par Clotilde de Gastines , le vendredi 04 mars 2011

Comment les systèmes d'éducation prioritaire balancent-ils la sélectivité sociale en Europe ? Plusieurs pays européens mènent des politiques d'éducation prioritaire (PEP) à court, moyen et long-terme sous forme de compensation, zonage d'éducation prioritaire ou encore de discrimination positive ciblée. Huit sont passés à la loupe dans deux livres : France, République Tchèque, Angleterre, Belgique, Suède, Roumanie, Grèce et Portugal.

"On note une convergence européenne en matière d'éducation prioritaire" affirme Daniel Frandji (CAS-INRP) qui a dirigé l'étude européenne. La préscolarisation tend par exemple à se généraliser dès 3 ans. Ce qui constitue un atout pour les groupes défavorisés dans la mesure où le cycle de la pauvreté et de l'exclusion sociale s'en trouve brisé. Toutefois, les dispositifs scolaires sont "de plus en plus fragmentés pour prendre en charge des groupes dits « à risques, commente le sociologue. La prévalence du collège unique ou des comprehensive school éclate. Alors même qu'ils atténuaient bien des inégalités."


Les politiques d'éducation prioritaires ont connu trois âges. Dans les années 60, les États envisageaient des politiques de compensation pour réduire les inégalités scolaires. Il s'agissait de poursuivre la démocratisation des systèmes d'enseignement, amis ces politiques ont peu d'impacts.

Dans les années 80, l'objectif a changé pour lutter contre l'exclusion et plus seulement égaliser les chances des différents groupes sociaux. "On garantit un minimum, sauf que la compétition scolaire s'accroit partout et surtout en France. Comme dit François Dubet, on va se préoccuper du sort des "vaincus de la compétition", sans se demander pourquoi ce sont toujours les mêmes qui sont vaincus, précise Daniel Frandji. On commence à parler de décrochage, de déscolarisation et de violence. Il n'est plus question de construire une école démocratique."

Enfin, la notion d'éducation "inclusive" s'impose dans les années 2000 au niveau international. À l'origine, elle concerne les enfants handicapés. Il s'agit de faire en sorte que l'école soit ouverte à tous les enfants "à besoins spécifiques". La catégorie se subdivise au fur et à mesure. "Parfois de manière extrême comme au Royaume-Uni ou en République Tchèque où il existe des catégories pour les enfants socialement défavorisés, ou de migrants, de réfugiés, et même pour les enfants dont les parents sont stressés" s'exclame-t-il. Le nouvel objectif est d'adapter l'école à la diversité des individus pour maximiser les potentialités de chacun. On va vers une individualisation de l'enseignement, avec pour cadre de référence, la gestion des droits et des risques individuels.

La peur de la reproduction sociale

Certains pays n'ont pas recours à l'éducation prioritaire. Par contre, ils encouragent l'orientation des élèves en difficulté vers les filières professionnelles. Ce sont souvent des enfants de migrants. En République Tchèque ou en Allemagne, l'orientation en apprentissage se fait vers 10 ou 11 ans. "Ces systèmes sont très inégalitaires, considère Daniel Frandji. L'école est le seul espace qui prend en charge la transmission de savoirs qui ne s'acquièrent pas ailleurs et permet de développer des compétences critiques". Permettre à un enfant de quitter la filière générale de manière aussi précoce, c'est "quitter la pensée de l'égalité, car la reproduction sociale est très forte. L'apprentissage n'est pas une situation miracle, il se fait au détriment d'une culture commune". Marc Demeuse, statisticien de l'Université de Mons-Hainaut renchérit : "cela donne l'apparence de réussite, quand les entreprises ont besoin de main d'œuvre peu qualifiée. Mais en temps de crise, une personne qui n'a pas appris à apprendre, est trop chère à recycler."

Les dernières recommandations de l'OCDE dans l'étude PISA 2009 insistaient sur l'inverse : "les élèves qui ont rencontré des difficultés dans l'enseignement général s'orientent souvent vers l'enseignement et la formation professionnels (EFP). L'EFP peut accroître le désir d'apprendre, offrir aux étudiants davantage de flexibilité et une pédagogie plus adaptée et cibler directement les aspirations des jeunes vis-à-vis du marché du travail."

Prenons le cas extrême des enfants de migrants. Dans de nombreux pays européens, l'accès à l'éducation pour les migrants pose problème. En France, les nouveaux arrivants sont confrontés aux politiques d'intégration les moins favorables et les plus contradictoires, selon la troisième édition du MIPEX (Migrant Integration Policy Index www.mipex.eu), outil de comparaison et d'évaluation des politiques d'intégration. L'école française ne fonctionne pas comme un moteur d'intégration des enfants de migrants. Dans la plupart des cas, un enfant étranger est traité comme les autres élèves, au pire il est perçu comme un problème. Il n'apprend jamais à parler correctement la langue du pays d'accueil, ni même sa propre langue, parce que le soutien scolaire est insuffisant. Les pays nordiques, la Belgique y parviennent pourtant en mobilisant leurs équipes pédagogiques. L'Allemagne et la République Tchèque ont également un bon "score" d'intégration par l'éducation comme le montre cette carte.

Les leviers d'action

Selon l'étude dirigée par Daniel Frandji, l'action territorialisée est la norme. En Angleterre, des programmes sont conçus autour d'un principe de multi-agency working, à savoir le partenariat entre services éducatifs, sanitaires et sociaux. Ceux-ci visent à agir précocement sur les familles défavorisées et leurs enfants.

En France dominent des conflits ou des malentendus forts entre enseignants et acteurs des politiques de la Ville. En 1981, l'éducation prioritaire visait des territoires : les fameuses ZEP. Il y a eu une certaine usure du programme et un changement d'objectif. "Quand un élève est bon, on lui permet de sortir du territoire ou de son établissement pour le mettre ailleurs. Cela tend à homogénéiser les zones d'éducation prioritaire, à mortifier certains espaces", regrette Daniel Frandji.

Les experts en concluent que "tant qu'il y aura de la ségrégation dans le système, on aura un besoin de moyens extraordinaires. On continuera à tenter de soigner les symptômes plutôt que de traiter les causes. Cela dépasse la simple question de la scolarité".

Paru dans Métis du 3 mars 2011







Clothilde de Gastines est rédacteur en chef de Metis

http://www.metis.eu

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