par Hery Randriamalala et Zhou Liu, le lundi 16 mai 2011

La campagne 2009 de bois précieux à Madagascar représente au minimum 52 000 tonnes de bois précieux abattu, venant de 100 000 arbres de bois de rose(Dalbergia spp.) et d'ébène (Diospyros spp.) (75 000 minimum, 150 000 maximum) dont plus de 60 000 arbres situés dans les aires protégées, ce qui représente au minimum 4 000 hectares de parc et 10 000 hectares (8 000 minimum, 13 000 maximum) de forêt intacte nonclassée ayant fait l'objet d'une coupe sélective. Le bois de rose provient de la région du Marojejy pour un tiers, et de celle du Masoala pour les deux autres tiers. Environ 500 000 autres arbres (par ex. Dombeya spp.) ont également été abattus pour servir de bois de flottage aux rondins de bois précieux et des dizaines de milliers de lianes ont été coupées pour lier les radeaux. Environ 36 700 tonnes ont été exportées dans 1 187 conteneurs à destination quasi-exclusive de la Chine (50 tonnes d'ébène vers l'Allemagne), pour un prix de vente estimé à 220 millions de dollars américains. Ces exportations ont généré 20,5 millions de dollars (41 milliards d'ariary, en prenant un taux moyen de 2 000 ariary pour un dollar) de recettes pour l'État malgache, qui en est ainsi le premier bénéficiaire, mais talonné de près par le principal exportateur. La fraude pour l'ensemble de la filière est évaluée à 4,6 millions de dollars (9,2 milliards d'ariary), tandis que le montant des devises non rapatriées pourrait s'élever à US$ 52 millions (104 milliards d'ariary). Si cette activité a rapporté environ US$ 1 300 (2,6 millions d'ariary) à chaque intervenant local, le bénéfice moyen d'un exportateur atteint les 75% de son chiffre d'affaire.


Alors que la réglementation prévoyait 13 exportateurs agréés, 23 ont exporté et 20 nouveaux exportateurs sont en attente d'agrément. Aucun rondin exporté en 2009 n'avait la taille minimale requise par la loi. Trois compagnies maritimes (Delmas, UAFL, Safmarine) ont participé à cette activité, mais Delmas est celle qui en a le plus profité et le plus longtemps, tandis que les autres ont arrêté dès qu'elles ont pris conscience de son illégalité.

Trois banques (BOA, BNI-CL et BFV-SG) ont soutenu les exportations, seule la BOA s'en est partiellement désengagée. À au moins trois reprises (1992, 2006 et 2009-2010), l'exploitation du bois de rose a été facilitée par le pouvoir en place peu avant des élections importantes, pour les financer et pour ne pas mécontenter les électeurs des régions d'origine du bois. Sur les 23 exportateurs de 2009, 13 ont déjà été déférés devant un tribunal pour des délits forestiers, dont cinq plusieurs fois. Seuls deux ont été condamnés,
les autres ont été relaxés au bénéfice du doute, tant les lois sont contradictoires et donc peu applicables. Les fautes de procédure de l'Administration forestière expliquent en grande partie ce peu de résultats. Un premier ministre et neuf ministres sous deux régimes différents ont facilité la coupe dans la forêt. Un premier ministre et un ministre, sous les deux mêmes régimes, l'ont freinée.

L'impact sur les aires protégées est un amoindrissement de leur biodiversité, une fragilisation du milieu aux atteintes naturelles ou humaines, qui peut déboucher à terme sur une disparition pure et simple de la forêt. La campagne de coupe de bois de rose est en partie responsable du fort recul de la fréquentation touristique (- 56%) en 2009. Cette filière est un vrai commerce inéquitable, puisqu'au final, la partie chinoise touche 25 fois plus que la partie malgache et 357 fois plus que les villageois de la forêt.

Essentiellement fondée sur une économie souterraine, cette activité a provoqué un net ralentissement économique dans la SAVA, par immobilisation et détournement des capitaux prévus pour la vanille. Ce marasme est sans doute à l'origine d'un pic de mortalité dans la population à la fin 2009, début 2010, et il a causé la fermeture temporaire de plusieurs écoles en brousse. En outre, laisser se développer les exportations massives de bois de rose risque d'amener une criminalisation de la filière, avec l'arrivée à Madagascar de membres de la mafia chinoise.

Le chaos de la réglementation forestière n'est qu'apparent, il cache en réalité un ordre supérieur. La finalité de la classe dirigeante n'est pas de développer le pays, mais de conquérir le pouvoir puis de le conserver en favorisant les relations interpersonnelles et le jeu du clientélisme. Sa responsabilité dans la campagne de 2009 est à cet égard totale. Le quasi silence des bailleurs de fonds est la conséquence de la suspension de toute aide autre qu'humanitaire après le 17 mars 2009, ce qui leur a enlevé toute influence. La campagne de coupe 2009 consacre l'échec de la Vision de Durban et de la ligne écologiste dure, qui veulent chasser l'homme de la forêt protégée, ainsi que l'échec local (au moins pour les aires protégées du Nord-est malgache) et psychologique du Plan National d'Action Environnementale.

Après avoir analysé le point de vue du vendeur, comprendre les motivations de l'acheteur, la Chine, est nécessaire. Si l'érosion des sols et la désertification sont considérées comme deux problèmes environnementaux importants de la Chine, la déforestation en cours dans ce pays depuis 50 ans en est la cause essentielle. Les inondations de 1998 ont affecté 240 millions de personnes et obligé le gouvernement à prendre des mesures draconiennes : le Programme de Protection des Forêts Naturelles (Natural Forest Conservation Program ou NFCP) et le Programme de Conversion des Terres en Pente (Grain To Green Program ou GTGP). La Chine a dépensé en 10 ans près de US$ 54 milliards, déplacé et reconverti plusieurs centaines de milliers de personnes, pour protéger ses forêts et lutter contre les conséquences d'une déforestation et d'une agriculture incontrôlées. Depuis l'interdiction de coupe sur le territoire national, les importations de bois en provenance des pays tropicaux et tempérés ont été multipliées par 6.

La Chine est, derrière le Japon, le 2e importateur mondial de bois en provenance de forêts tropicales humides. Ces deux pays protègent donc leurs propres forêts en « exportant de la déforestation ». La Chine importe des rondins de préférence à toute autre forme de bois en raison des avantages fiscaux liés à cette activité, de la possibilité d'utiliser les copeaux pour produire de l'énergie et parce que la corruption dans cette filière est plus répandue que dans celle des produits transformés, ce qui facilite l'exportation des rondins abattus illégalement. Son goût pour le bois de rose s'explique par l'importance grandissante de sa classe moyenne pour laquelle le nec plus ultra est de s'offrir des meubles de style Ming, donc en bois de rose. En 2008, le Myanmar (Birmanie) et le Mozambique étaient les principaux fournisseurs de bois de rose de la Chine. Avec 36 000 m3 exportés en 2009, Madagascar est en train de prendre un rang comparable à celui du Myanmar.

Pour redresser la situation forestière de Madagascar, nous formulons douze propositions :


  • enlever au Gouvernement le pouvoir de réglementer le secteur forestier au gré des circonstances;

  • fixer par la loi un contingent national et annuel d'arbres à couper, pour chaque essence;

  • l'État définit seul sa politique environnementale. Le rôle des bailleurs de fonds et des ONG internationales se limite à l'aide financière inconditionnelle, à la formation, à l'expertise scientifique, à l'appui à la mise en oeuvre et au contrôle;

  • regrouper à Antananarivo tous les services de l'État nécessaires aux exportations de bois précieux, pour faciliter la lutte contre la corruption ;
    imposer une Étude d'Impact Environnemental avant l'attribution de tout lot d'exploitation forestière;

  • l'État malgache propose à la prochaine réunion ad hoc l'inscription de toutes les espèces du genre Dalbergia sur l'annexe II de la CITES (Convention Internationale sur le Commerce des Espèces Menacées d'Extinction);

  • imposer dans le cahier des charges des lots forestiers des actions de reboisement à la charge de l'exploitant, à base d'espèces endémiques exclusivement, sur la base de trois arbres replantés pour un de coupé;

  • créer et imposer un label d'Eco-Certification pour toutes les exportations de bois de Madagascar et interdire l'exportation du bois brut;

  • retirer définitivement l'agrément d'exportation et le permis d'exploiter aux opérateurs dès qu'ils sont condamnés par un tribunal pour des délits forestiers;

  • saisir tous les dépôts de bois précieux et les détruire en mettant en oeuvre des fonds de contrepartie;

  • inverser la charge de la preuve de l'origine du bois. C'est à l'exportateur d'apporter la preuve légale que chaque rondin de bois de rose ou d'ébène provient de son lot forestier;

  • doter le port de Vohémar d'un pont-bascule permettant la pesée des conteneurs et fixer le prix FOB à US$ 6 000 la tonne pour le calcul de la redevance à l'exportation.


Résumé d'un dossier paru dans le journal Madagascar Conservation et Développement: http://www.mwc-info.net/en/services/journal.htm


Autres liens :

Randriamalala, H. & Liu, Z. 2010. Bois de rose de Madagascar : Entre démocratie et protection de la nature. Madagascar Conservation & Development 5, 1: 11-22. Supplementary Material.
http://www.mwc-info.net/en/services/Journal_PDF%27s/Issue5-1/MCD_2010_vol5_iss1_Rosewood_democracy_Supplementary_Material.pdf

Entre démocratie et protection de la nature. Madagascar Conservation & Development 5, 1: 11-22.
http://www.mwc-info.net/en/services/Journal_PDF%27s/Issue5-1/MCD_2010_vol5_iss1_Rosewood_democracy.pdf

Innes, J. L. 2010. Madagascar rosewood, illegal logging and the tropical timber trade. Madagascar Conservation & Development 5, 1: 6-10.
http://www.mwc-info.net/en/services/Journal_PDF%27s/Issue5-1/MCD_2010_vol5_iss1_Spotlights.pdf

Schuurman, D. & Lowry II, P. P. 2009. The Madagascar rosewood massacre. Madagascar Conservation & Development 4, 2: 98-102.
http://www.mwc-info.net/en/services/Journal_PDF%27s/Issue4-2/MCD_2009_vol4_iss2_rosewood_massacre.pdf

Patel, E.R. 2007. Logging of Rare Rosewood and Palisandre (Dalbergia spp.) within Marojejy National Park, Madagascar. Madagascar Conservation & Development 2, 1: 11-16.
http://www.mwc-info.net/en/services/Journal_PDF%27s/Issue2/Logging_of_Rosewood.pdf?ID=845&PID=4412

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