par Edouard Pflimlin, le lundi 21 février 2011

La France participe à huit corps militaires européens (1) qui ne font rien ou n'ont que des missions marginales. Ainsi l'Eurocorps et la brigade franco-allemande n'ont connu aucun engagement depuis l'Afghanistan en 2004. La force navale franco-allemande n'a connu que deux engagements en 20 ans. La Cour recommande de refondre, voire de supprimer ces corps, dans son dernier rapport annuel (2).


La Cour des comptes a réitéré dans son rapport annuel ses critiques sur la sous-utilisation des corps militaires européens permanents auxquels participe la France, en s'interrogeant sur leur maintien et leur développement.

Dans son rapport diffusé en 2008, la Cour des comptes "avait regretté le caractère disparate des différents corps et souligné la nécessité d'engager une réflexion globale sur leur rationalisation et leur articulation d'ensemble " Le ministère de la défense et celui des affaires étrangères s'étaient dits, dans leur réponse au référé de la Cour, convaincus de cette nécessité, mais avaient fait remarquer qu'en raison du contexte multinational, la réflexion souhaitée par la Cour devait avoir pour finalité l'adaptation de ces forces aux développements récents de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). "Cette situation n'a pas évolué au cours de la période récente, et il n'y a pas de raison pour que les choses s'améliorent dans l'avenir", constate la cour trois ans plus tard.

Comme exemple de rationalisation ratée, la Cour indique que : "Si l'on peut se satisfaire des évolutions affectant la brigade franco-allemande dont le lien de subordination opérationnel, longtemps théorique, qui la reliait à l'EUROCORPS, a pris de la consistance, ainsi que de la mise en commun des moyens aériens, la rationalisation est encore inachevée pour d'autres corps. Une proposition franco-belge de simplification du statut de l'EUROCORPS, qui aurait répondu à la suggestion de la Cour, a fait l'objet de longues négociations, soldées par un échec. Les problèmes, découlant de l'obligation d'obtenir un consensus, risquent même de s'aggraver du fait de l'arrivée d'un sixième membre en 2013, la Pologne ; en outre, cinq autres Etats ont désormais le statut de membres associés et deux autres devraient les rejoindre, ce qui accroît la complexité des processus décisionnels."

DES FORCES EUROPÉENNES SOUS-UTILISÉES

La Cour avait enfin souligné que, "compte tenu de l'ambition qui avait présidé à leur création et des intentions affichées par les ministères de tutelle, une importante mobilisation des corps européens pouvait être attendue ; or, dans la pratique, une sous-utilisation manifeste des moyens concernés est constatée, et ce, depuis l'origine. Cette situation n'a pas évolué au cours de la période récente, et il n'y a pas de raison pour que les choses s'améliorent dans l'avenir.

- L'EUROCORPS, et sa force subordonnée, la brigade franco-allemande, n'ont guère été mobilisés jusqu'à maintenant. Il n'a pas connu d'engagement depuis six ans, c'est-à-dire depuis l'intervention en Afghanistan en 2004.

- Quant au bilan de la brigade franco-allemande, il n'est guère meilleur : cette brigade a fourni le coeur combattant d'un Groupement tactique de l'Union européenne en 2008, puis elle a défilé sur les Champs-Elysées le 14 juillet 2009. Elle a participé au tour d'alerte de l'Eurocorps en 2010 et probablement, la question étant encore à l'étude, à son engagement en Afghanistan en 2012.


- Quant à "l'Eurofor, il n'a pas été employée depuis son engagement en Bosnie en 2007", dit le rapport.

La Cour des comptes déplore aussi que la situation n'ait pas changé au niveau du "caractère disparate des différents corps". "La réalité est que ces forces n'ont d'européen que le nom", tacle l'organisme public. Leur utilisation est régie "par la règle du consensus, ce qui signifie qu'un seul des Etats membres peut bloquer n'importe quelle décision, ce dont, dans la pratique, les Etats ne se privent pas", note encore la Cour.

"En face de cela, l'Union européenne ne dispose, dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense, que d'un état-major général, sans chaîne de commandement", poursuit le rapport.

Dès lors, la cour des comptes s'interroge : "Il convient donc d'engager rapidement cette réflexion structurelle déjà souhaitée par la Cour et promise par les ministères concernés, afin de revoir l'ensemble de ces dispositifs, dans une perspective de refonte et de réorganisation, voire de suppression." !

Dans une très brève réponse, le ministère du Budget dit partager le constat de "l'utilité d'une réflexion structurelle pouvant déboucher sur une rationalisation de ces différentes formations."

La réponse du ministère de la Défense est parvenue après les délibérations de la Cour et ne figure pas dans le rapport. Quant au ministère des Affaires étrangères, il n'a pas adressé de réponse.

"La Cour met le doigt ainsi sur un problème récurrent et primordial pour l'Union européenne : d'un coté, des forces sans réalité concrète et avec un processus de décision « bloquant » ; de l'autre, un Etat-Major de l'UE sans forces ; les deux n'étant pas reliés. Il y a assurément comme un problème." souligne Nicolas Gros-Verheyde (3) "Si les Etats européens –comme la France, la Pologne, l'Allemagne ou la Belgique – qui constituent à la fois les forces vives de ces corps et disent appuyer la nécessité d'une politique européenne de défense, ils doivent mettre leurs actes en conformité avec leurs discours."

"Il ne semble même pas nécessaire, en l'occurrence de modifier le Traité sur l'Union européenne. Juste de revoir les traités de ces corps. Et d'avoir un engagement politique. L'UE pourrait avoir, assez rapidement, un centre de commandement et de contrôle politico-militaire à Bruxelles, un Etat-major militaire à Strasbourg, relié à des forces vives (comme l'EATC qui démarre à Eindhoven pour l'aspect aérien). (...) La présidence polonaise qui débute en juillet prochain tient là un « beau » projet structurant pour l'Europe de la Défense." insiste M. Gros-Verheyde.

On ne peut que souscrire à cet appel au volontarisme européen. La France doit montrer l'exemple. Sinon il y aura "péril en la demeure".


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(1)La France participe à huit corps militaires européens, dont la brigade franco-allemande (5.000 hommes), le Corps européen de défense (Eurocorps), capacité de 60.000 hommes) ou la Force opérationnelle rapide européenne (Eurofor, capacité de 5.000 à 10.000 hommes).

(2) http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/U_participation_france_corps_militaires_europeens_permanents.pdf


Edouard Pflimlin est journaliste et chercheur associé à l'IRIS 

(http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=pflimlin).

Il est l'auteur d'une note pour la Fondation Robert Schuman : « Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ? ».

Son dernier livre : « Le retour du Soleil levant. La nouvelle ascension militaire du Japon » est paru en juin 2010 aux Editions Ellipses.

http://www.editions-ellipses.fr/fiche_detaille.asp?identite=7343


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