par Patrick Martin-Genier, le jeudi 19 mai 2011

Les commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat se réunissaient conjointement au Sénat le 18 mai 2011 en présence de plusieurs députés européens et leurs présidents respectifs, MM. Bizet et Lequiller.

A l'occasion de cette réunion, les parlementaires n'ont pas mâché leurs mots voire même leurs récriminations à l'égard à la fois de la commission européenne et des chefs d'Etat et de gouvernement.




Rigueur oblige, mais il ne faut pas oublier les citoyens européens

Pour Sylvie Goulard, députée européenne (Modem), rien, s'agissant du paquet " gouvernance" ne pourra se faire sans le Parlement. Pour elle, le projet en cours doit renforcer la discipline grâce à la majorité inversée pour lancer des sanctions en cas de manquement aux règles budgétaires européennes, en s'opposant à tout marchandage au sein du conseil des ministres (une proposition de sanction de la commission serait adoptée sauf si elle était rejetée par le conseil, c'est-à-dire massivement…)

S'il s'agit de faire de la macro-économie ensemble, c'est bien. Le scénario est d'envisager des logiques de sanctions possibles contre les États tout en excluant l'introduction d'un contrôle. Il y a donc une tentative pour faire mieux converger les économies des pays membres, d'analyser indicateurs pour détecter les déséquilibres, avec une analyse approfondie ; ensuite, le conseil pourrait déclencher des sanctions.

Le problème est que la commission a tout pouvoir pour définir les indicateurs. Ce sujet est également très sensible en Allemagne qui craint de voir mettre en cause, par exemple, le surplus de la balance commerciale…Pour Sylvie Goulard, parler des problèmes de surplus des balances commerciales, permettrait de préserver la dignité des pays faibles...Il n'est pourtant pas sûr que le but puisse être atteint de cette façon à supposer même que préserver la dignité des Etats fasse partie de l'objectif recherché…

La députée européenne, crescendo, a ensuite mis en garde les Etats contre le risque d'oublier l'objectif du traité européen qui est d'assurer le bien être des Européens. En fin de compte, elle n'a pas mâché ses mots en affirmant : " je n'associerai pas mon nom, en tant que rapporteur, à un mauvais paquet qui ne comprendrait pas un minimum de choses qui me paraît important."

Le conseil des ministres a mis la pression sur le Parlement européen et la députée a alors, par-delà la salle feutrée du Sénat, interpellé les chefs d'Etat et de gouvernement en déclarant : "Arrêtez de raconter n'importe quoi, il y a un rythme parlementaire !".

Faire de la rigueur intelligente

Jean-Paul Gauzès, député européen (PPE) a pointé du doigt ce qui oppose la droite à la gauche en ce qui concerne la façon de considérer les investissements utiles ( éducation, recherche, environnement par exemple) sur lesquels la rigueur ne devrait pas s'exercer et qui devraient être neutralisés dans le calcul du seuil de 3% de déficit du PIB.

Le PPE a tenu à rappeler que le seuil de 3% constitue un seuil maximum et non un seuil de tolérance, parlant de "point de fracture" avec le parti socialiste.

Et, selon le parlementaire européen, la marge de manœuvre politique est très étroite. Il n'est pas sûr que le Parlement arrive à faire bouger les lignes en l'absence de souffle européen. Il cite ainsi le règlement sur les agences de notation qui n'est pas appliqué et les dispositions relatives aux banquiers, évoquant douze pays "qui n'ont strictement rien fait".

Pour sa part, son groupe politique réclame aussi de la rigueur intelligente.

Qui dirige l'Europe ?

Richard Jung, sénateur (PS)représentant les Français de l'étranger, est resté quant à lui fidèle à son euro-scepticisme en dénonçant ces "pays nordiques qui nous imposent leur morale luthérienne" pour conclure "c'est l'Allemagne qui décide…"

Pierre-Bernard Raymond sénateur, qui fut le premier secrétaire d'Etat aux affaires européennes dans le gouvernement de Raymond Barre, s'est lui aussi montré sévère. Il y a un vrai problème sur les modalités du "trilogue". Il est important de tenir compte ce qui vient du Parlement européen alors qu'on lui dit "taisez-vous !"

Pour lui, ou bien le populisme se développera car l'Europe sera incapable de procéder à un transfert de souveraineté, ou il y devra y avoir un surcroît de délégation pour construire l'Europe politique.

Or les États ne veulent pas déléguer. Car l'intérêt national à court terme est encore dominant : il s'agit là d'un problème fondamental.

Pour Mme Goulard, : "M. Van Rompuy doit apprendre à dialoguer un peu plus."

Pour Christophe Caresche député PS de Paris, avec la rigueur généralisée "on va avoir des problèmes de croissance" et "la position allemande me semble excessivement rigide" car pour lui, le problème des déficits c'est aussi le problème des excédents.

Pierre Lequiller, député des Yvelines président commission affaires européennes de l'Assemblée Nationale, est enfin intervenu sur la politique commerciale. Pour lui, les négociations du cycle de Doa sont encalminées telle "mule qui ne veut pas avancer", reprenant l'expression de Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce. De nouvelles concessions seraient en cours sur le volet agricole de la part de l'Europe. Or, pour le député des Yvelines, il s'agit de défendre une place forte et il faut "se battre sur la PAC."

Annick Girardin députée (PRG) de Saint-Pierre et Miquelon, sur ces questions, estime que "la commission ne joue pas le jeu de la transparence"

Le Canada sera gagnant...On fait des concessions sur l'agriculture et sur la pêché et on va en faire sur l'environnement, car le Canada n'a pas l'intention de changer sa façon de travailler et de forer...Quel est l'intérêt de passer ce gendre d'accord ?

En fin de compte, les parlementaires ont, au cours de cette commission conjointe, exprimé assez largement leur mécontentement sur l'évolution en cours s'agissant de ces dossiers majeurs pour l'Union européenne et les citoyens européens, tous bords confondus…


Patrick Martin-Genier est maître de conférences à Sciences-Po Paris, spécialiste des questions européennes.




Organisations en lien avec Fenêtre sur l'Europe :