par Europe et Entreprises, le jeudi 17 février 2011

Pour un plan d'action 2011-2019.

Douze ans après sa mise en place, l'union monétaire est fragilisée par les effets de la crise financière de 2008 qui a plombé l'endettement public, particulièrement dans certains pays.

Les Etats ne sauraient s'exonérer de leur responsabilité, dans la mesure où ils ont oublié l'union économique qui devait aller de pair avec l'euro. Ce n'est que trop tardivement et sous la contrainte des marchés qu'ils se sont résolus, pour secourir la Grèce puis l'Irlande, à improviser un fonds dont ils viennent juste de prévoir l'intégration au traité.

S'il peut paraître légitime d'éviter, au-delà de cet ajout au traité, d'ouvrir la boîte de Pandore, on ne doit pas non plus accréditer l'illusion que ce fonds suffira à fiabiliser l'union monétaire.


Pour leur part, les euro-entrepreneurs restent plus que jamais fondés à revendiquer la clarification d'une UEM encore trop bancale et trop inachevée, alors qu'ils sont eux-mêmes :

• confrontés à une concurrence mondialisée et des délocalisations accrues,

• déçus par les retards accumulés dans l'intégration économique,

• inquiets des menaces croissantes sur l'union monétaire,

• impatients d'une réponse européenne à la hauteur des enjeux.

Le plan Barnier récemment présenté pour relancer le marché unique mérite d'être appuyé mais ne saurait constituer "la" réponse à ces attentes : sans union économique, le marché unique ne sera qu'un carrefour balayé par tous les vents de la concurrence mondiale.

Ce que les euro-entrepreneurs attendent aujourd'hui des dirigeants européens, c'est qu'ils engagent, sans que ceci ne requière à ce stade une nouvelle réforme du traité, un plan d'action remettant à l'ordre du jour la promesse non tenue d'union économique.

1. Pour un plan de relance de l'union économique

L'Europe a perdu dix ans de 2000 à 2010 dans un marché de dupes où l'ambition originelle d'une union économique intégrée, censée accompagner l'union onétaire de 1999, a été délaissée pour une stratégie de Lisbonne qui prétendait gagner la compétition mondiale à prtravers une approche intergouvernementale de "coordination ouverte".

Contrairement à la méthode d'intégration communautaire qui a fait ses preuves avec le marché unique puis l'euro, cette approche de libre émulation entre Etats s'est révélée impuissante, faute de coordination, de transparence, de solidarité et de contrôle, à relever les défis qu'elle s'était fixée, et a fini par échouer dans l'indifférence générale.

Les leçons de cet échec emblématique ne paraissent pas avoir été tirées à ce jour : la nouvelle stratégie "Europe 2020" reste largement calquée sur les mêmes méthodes et risque fort d'être promise au même sort. Le point focal d'un consensus des Européens serait-il devenu qu'on ne change pas une stratégie qui perd ?

Pour éviter un naufrage annoncé, il faudrait changer la donne. Les crises grecque puis irlandaise viennent à point pour hâter une prise de conscience tardive mais salutaire : sous ces bourrasques, l'Europe comme ses Etats ont plus à perdre à rester immobiles au milieu du gué - et tout à perdre à rebrousser chemin - plutôt qu'à se décider à progresser ensemble vers l'autre rive. Pour se donner l'énergie de sortir durablement d'un pareil enlisement, il faudrait aller au-delà des arrangements ponctuels d'un secourisme occasionnel.

Il y a vingt-cinq ans, face aux mêmes exigences de relance, l'Europe avait su engager à l'initiative de Jacques Delors et d'autres pionniers un programme cohérent qui nous a valu le marché unique en 1993 puis l'union monétaire en 1999. Aujourd'hui, il serait temps d'engager un pareil plan d'action, cette fois pour relancer l'union économique. Une ambition légitime serait de viser la mise en place de celle-ci avant la fin de la décennie soit d'ici 2019.

En précisant comment cet objectif réactualisé et revalorisé d'union économique encadrerait et corrigerait celui trop réducteur du marché unique, les dirigeants européens se mettraient en situation de répondre aux inquiétudes croissantes de l'opinion face à la mondialisation.

Ils pourraient alors escompter une participation active des acteurséconomiques et sociaux à l'agencement et la réussite du plan d'action. Et ce concours serait d'autant plus indispensable que, même avec vingt ans de retard sur l'objectif originel 1999 de l'UEM, ce plan impliquerait un "parcours du combattant" bien en rapport avec ses ambitions…

2. Pour une ingénierie financière commune de l'euro

La création du fonds de stabilisation financière – revendiquée sans écho par Europe et Entreprises il y a encore un an dans ses "sept priorités d'actions pour les années 2010" - est venue bien tard tout en ayant fini par se concrétiser précipitamment. L'inscription dans le traité de ce mécanisme d'assistance devrait constituer la première pierre mais certes non la seule d'une consolidation devenue urgente de l'union monétaire.

L'assistance aux pays en difficulté devrait être subordonnée au respect des conditions et objectifs du plan de relance de l'union économique, par opposition à ceux d'un marché sans règles où toutes les concurrences y compris de dumping fiscal ou social semblent possibles.

La zone euro demeure par ailleurs pénalisée par l'absence d'un dispositif unifié de gestion de la dette et d'émission des emprunts. Il faudrait, comme suggéré par plusieurs dirigeants politiques, créer un trésor européen qui pourrait transformer en euro-obligations une part déjà significative de la dette des Etats membres. Une ingénierie financière commune de l'euro pourrait alors se développer en partenariat avec l'Eurogroupe des ministres des finances, la Banque centrale européenne et la Banque européenne d'investissement.

La capacité d'emprunt de la zone euro, comme la liquidité des circuits européens de financement, en serait renforcée, ce qui permettrait de développer les investissements communs pour la formation, la recherche, l'industrie et les infrastructures européennes avec des effets positifs directs sur la croissance, l'emploi et la compétitivité.

La notation des dettes publiques dans la zone euro devrait par ailleurs justifier d'une transparence mieux étayée des critères pris en compte. Sa réglementation devrait être renforcée et contrôlée par une agence européenne de supervision de la notation, dotée d'un statut autonome et de garanties d'indépendance.

Dans les instances économiques et financières internationales l'euro devrait enfin peser de tout son poids, ce qui impliquerait qu'une voix unique soit mandatée pour s'exprimer en son nom - comme c'est déjà le cas dans les négociations commerciales de l'OMC -.

3. Pour des outils de convergence appuyant le pacte de stabilité

Le renforcement annoncé du pacte de stabilité, qui n'est pas parvenu jusqu'ici à assurer un encadrement efficace des politiques économiques dans la zone euro, ne devrait pas se limiter à des mises en garde accrues et des sanctions renforcées, même s'il s'agit là d'un impératif incontournable. Il devrait aussi et surtout être appuyé par des outils communs facilitant une convergence dans des domaines aussi sensibles que les politiques budgétaires et fiscales, où chaque Etat est par nature conduit à agir de façon autonome. La diversité accrue des Etats membres ne facilite pas l'exercice mais le rend plus que jamais nécessaire.

Une priorité devrait être l'engagement direct des chefs de gouvernement dans la coordination des politiques budgétaires, par delà leurs ministres. Ceci permettrait d'assurer les décisions et les arbitrages qui sont nécessaires pour réduire les dettes publiques tout en réalisant ensemble des économies d'échelle. Un rendez-vous annuel des dirigeants des pays de l'euro devrait notamment être programmé avant l'adoption des budgets nationaux.

Cette convergence budgétaire devrait forcément aller de pair avec un rapprochement des politiques fiscales. Il s'agit là d'un autre chantier redoutable, non débroussaillé, avec des fiscalités nationales non seulement disparates mais souvent antagonistes.

Une priorité serait de réguler une mise en concurrence des fiscalités certes nécessaire mais dont l'absence d'encadrement favorise les circuits frauduleux, pénalise le redressement des finances publiques et crée des injustices très mal ressenties en ces temps de rigueur. Ces fiscalités sont ainsi trop fondées aujourd'hui sur une détaxation des assujettis délocalisables (capitaux, sièges, filiales) sans souci des équilibres transfrontaliers et régionaux, tandis qu'une fiscalité excessive pèse sur les assujettis moins ou peu mobiles (travail, résidents).

Une clarification indispensable serait d'harmoniser les assiettes fiscales, à commencer par celles des sociétés, en fonction d'un calendrier pluriannuel contraignant. Toutes les doubles impositions devraient être abolies sans besoin de conventions bilatérales entre Etats. Un régime définitif de TVA simplifiant la vie des opérateurs devrait aussi finir par être adopté.

Un rééquilibrage des niveaux d'imposition reste souhaitable à terme mais ne peut être envisagé que très progressivement et dans un cadre ouvert. La mise en place d'un "serpent fiscal" européen constituerait une initiative utile pour l'enclencher et l'encadrer.

4. Pour un budget européen permettant des économies d'échelle

L'union économique implique que les Etats voient le budget européen autrement que comme une dépense supplémentaire. Certes ces temps de rigueur n'incitent pas, surtout quand est "contributeur net" au budget européen, à être moins restrictif pour celui-ci que pour le sien.

Pour que chacun trouve son avantage à dépasser la toise actuelle de 1% du PIB, il faudrait profiler ce budget de façon plus dynamique en le centrant davantage sur des projets d'intérêt commun, tout en lui assurant des ressources propres plus autonomes et mieux ciblées.

Une priorité devrait être notamment le développement de services d'intérêt général à l'échelle européenne justifiant des transferts budgétaires dans les domaines où ils s'avèreraient globalement plus efficaces et moins coûteux qu'à l'échelle nationale, tout en permettant d'assurer la sécurité et la compétitivité d'une union économique intégrée.

Le premier bénéfice de cette approche serait, à travers des économies d'échelle significatives, de réduire un coût de la "non-Europe" toujours ruineux qu'on n'a plus osé recalculer depuis le rapport Cecchini il y a vingt-deux ans. Il s'agit là d'une priorité résurgente au moment où nous sommes contraints de comprimer nos frais de fonctionnement partout en Europe et d'accroître nos ratios de productivité face à nos concurrents internationaux.

Le second bénéfice serait, en développant des partenariats public/privé européens, de relancer les investissements nécessaires à nos industries et nos infrastructures communes (cf. sécurité, environnement, énergie, communications) et d'appuyer l'activité économique au moment où celle-ci risque sinon d'être lourdement pénalisée par les programmes d'austérité.

Pour qu'un tel schéma fonctionne, il faudrait s'assurer que la charge fiscale globale ne soit pas alourdie, mais au contraire rationalisée et progressivement allégée par ces transferts.

On pourrait dès lors envisager un budget européen de 5% du PIB en 2019, lui assurant à cette date la capacité d'appuyer la mise en place d'une union économique digne de ce nom.

5. Pour une réédition réussie d'"impossible n'est pas européen"

Après l'union douanière qui fut la première étape en 1968, le marché unique la seconde en 1993, puis l'union monétaire la troisième en 1999, l'union économique reste l'ultime étape à réussir pour achever soixante années de mise en commun et donner aux Européens leurs règles de "copropriété". Un objectif 2019 serait à notre portée si les Européens le décidaient. Certes, alors que l'union douanière et l'union monétaire ont été à la date dite des acquis vérifiables, l'union économique, à l'instar du marché unique, nécessitera par nature un chantier plus complexe, et à certains égards permanent. Encore faudrait-il l'engager !

Après tant de retards et d'atermoiements, cette revendication a-t-elle encore une chance d'aboutir ? Le doute n'est pas près d'être levé face aux redoutables conservatismes, corporatismes et conflits d'intérêts qui y sont liés. Mais on a vu aussi par le passé, même et surtout quand on ne l'attendait plus, qu'impossible n'est pas européen ! Qui aurait parié il y a trente ans sur la levée des contrôles frontaliers, il y a vingt-cinq ans sur l'union monétaire, il y a vingt ans sur l'élargissement continental, ou même il y a un an sur le fonds monétaire européen ? Des pionniers, issus tant des Etats que des institutions européennes, ont pourtant su entraîner l'Europe d'alors à réussir l'inattendu, l'improbable voire l'impossible…

Aujourd'hui les progrès que nous devons à ces pionniers restent, sans l'union économique, inachevés, donc réversibles : on peut en redescendre les marches bien plus vite qu'on ne les avait gravies ! Car "impossible n'est pas européen" vaut dans les deux sens pour un avenir qui n'est pas écrit à l'avance. Demain, l'union monétaire "peut" se briser, cassant le marché unique. Mais demain aussi, l'union économique "peut" s'imposer, assurant l'avenir.

Voilà pourquoi les euro-entrepreneurs appellent aujourd'hui de nouveaux pionniers à oser engager, sans esprit de recul, l'union économique qui leur avait été promise. Pour arrimer l'Europe du bon côté et permettre aux Européens de s'affirmer dans la mondialisation !


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