aucune raison de changer de place. Mais on pourrait penser à une autre institution européenne qui a priori pourrait se délocaliser à Strasbourg. Peut-être aussi la ville pourrait-elle obtenir une autre institution internationale symbole de paix liée à l'Organisation des Nations-Unies.
En troisième lieu, il faut savoir également qu'un jour, le Parlement devra devenir lui-même maître de son propre destin. Un Parlement qui se respecte est aussi celui qui décide du lieu de son propre siège
On le voit, entre incantations, réalisme, patriotisme et pragmatisme financier, il faudra bien choisir un jour. Ce jour ne saurait tarder : sachons le préparer sans drame.
Patrick Martin-Genier est Maître de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris, spécialiste des questions européennes.