par Edouard Pflimlin, le mercredi 06 avril 2011

A l'heure où Paris et Londres mènent des actions de concert contre le régime libyen de Mouammar Kadhafi, une courte note (1) du Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP) publiée le 28 mars 2011 par le chercheur Federico Santopinto et intitulée "La France et l'Europe de la défense : deux énigmes", remet en perspective les accords militaires franco-britanniques de novembre dernier et les développements de l'Europe de la défense. Que signifient-ils ? Faut-il s'en inquiéter à court et long terme ? De nombreuses interrogations demeurent.


D'emblée, Federico Santopinto est affirmatif : "Si quelques doutes pouvaient encore subsister, le conflit libyen les aura définitivement dissipés. Le tandem Sarkozy-Cameron face au colonel Kadhafi prouve que les traités militaires signés le 2 novembre 2010 par Londres et Paris représentent bien plus qu'une simple collaboration technique entre les deux principales puissances militaires européennes."

Il s'agit non pas d'un renversement d'alliance comme l'histoire de l'Europe est coutumière mais "d'un nouveau couple au sein de la famille européenne, le couple franco-britannique". Il remplace en quelque sorte le couple franco-allemand.

Et, c'est d'une certaine manière l'échec des ambitions de l'Europe de la défense, qui devait voir le renforcement des capacités militaires de l'Union européenne. Nous étions de ceux qui pensaient que ces capacités, sans entrer en concurrence avec l'OTAN, allaient se développer mais nous nous interrogions aussi sur les nombreux obstacles.

C'est donc un constat d'échec et en tout cas l'observation que : "vingt ans après les crises balkaniques, la France et le Royaume-Uni restent les seuls pays européens pouvant projeter leurs forces dans le cadre d'une action militaire d'envergure."

Ce qu'on ne pouvait avec quelques grands Etats, dont l'Allemagne, et a fortiori à 27 Etats, deux Etats, le Royaume-Uni et la France tentent de le faire et se fixent des objectifs : "Nicolas Sarkozy et David Cameron ont décidé de faire ce que l'UE essayait désespérément de réaliser depuis une décennie : entamer un processus partiel mais concret de mutualisation militaire dans l'espoir de préserver leur rang mondial, tout en faisant des économies. Le nouveau couple franco-britannique n'a toutefois pas voulu poursuivre cet objectif dans le cadre du projet européen. Les accords de Londres, en effet, annoncent l'intention des signataires de contourner les institutions communes que l'Union a péniblement créées, plutôt que s'embourber dans les méandres institutionnelles… "(sic)

Est-ce une victoire du Royaume-Uni 13 ans après le sommet historique de Saint-Malo qui avait lancé la défense européenne ? C'est en tout cas sa vision de l'Europe de la défense qui s'impose ! C'est-à-dire, explique l'auteur, "des coopérations bilatérales dénuées de tout projet d'intégration". Fini l'Europe de la défense et la "définition progressive d'une politique de défense commune qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune" prévue depuis le traité de Maastricht de 1991 paraît s'éloigner de plus en plus.

Par ailleurs, cela ne signifie pas qu'il n'y ait plus de divergences entre Paris et Londres. "La France reste attachée à la création d'un quartier-général autonome de l'UE, que Londres persiste à voir d'un mauvais œil. La dispute sur le commandement des opérations en Libye est révélatrice de ce clivage persistant."

Cela montre aussi la complexité de la politique de la France en matière de défense européenne, qui réintègre les structures militaires de l'OTAN mais veut ainsi promouvoir l'Europe de la défense, qui signe les accords de Londres en novembre dernier, "malgré l'existence dans le traité de Lisbonne de plusieurs dispositions, à ce jour inutilisées, dont l'objectif est précisément de relancer la coopération militaire entre les pays membres "…

Cependant l'UE est-elle vouée pour autant à abandonner le projet d'une Europe de la défense ?

La France, comme elle l'avait fait lors de la présidence de l'UE au deuxième semestre 2008, veut relancer l'Europe de la défense. Comme l'indique M. Santopinto : "le 13 décembre 2010, quarante jours après la signature des accords de Londres, la France s'est faite la promotrice d'une nouvelle initiative encore. Elle a rédigé avec l'Allemagne et la Pologne une lettre – qui ressemble à s'y méprendre à une feuille de route - envoyée au Haut représentant Catherine Ashton, pour demander une nouvelle impulsion à la politique européenne de défense. Elle propose, entre autre, de relancer la mutualisation et la spécialisation des capacités militaires de l'UE".

Il faut espérer que cette initiative rencontrera le succès après la présidence hongroise de l'UE. Rendez-vous est pris au deuxième semestre sous la présidence polonaise plus favorable.

Mais, pour le GRIP : "A plus long terme, toutefois, la voie bilatérale présente un risque, amplement souligné par plusieurs observateurs, qui est bien plus grand des avantages qu'elle est supposée apporter : celui de constituer des blocs rivaux à l'intérieur même de l'Union européenne."

Le risque est donc celui de la division entre les Etats européens. Gageons cependant que la voie bilatérale sera elle-même insuffisante. Et nécessitera de s'ouvrir à d'autres pays pour relancer des grands programmes de coopération industrielle et pour disposer de plus de poids sur la scène internationale.

Heureusement, un ouvrage récent de Nicole Gnesotto, ancienne directrice de l'Institut d'études de sécurité de l'UE et experte reconnue de la PSDC, rappelle que "l'Europe a un avenir stratégique mais elle ne le sait pas… " (2) C'est aux hommes politiques de réinventer cet avenir, un bel enjeu de débat pour la présidentielle de 2012.


Sources :

(1) Lire le texte complet : http://www.grip.org/fr/siteweb/images/NOTES_ANALYSE/2011/NA_2011-03-28_FR_F-SANTOPINTO.pdf

(2) Lire le Blog http://www.bruxelles2.eu/lectures-du-week-end-2/leurope-a-t-elle-un-avenir-strategique.html



Edouard PFLIMLIN est journaliste et chercheur associé à l'IRIS 

(http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=pflimlin).

Il est l'auteur d'une note pour la Fondation Robert Schuman : « Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ? ».

Son dernier livre : « Le retour du Soleil levant. La nouvelle ascension militaire du Japon » est paru en juin 2010 aux Editions Ellipses.
http://www.editions-ellipses.fr/fiche_detaille.asp?identite=734

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