Dans le maelström des bouleversements internationaux liés aux
révolutions du Maghreb, on en aurait presque oublié les défis
économiques et sociaux qui vont se poser à l'Europe dans les semaines
qui viennent.
Alain Juppé, le nouveau ministre français des affaires étrangères et
européennes, va devoir faire face dans les jours qui viennent à la
préparation du conseil européen spécial réunissant les pays de l'Euro
groupe qui se réunira avant le conseil européen ordinaire de la fin
mars à Bruxelles, afin de faire des choix quant à la convergence
économique et budgétaire.
Le retour du pacte franco-allemand dit de « compétitivité »
Parmi les propositions clefs figurent les dispositions du plan franco-
allemand de convergence et de compétitivité.
On se rappelle en effet que l'Allemagne qui avait été à l'origine très
réticente à venir en aide aux pays touchés par la crise budgétaire,
notamment la Grèce, avait fini par accepter l'idée d'une telle
initiative sous la pression notamment de la France.
En contrepartie, l'Allemagne avait fini par rallier la France à l'idée
d'un pacte de stabilité et de compétitivité destinée à donner à
l'Europe des garanties quant aux mesures drastiques à mettre en uvre
préconisant un plan d'économies tous azimuts.
En réalité, chemin faisant, alors que les détails de ce plan franco-
allemand n'avaient pas été donnés aux autres pays et a fortiori à la
presse, on apprenait dans les jours qui suivait l'annonce de ce plan,
qu'il s'agissait d'une véritable initiative politique des eux pays
comportant non seulement la garantie de continuer des économies,
contre partie des aides européens et du FMI aux pays en difficulté,
mais aussi des dispositions économiques à connotation fortement
libérales, partant du principe que le travail a un coût et que le coût
du travail constitue un des éléments principaux de la compétitivité
qu'il convenait de diminuer coûte que coûte, c'est le cas de le dire,
pour améliorer la compétitivité marginale des entreprises européennes.
>Des réticences et interrogations
Ce faisant si l'on peut comprendre que les entreprises européennes
puissent et doivent de donner les moyens de faire face aux nouveaux
défis de la compétitivité internationale marquée par une course au
productivisme, l'initiative franco-allemande a suscité un certain
nombre de réticences et d'interrogations.
En premier lieu, des pays tels que le Luxembourg et la Belgique, soit
des pays considérés comme « petits » au sein de l'Union européenne,
ont d'emblée fait savoir qu'ils n'avaient pas appréciés le fait de ne
pas être associés à une elle démarche alors qu'il résultait d'une
première lecture de ce pacte qu'il leur serait demandé d'abandonner à
l'avenir l'idée d'une indexation des salaires des ouvriers et employés
sur les prix (ne parlons même pas du salaire des fonctionnaires qui
ont même baissé autoritairement dans certains pays). Les Premiers
ministres de ces pays ont fait part d'une irritation d'autant plus
vive qu'ils font également valoir que l'indexation des salaires sur
les prix ne les a jamais empêché jusqu'à présent de s'en sortir
honorablement en ce qui concerne la productivité de leurs entreprises
Le problème des entreprises se réduirait-elle au seul coût de la main
d'uvre ? cela n'est pas certain. Ainsi il est acquis que malgré le
coût de la main d'oeuvre censé être plus lourd en France qu'ailleurs
dans le monde, beaucoup d'entreprise françaises ont une croissance
externe très importante. C'est donc qu'il existe d'autres facteurs qui
expliquent cette compétitivité. Tout réduire au coût de la main
d'uvre semble donc réducteur à souhait.
Et la cohésion sociale ?
En second lieu, le problème ainsi posé constitue un vrai défi social.
Si l'on veut que les salariés et les citoyens croient aux vertus de
l'intégration européenne, il est nécessaire de s'assurer que la
dimension sociale ne sera pas la partie sacrifiée du pacte de stabilité.
Il n'est ainsi guère encourageant d'entendre que non seulement
l'indexation des salaires sur les prix soit ne sera plus automatique
soit sera interdite, mais que de surcroît, tous les salariés devront
travailler jusqu'à un âge compris entre 65 et 70 ans, voire plus à la
demande
L'économie constitue un processus où l'homme doit avoir toute sa
place. En d'autres termes, la cohésion sociale constitue aussi un
facteur de réussite d'une économie, comme le soulignait l'économiste
François Perroux. Or il devient ainsi urgent de trouver un sens social
à l'intégration européenne, d'où l'urgence d'une réflexion sur
l'Europe sociale.
Dans certains pays, dès lors que l'on a un travail, le salarié a la
certitude d'obtenir un logement digne de ce nom ; pourquoi n'est-ce
pas possible partout en Europe, notamment en France où un salarié, du
seul fait de son salaire, n'est plus assuré d'obtenir un logement ?
Si donc le plan franco-allemand est nécessaire, il est crucial que les
autres partenaires européens l'amendent en faisant en sorte que la
dimension sociale en ne soit pas une fois de plus sacrifiée sur
l'autel de l'ultralibéralisme. Il en va aussi de la pérennité de la
construction européenne.
Patrick Martin-Genier est Maître de conférence à l'Institut d'études politiques, spécialiste des questions européennes.