par Claude Emmanuel Triomphe, le vendredi 27 mai 2011

New York, Cannes, Londres, Paris, Berlin, Madrid, leurs grand hôtels, leurs femmes de chambre, souvent immigrées. Il n'est pas courant que celles-ci fassent la une des médias. Pour ce qui est de New York, no comment. Il nous semble par contre que la situation de ces femmes est emblématique de notre système – où les plus pauvres servent les plus riches – et nous ramène à ce que sont nos sociétés, à celles et ceux qui les composent, à leur cohésion. L'Europe toute entière vit aujourd'hui dans la schizophrénie : beaucoup de pays s'engagent ou voudraient s'engager sur une réduction drastique de l'immigration en durcissant notablement les conditions d'entrée et de travail.



Ils vont même jusqu'à externaliser nos frontières et déléguer à certains – la Lybie il y a peu de temps encore ! - la régulation de flux migratoires. Mais ces mêmes pays se heurtent frontalement aux pénuries de main d'œuvre et au vieillissement démographique.

En outre, les difficultés économiques et sociales alimentent une rhétorique qui oppose celles et ceux d'ici à celles et ceux de là-bas sur fond d'incivilités et d'insécurités perçues comme croissantes. Et qui tend à propager la croyance selon laquelle ceux d'ici vivraient mieux si le flot des autres diminuait.

Enfin les politiques de répression – dont le bilan négatif est désormais attesté par tous les chiffres - prennent le pas sur celles, souvent fragiles et moins bien dotées, qui voulaient favoriser la cohésion et l'intégration.

En matière d'intégration, concept aujourd'hui si vivement débattu et vocable très français, l'Europe s'est dotée d'un indice qui passe en revue de très nombreux critères culturels, linguistiques, sociaux, économiques et politiques. Le classement établi met en tête la Suède (encore une fois). Et pourtant. Les chiffres suédois du chômage comme le résultat des dernières élections avec l'entrée des populistes montrent que sous l'indice se cache une réalité bien plus nuancée. Ailleurs. David Cameron, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se retrouvent pour proclamer que le multiculturalisme est un échec.

Cet échec, pour autant qu'il soit avéré, engendre potentiellement divers types de réponses. Mais seule l'une d'elle semble aujourd'hui privilégiée par des gouvernements prisonniers du populisme et du court-termisme ambiants, dépourvus d'une vision à long terme de la cohésion sociale. Il faut durcir, dit-on, les conditions d'entrée, de séjour et de travail. Il faut établir un équilibre ajoute-t-on encore entre droits et devoirs. En sous entendant comme au Danemark, que les droits seraient abusifs et les devoirs bien maigres. Mais dans nombre de pays, ces droits ne sont pas au rendez-vous. Les discriminations sont parfois féroces, notamment en France. Le simple fait d'avoir voté une loi portant création du CV anonyme l'atteste ; et son absence de mise en œuvre en dit long sur les pesanteurs de tous ordres.

Le tout répression, on le voit en matière de sécurité publique comme en matière de travail illégal, nous a conduits dans l'impasse. Il renforce paradoxalement les situations illégales en ne leur offrant plus d'issues, et n'inquiète pas, s'agissant du travail au noir, ceux qui y ont recours. En d'autres termes il consolide l'illégalité et les situations infra humaines plus qu'il ne les combat. Enfin, et l'exemple italien des Badanti, ces femmes employées dans des travaux domestiques en Italie, est éloquent : qui viendra demain rendre service au 3e et au 4e âge, pour ne pas parler du premier ? Il n'est que d'y penser pour savoir que le développement des services à la personne passe par un développement de l'immigration mais aussi de l'intégration à tous niveaux. Prétendre l'inverse ne peut relever que de la démagogie.

Pouvons-nous revenir en arrière, vers des sociétés plus homogènes, et en quelque sorte, nous dé-mondialiser ? Cette illusion du moment gagne du terrain. Pourtant c'est ailleurs qu'il nous faut, sans angélisme ni naïveté, aller. Ce sont nos mécanismes d'intégration qu'il faudrait réexaminer, réformer et transformer. Et la sphère du travail qui est chère à Metis ne peut échapper à l'examen. Peut-on par exemple en matière de travail illégal se contenter d'une politique répressive sans penser une politique intégrative ? Peut-on en matière de démocratie sociale et politique se satisfaire d'un décalage aussi criant entre les représentants et les représentés ? Quid des politiques de promotion sociale et quid de l'impact effectif des chartes de la diversité adoptées ces dernières années par de nombreux grands groupes ? Quid enfin de nos politiques éducatives et ce de l'enseignement primaire jusqu'à la formation professionnelle voire la formation syndicale ?

A l'évidence ceci touche tout notre continent. Même les pays d'émigration – l'Irlande hier, les pays d'Europe de l'Est aujourd'hui - se confrontent désormais à des questions d'immigration et à un devenir pluri ethnique. Au fond nous pensions que l'intégration de tous passait par la désintégration de certains. C'est ce postulat qui est aujourd'hui en échec, bien plus que le concept d'intégration qui garde toute sa noblesse, pourvu que nous sachions le refonder au vu de l'expérience comme des défis qui sont devant nous.

Editorial de Métis du 23 mai 2011


Claude-Emmanuel Triomphe est directeur de publication et de la rédaction de Metis.

http://www.metiseurope.eu

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