Avec l'euro, l'Europe a opté pour un fédéralisme monétaire qui protège sa cohésion, mais sans l'accompagner de l'union économique correspondante, pourtant prévue au traité de Maastricht. Le président de sa Banque centrale Jean-Claude Trichet est bien placé pour pointer l'absence d'un fédéralisme budgétaire. Que dire alors d'un fédéralisme politique ? L'échec du traité constitutionnel, remplacé par un traité de Lisbonne amoindri, aura été le dernier marqueur d'une tentative politique avortée.
On en vint ainsi à considérer l'union monétaire plus comme un point d'arrivée qu'un point de départ. Son élargissement prit le pas sur son approfondissement. On ne se préoccupa guère de la doter d'un fonds de soutien. L'Eurogroupe des ministres des finances ne montra aucune appétence pour une gouvernance économique commune mais une grande mansuétude face aux écarts des uns ou des autres. Et la Commission préféra se cantonner dans un secrétariat technique.
Il fallut la tempête financière du décrochage grec pour contraindre en 2010 les pays de l'euro à improviser un fonds de soutien, qui a depuis secouru trois d'entre eux ! L'Allemagne opta alors pour son intégration au traité tout en obtenant un nouveau « pacte pour l'euro plus » qui renforce le contrôle des coûts tant sociaux que budgétaires.
Après dix ans d'assoupissement sur les lauriers de l'euro, le réveil a été brutal. Peut-on y voir celui d'un eurofédéralisme ? Les dirigeants européens n'ont pourtant fait que réagir à la pression décisive de marchés aussi inquiets de la dérive des uns que du manque de solidarité des autres. Et leur dispositif est plus intergouvernemental que communautaire : ce sont bien les Etats réunis par consensus et sur pied d'égalité au Sommet de l'euro des 17 ou au Conseil européen des 27 - qui restent au centre du jeu, et non une quelconque instance « fédérale ».
L'essentiel est pourtant d'avoir réussi ces deux nouveaux pas trop attendus. On pourra certes douter qu'ils aient résulté d'un fédéralisme de conviction. Mais on aurait tort de sous-estimer les mérites et les enchaînements d'un fédéralisme de nécessité. Car « nécessité fait loi ». Et Deng Xiaoping avait justement constaté qu'il importe peu que le chat soit noir ou blanc s'il attrape les souris !
Et maintenant ? Un autre précepte, cette fois de William James, revient à l'esprit : "d'abord continuer, ensuite commencer". Il mérite d'être rapproché du principe fondateur de Robert Schuman, inspiré par Jean Monnet : "l'Europe ne se fera pas d'un coup ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait."
En refondant sa solidarité autour de l'euro, l'Europe peut reprendre sa longue marche sur la seule voie aujourd'hui crédible d'un eurofédéralisme : la construction pas à pas d'une union économique intégrée. Il y a vingt-cinq ans, elle s'était déjà appuyée sur l'union douanière de 1968 pour édifier son marché unique à l'horizon 1993. En s'appuyant sur l'union monétaire de 1999, il lui reste à réaliser son union économique au cours des prochaines années. Est-ce réalisable ?
Le cahier des charges, à défaut déjà d'une feuille de route, parait clair. Il faudrait développer l'émission d'euro-obligations mutualisant sous conditions, y compris l'indispensable amorçage d'une coordination fiscale, les dettes des Etats, ce qui faciliterait leur retour à l'équilibre. Il faudrait aussi rationaliser les dépenses publiques en transférant au budget européen, enfin réévalué par des ressources propres, celles qu'on investirait mieux et à moindre coût ensemble que chacun pour soi. C'est alors que le plan Barnier présenté par la Commission pour relancer le marché intérieur prendrait tout son sens, en promouvant des euro-entreprises dotées d'outils communs, des services européens d'intérêt général et des réseaux transeuropéens innovateurs. Mais la question demeure : l'Europe le fera t-elle ?
Comme par le passé, l'Europe peut encore surprendre son monde, voire même ses propres dirigeants. La volonté de ne pas renoncer à l'euro peut et doit l'amener à faire fonctionner, bon gré mal gré, un eurofédéralisme pragmatique démontrant, comme pour l'union monétaire et comme pour l'élargissement continental, qu'"impossible n'est pas européen". C'est alors qu'il sera temps de poser en termes politiques la question de son devenir.
Bruno Vever est secrétaire général d'Europe et Entreprises
http://europe-entreprises.org