par Philippe Herzog, le jeudi 16 juin 2011

L'Occident dans son ensemble traverse une crise économique et sociale profonde. De nombreux pays ont accumulé un surendettement privé ou public excessif. La construction de notre Communauté se révèle insuffisante par rapport aux nouveaux défis associés à la mondialisation. L'Europe a été capable d'une formidable renaissance après la deuxième guerre mondiale. Mais ce que nous avons accompli est en danger de désintégration. De nouvelles solidarités doivent être conçues et mises en œuvre pour renforcer notre intégration et notre Union économique et politique.


Retrouver notre inspiration. Plusieurs sources. Foi et raison. La Communauté européenne est un projet de paix et de réconciliation entre les peuples. Nous avons entrepris un dépassement du règne des Etats-nations, dont les rivalités et les guerres ont provoqué la crise de civilisation et les désastres du XXème siècle. Mais l'Union a-t-elle réussi à étendre les solidarités qui se sont construites dans le cadre des Etats-nations ? Pas assez.

1- Première partie : réflexions sur les formes des solidarités de l'Etat-nation à l'Union européenne et leurs limites dans la mondialisation

L'Etat-nation est fondé sur une conception exclusive de la solidarité. A l'intérieur, le Cercle des amis, dénommé aussi le Royaume des frères. L'Etat dispose du monopole de la violence publique, les conflits intérieurs sont réglés par la médiation de la Justice puis l'Etat-providence a été chargé d'organiser la justice sociale. Les différences sont frappantes entre un pays de codétermination – donc de coresponsabilité – comme l'Allemagne, et la France où l'on a délégué "l'ordre juste" à l'Etat. Ainsi s'est formé le Royaume des frères, en dépit des divisions sans cesse renaissantes, tandis que se formaient des frontières séparées d'autrui.

La citoyenneté nationale est fondée sur un principe d'inclusion/exclusion. Au-delà des frontières, sont les ennemis potentiels et nous avons exercé nos logiques de puissance et de domination. Le Traité de Westphalie a permis d'établir en Europe ce qu'on a appelé le "concert des nations". Mais il a sombré au XXème siècle.

La création de la Communauté européenne s'est inspirée de la philosophie d'Emmanuel Kant et de ses propositions pour une paix perpétuelle.

Fondations d'un droit commun, charte des droits fondamentaux.

Création d'institutions communes où les gouvernements s'obligent à discuter de tous les sujets d'intérêt commun.

Avec le marché unique, l'objectif premier a été la suppression des frontières intérieures. L'influence de l'ordo-libéralisme allemand est considérable. Mais l'ordre européen n'intègre qu'une dimension sociale. Un début de droit social commun, oui, mais pas un système de protection sociale commun, pas de partage des responsabilités sociales. Avec la monnaie unique on a mis fin à la souveraineté nationale sur la politique monétaire. Mais la monnaie a toujours été un bien social soumis à garantie publique dans l'ordre économique national. Or les systèmes capitalistes nationaux sont rivaux en Europe, et les politiques économiques nationales ont été non-coordonnées. Limite singulière des solidarités économiques !

Le compromis de Maastricht est donc fondamentalement biaisé : un marché qui faute de biens communs n'est pas un espace de vie commune ; une monnaie qui a créé une solidarité de fait, mais passive, à l'épreuve de la rivalité et la compétition des capitalismes nationaux au sein même de l'Union !

Les limites de nos solidarités sont voyantes lorsque l'on examine nos réactions face au grand élargissement des années 2000. Nous n'avons pas su reconnaître nos frères européens, si longtemps séparés de nous par des frontières et des dictatures. Aujourd'hui encore, beaucoup croient que ce grand élargissement est la cause de l'absence actuelle d'Union politique, alors qu'il révèle tout simplement la carence de nos solidarités.

Vis-à-vis du monde extérieur, les solutions que la Communauté a trouvées n'ont pas manqué de grandeur, mais elles montrent aussi de plus en plus leurs limites. La plus belle réussite a consisté précisément à tendre la main à d'autres peuples pour qu'ils entrent dans la Communauté. Mais notre conscience morale s'est affaiblie au point que la "fatigue" de l'élargissement est sur toutes les bouches. D'autre part, l'Europe communautaire a voulu projeter son modèle et tout particulièrement ses conceptions du droit et de la régulation. Mais ici aussi les limites sont voyantes.

La projection de nos conceptions de la démocratie et du droit et la logique de puissance ont toujours été plus ou moins imbriquées. Leur vertu prouve ces limites lorsque nous sommes en échec grave face aux problèmes de l'immigration. Et nos logiques de sécurité fondées sur la force de nos appareils de défense n'ont pas de prise quand l'ennemi prend la figure du terroriste ; il est un étranger mais nous sommes de plus en plus obligés de le considérer comme un semblable.

De façon générale, la mondialisation percute en profondeur l'Etat-nation et la Communauté européenne. L'Etat-nation n'est plus maître de son territoire (nous sommes profondément immergés dans l'économie mondiale et interdépendants). Et l'Union ne peut plus définir ses frontières (l'extérieur est à l'intérieur, et réciproquement).

La crise révèle alors les limites de notre Union et de nos solidarités. La cohésion se disloque à l'intérieur de la nation, tandis que le marché intérieur et l'euro sont percutés et la désintégration menace. Le tuteur américain est défaillant et nos solidarités avec les autres grandes régions du monde n'ont pas été bâties. Un risque de repli des sociétés nationales est évident, voire de refus d'une intégration plus poussée et même de la mondialisation. Cela peut nourrir des régressions. A bien des égards la situation peut être comparée à celle de l'entre-deux-guerres.

Bien entendu la résilience et la résistance des Etats-nations sont grandes. Et l'on a su réagir ensemble face à la crise avec des politiques keynésiennes qui ont empêché la dépression. L'Union n'est pas à l'arrêt ; elle agit pour restaurer une stabilité et une croissance, mais sur ces deux plans la sortie de crise est encore loin. Faible désendettement, faible investissement. Ne faut-il pas ouvrir la perspective d'une grande transformation des structures, des modèles de marché et d'action publique ? Karl Polanyi y appelait au milieu du XXème siècle.

Il n'est pas inutile de nous rappeler que cette époque ancienne a été marquée par les grands débats et conflits entre le libéralisme et le socialisme. Ces deux cultures sont toutes deux au cœur de la culture européenne et se sont imbriquées. Comme Polanyi l'a révélé, un formidable développement des biens publics a eu lieu, transformant en profondeur les structures et les modèles libéraux. La terre, le travail, la monnaie qui, disait-il, étaient ravalés en marchandises, ont été érigés en biens publics non marchands. De même, les collectivités publiques se sont dotées de nouvelles structures d'intervention dans l'espace économique, avec des dimensions keynésiennes incontestables.

Alfred Müller-Armack a défini l'économie sociale de marché comme "un ordre économique dont l'objectif est de combiner, dans une économie ouverte à la concurrence, la libre initiative et le progrès social garanti précisément par les performances de l'économie de marché". Pour cela il ne suffit pas d'établir des règles sociales dans l'ordo-libéralisme. Entre le droit et la réalité sociale, il y a un gouffre ! Il a fallu mettre en place les structures d'une protection sociale et la financer ; il a fallu assurer l'accès effectif universel à des biens essentiels. Cela s'est fait partout en Europe, et l'Allemagne a été un des principaux modèles. Mais ces transformations sont restées encastrées dans chaque espace national.

Aujourd'hui, nos interdépendances sont telles, dans l'Eurozone mais aussi bien au-delà, que c'est à l'échelle plurinationale et même mondiale qu'il faut concevoir "une grande transformation". Or nous sommes toujours handicapés culturellement par l'opposition stérile entre Etat et marché. Une opposition fausse : il n'y a pas de marché sans Etat garant de l'ordre et des règles que les individus et les organisations privées doivent respecter ; il n'y a pas d'Etat social sans l'assise d'un large marché. Mais surtout cette opposition entre Etat et marché efface la possibilité et la nécessité de structures mixtes. Définir biens publics et biens communs (citer Elinor Ostrom). Ostrom évoque "l'action collective auto-organisée", pour ma part je souligne l'énorme champ/enjeu des partenariats public-privé. Les trente dernières années ont vu une formidable poussée des logiques de marché, qui ont démultiplié les voies de l'innovation mais qui ont fait régresser par rapport au caractère collectif de l'organisation sociale et publique. La crise nous oblige à imaginer de nouvelles formes et organisations d'économie mixte. Cela se cherche au niveau local et régional, c'est très problématique au niveau européen. D'une part ce n'est pas ou peu dans l'agenda libéral ; d'autre part les partisans de la souveraineté nationale exclusive dans l'organisation sociale et publique s'y refusent. Et pourtant la question des nouvelles solidarités pour empêcher la désintégration de l'Union oblige à envisager autrement les logiques de marché et de politique économique. Et des évolutions sont en cours.


2- Deuxième partie : les deux étapes de la rénovation du grand marché, la plate-forme d'une nouvelle croissance et de la cohésion


De janvier 2007 à avril 2011 : une idée qui a germé, un plan d'action, une première étape. Plus de vingt ans ont passé. Des apports considérables, une interdépendance réelle, et pourtant des limites : mobilité des travailleurs très faible, libéralisation des services très difficile… Et des dysfonctionnements :
Libéralisation mais intégration ralentie et déséquilibres intérieurs accrus
Système financier non supervisé et mal régulé
Dilution dans le marché mondial Pourquoi ces limites et dysfonctionnements ?
Résistances et « souverainetés » nationales,
Mais aussi (sans que les institutions ne l'admettent) un modèle de marché défectueux, dont les défaillances sont visibles. L'obsession : un marché pour les consommateurs dont la politique de concurrence est le maître-outil. Mais marché du travail non construit, faibles coopérations.
Et l'on se rend compte aussi que l'appropriation des opportunités du grand marché par les citoyens et par les entreprises est défaillante. « Plus nécessaire et moins populaire que jamais » (Mario Monti).

• Jusqu'à l'éclatement de la crise, le grand marché était compris comme un processus de "libéralisation", c'est-à-dire d'ouverture régulée des marchés nationaux, et l'objectif était de lever les obstacles à son achèvement. Aujourd'hui, à la tête de la Commission, on pense encore que la législation doit viser l'achèvement du marché. C'est une vision réductrice, car il faut ouvrir les yeux aux problèmes de l'accès réel des citoyens et des entreprises au marché, ET se poser les questions du "modèle" de marché que nous voulons : quelle économie sociale de marché, quelles incitations à investir et à engager pour une nouvelle croissance… ?

Avec Michel Barnier, nous avons fait évoluer les conceptions : le grand marché doit devenir une plate-forme pour le déploiement des initiatives et des politiques d'innovation, d'industries et de services, ou encore de cohésion. Ainsi conçu, il acquerrait des dimensions de bien public européen pour une nouvelle croissance. Nous n'en sommes pas encore là, un compromis a été nécessaire, mais l'optique a bougé.

Michel Barnier, porteur des idées de camp de base, d'appropriation, et de pacte pour le grand marché ; Mario Monti présentant les termes d'une grande négociation pour imbriquer la libéralisation et les dimensions sociales et publiques du marché ; le Parlement européen et son rapporteur Louis Grech, clairement en faveur d'une approche holistique équilibrée, tout comme Confrontations Europe, n'ont pas ménagé leurs efforts. Une consultation publique a eu lieu sur la base d'un texte de la Commission présentant 50 propositions. Le Parlement européen, le Comité des Régions, le Conseil économique, social et environnemental, l'ont adopté non sans précisions. Après quoi la Commission a décidé du choix des 12 priorités qui a été ratifié.

Pour autant, l'engagement des européens lors de cette étape n'a pas atteint l'ampleur désirée. Dans les 850 réponses à la consultation, on trouve près d'un tiers d'eurosceptiques ; parmi les autres, une participation importante de groupements professionnels ou de lobbies ; la participation des acteurs sociaux, de la société civile et des Etats est donc restée limitée. Au niveau du Parlement européen, il n'a pas été facile de conduire une approche holistique permettant de dégager les priorités. Pour la finition, il s'est focalisé sur une des sources de conflit, la "clause sociale", c'est-à-dire la demande d'un texte législatif établissant une prééminence des droits sociaux sur les libertés économiques. Cette demande de longue date n'a jamais pu donner lieu à un compromis solide. En fait, sur chaque sujet important, il faut toujours trouver une conciliation entre les droits sociaux et les libertés transfrontières. Mais en se focalisant à nouveau sur ce problème juridique, on n'a pas assez réfléchi au problème de la réconciliation du social et de l'économique. C'est pourtant indispensable face aux réactions – indignées parfois – des sociétés face à l'ordre économique et financier. A mon avis cette réconciliation doit reposer sur des investissements d'intérêt public, des biens publics accessibles à tous, le développement des compétences humaines et la gestion des transitions professionnelles sur le marché du travail.

Du côté des Etats membres, la Grande-Bretagne a répondu à la consultation sur le marché unique avec ses propres conceptions – toutes axées sur la poursuite de la libéralisation –, les autres Etats étant souvent absents dans la communication publique : du côté français on a surtout insisté sur le principe d'une réciprocité dans les échanges avec l'extérieur. Enfin la Commission a brouillé son message en présentant sept communications parallèles en octobre 2010 en même temps que celle sur la rénovation du marché unique, sans aucune synthèse. Les citoyens n'ont rien vu de tout cela : où est le souci d'appropriation démocratique ?

Pour autant, bien qu'en deçà de nos ambitions, les 12 leviers proposés en avril 2011 marquent un réel progrès, suffisamment significatif pour ne pas le bouder.

. La Commission a bougé parce qu'elle a le souci que les objectifs de sa stratégie EU 2020 se traduisent en réalisations concrètes. Or la méthode ouverte de coordination de l'ancienne stratégie de Lisbonne a prouvé son inefficacité. La Commission pense que la consolidation du grand marché est un des outils pour mieux faire. Nous le savons, le marché est plus qu'un outil au service d'objectifs politiques, c'est un bien commun, un lien social à construire. Cela étant, EU 2020 incite à un effort d'approche globale. Dans le SMA, aux côtés des actes de libéralisation, des dimensions non marchandes apparaissent de façon ténue mais visible. Explicitons brièvement ceci, en distinguant pour simplifier les leviers d'appropriation par les citoyens et de cohésion sociale, et ensuite les leviers d'appropriation par les entreprises et de politiques sectorielles.

• Les citoyens ne sont plus ici traités seulement comme des consommateurs, on s'adresse aussi aux travailleurs : la reconnaissance des qualifications professionnelles (passeport européen des compétences), la certification européen des compétences et la portabilité des pensions devront faciliter la mobilité transfrontières. Mais deux limites : on ne s'adresse qu'aux travailleurs qualifiés, et on ne traite pas de la gestion des transitions professionnelles d'un emploi à un autre en passant par la formation (new skills for – better – jobs). Bien sûr les consommateurs ne sont pas oubliés, et l'on veut en faire des acteurs des échanges. Enorme ambition ! Pas seulement la protection indispensable des consommateurs, mais aussi une approche économique. Les consommateurs sont de fait obligés de comprendre leurs choix et si on les écoute et si on saisit leurs signaux, on accroît l'efficacité du marché et de l'offre (cf. services financiers).

Le développement des entreprises à finalité sociale exprime le souci de l'innovation pour répondre aux nouveaux besoins (fonds d'investissement solidaire, statut de coopérative européenne, action transfrontière des mutuelles, fondations). Encore faudra-t-il clarifier l'objectif : social business principalement, ou associations et entreprises d'économie sociale ? Leurs critères d'efficacité ne sont pas ceux de la rentabilité financière, leur gouvernance est partenariale, et leur déploiement se heurte à de nombreux obstacles dans la logique actuelle du marché et de la concurrence.

L'acceptation du grand marché par les citoyens exige une coordination des réformes fiscales. La fiscalité a été favorable au capital plutôt qu'au travail. Le SMA ne fait pas mention d'une taxation sur les transactions financières – pourtant le Parlement européen s'est prononcé majoritairement en ce sens. Mais d'autres sujets sont mentionnés et utiles, comme l'intégration de l'objectif anti CO2 dans la taxation de l'énergie ; l'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés ; et une stratégie européenne pour la TVA permettant de combattre la compétition fiscale intracommunautaire et la fraude.

Le SMA se veut facteur de "cohésion sociale". Mais celui des 12 leviers consacré à cet objectif est est un fourre-tout, un paquet-cadeau ; il a été accepté par le PE mais il me déçoit.
- La demande de clause sociale reçoit certes une réponse positive : une législation sera entreprise pour clarifier la compatibilité entre libertés économiques et droits sociaux dans le domaine des services. Essayons de progresser, à condition de ne pas mobiliser là-dessus l'essentiel des efforts des élus et de l'action sociale dans la prochaine période.
- Légiférer à nouveau sur le détachement des travailleurs d'un pays à l'autre est très souhaité et peut être utile, à condition de réussir à ouvrir le champ de conventions collectives européennes. Mais le syndicalisme européen a été affaibli, il note la chute du dialogue social et le regrette, mais reste très prudent sur la négociation collective.
- Comment concilier la liberté économique de prestation de services et les obligations de service public ? La Commission répond par des dérogations aux règles de la concurrence, avec des tests de nécessité et de proportionnalité. Les règles Altmark sur les aides d'Etat seront assouplies. Mais l'incertitude juridique demeure. Mais proposer une énième communication sur les services d'intérêt économique général ne saurait rassurer ceux qui comme moi militent depuis plus de quinze ans pour la promotion d'infrastructures ou plateformes de services d'intérêt général européens (par exemple pour la mobilité de formation et d'emploi, les transports transfrontières…).

En matière de services d'intérêt général, le Traité de Lisbonne marque pourtant une rupture en établissant une coresponsabilité. L'ambition devrait aller au-delà de la protection des services d'intérêt général locaux et nationaux : vers des biens publics européens. C'est nécessaire pour le développement et les avantages comparatifs du continent : énergie, transports, information ; et aussi pour la formation, la santé, la dépendance, la sécurité civile. On commence à en prendre conscience.

• Pour les entreprises, le souci de l'accès des PME au financement apparait d'entrée. L'accès aux marchés financiers et la promotion européenne du capital-risque sont bienvenus, mais le rôle des banques et des autres intermédiaires financiers n'est pas pris en compte. Comment aider à se développer les PME cotées ou non cotées, répondre aux besoins de financement au travers des cycles et des crises ? Le modèle allemand ne fait pas école. Dommage !

Le souci de l'innovation et de sa mise en œuvre est très clair avec la consolidation des droits de propriété intellectuelle. Rappelons que la propriété intellectuelle vise le bien public : c'est un compromis : elle protège l'initiative-individu mais elle organise aussi la diffusion, le partage des innovations pour la société. Internet bouleverse le champ. Les droits de propriété intellectuelle nationaux sont encore fragmentés alors qu'il faudrait partager de plus en plus informations et idées. Le multilinguisme est "obstacle" et "coût", mais ce devrait être valeur aussi.

Quels défis pour l'éducation et la traduction ! Les nations sauront-elles enrichir leur identité par l'échange ? Le développement de l'offre sur l'Internet nécessite aussi de créer des structures d'appui pour aider les citoyens à faire des choix en sécurité. Un immense enjeu où l'action publique court après le marché mais démarre. Concernant la propriété industrielle, enfin un progrès : la création d'un brevet européen en coopération renforcée (mars 2011) avec deux propositions législatives (protection unitaire, traduction). Autre chantier : le droit des marques (on vise l'équivalence en ligne et hors ligne).

La réforme des marchés publics, autre grand défi : la "commande publique" devrait devenir incitative pour l'innovation sociale et environnementale. Mais l'on bute encore sur la reconnaissance des différentes formes de contrats de coopération, et singulièrement des partenariats public-privé et public-public. Une directive concessions de services sera élaborée, mais légère plus que contraignante. Elle ne pourra pas dispenser d'une approche d'ensemble beaucoup plus compréhensive des partenariats. Saluons un des succès de l'action : une législation sur l'éligibilité des entreprises de pays tiers aux procédures de marchés publics en Europe sera préparée, dans un esprit de réciprocité et d'intérêt mutuel.

On ouvre certes la perspective d'un droit européen des contrats, mais les PPP ne sont pas réductibles à des contrats.

L'approche sectorielle du grand marché se poursuit en priorité dans les services. C'est un vaste domaine où la productivité stagne ou même baisse dans plusieurs pays européens, d'où l'idée qu'il y a là des potentiels de croissance. On visera la standardisation (normalisation) européenne et la possibilité d'effets d'échelles pour la promotion des services aux entreprises (avec aussi des tests de performance et de lutte contre les pratiques déloyales).

La Commission donne aussi et enfin une priorité aux investissements dans les infrastructures de réseaux d'énergie et de transport, pour l'interopérabilité et l'intermodalité. La promotion des projets d'investissements stratégiques d'intérêt européen s'organise. Cette question est complexe : permettez-moi quelques mots sur le cas des réseaux électriques.

C'est à partir de la construction d'un marché "unique" que sont posés les enjeux d'investissement et non à partir de choix collectifs d'intégration économique. A l'origine du souci des infrastructures on trouve le travail volontaire engagé en coopération en 2006 par les groupements des gestionnaires de réseaux et des régulateurs. Dans un espace fragmenté, 7 initiatives régionales sont bâties, dégageant des priorités pour les infrastructures dans une perspective d'interconnexion et en vue de l'"achèvement" du marché. L'UE veut aujourd'hui rendre obligatoires les recommandations de la planification en 10 ans qui découlent de ce travail. L'approche est "économique", le calcul coûts/avantages, la répercussion des coûts d'investissement étant renvoyée sur les tarifs d'accès. Mais gestionnaires de réseaux et régulateurs insistent : in fine les choix sont "politiques". Or les politiques ignorent superbement deux types de problèmes : les impacts des transferts induits /pays, entreprises et ménages. Et les conséquences des divergences de choix politiques quant aux sources (nucléaire, éoliennes off shore…). L'Allemagne et l'UE se polarisent sur l'intégration des énergies renouvelables dans les réseaux sans considérer les effets externes (dont les hausses de tarifs).

C'est dans ce contexte que la définition concrète des projets d'intérêt européen est en cours d'élaboration. Un processus décisionnaire conçu essentiellement en "comitologie" serait inacceptable du point de vue démocratique. Le PE est certes saisi du problème des critères des choix des projets mais le flou règne et l'articulation multicritères n'a rien d'évident. Il faudra créer des structures publiques de coopération et d'appui où l'on décèle des problèmes politiques que le PE ne veut pas ou n'est pas capable de mettre sur la table en préalable.

Quant au financement, c'est le brouillard. La Commission évoque 80% de financement par le marché, 20% "politique" : qu'est-ce que cela veut dire ? Selon d'autres sources, ce pourrait bien être l'inverse. Les questions sous-jacentes des exigences de rentabilité des investisseurs privés, et des risques de "privatisation des avantages, socialisation des pertes" n'ont pas de réponse.

Ceci ne peut que souligner la carence de réflexion sur les structures décisionnelles et le calcul économique publics. Des questions sont soulevées relatives au taux d'actualisation, aux logiques de fonds (fonds de compensation, fonds de financement d'infrastructures), et au besoin de création d'un établissement public. Mais l'argumentation politique autant que technique de ces options reste à bâtir.

Dans le domaine des transports, la "planification" des projets prioritaires avance de façon top down, des sociétés de corridors et des structures de coordination sont proposées. Pour le marché numérique, la fragmentation persistante entre les Etats-membres, créer la confiance des consommateurs, réussir à faire circuler l'information transfrontières en sécurité. Par contre les choix d'investissements sont laissés au privé. Amplifions nos efforts pour saisir ces opportunités et combler ces manques, en cherchant à mieux les fédérer et avec plus d'arguments élaborés. Et préparons sans retard une deuxième étape de la rénovation du grand marché : les douze leviers prioritaires doivent être concrétisés dès 2011-2012, mais la Commission évoque elle-même le besoin de développer d'autres actions et il n'y a pas d'obligation séquentielle.

B.Voici à mon avis trois priorités majeures, qui n'ont pu encore être suffisamment élaborées et défendues.

Nous sommes tous en échec sur la question majeure de l'emploi et de la formation. Et l'Union n'a pas su catalyser des changements : la MOC des années 2000 est rhétorique, les lignes directrices EU 2020 manquent d'outils. L'Union devrait être coresponsable de la mobilité pour le développement des compétences et les transitions professionnelles (vers un marché du travail européen).
- La formation professionnelle et continue pour tous : refuser le dualisme, construire un marché, organiser le financement. Erasmus professionnels.
- Au-delà de la flexisécurité, sécuriser et organiser les transitions. Cela exige anticipation et co-gestion des restructurations donc renouveau du dialogue social (secteurs). Et coopération des services transfrontières (EURES).
- Lien majeur entre la politique de l'immigration et l'organisation du marché européen du travail et de la formation.

Au cœur de la construction d'une nouvelle croissance. Défaillance et limites du marché. L'UE doit définir des domaines d'intérêt stratégique commun (développement humain, recherche- innovation, infrastructures du développement durable) où elle doit susciter les concertations pour "planifier" les priorités (concertation entre les opérateurs et régulateurs, puis choix collectifs). Elle commence à agir dans les domaines de l'énergie et des transports (LB : fret, villes propres…), comme je l'ai indiqué et parfois à créer les structures. Des établissements publics européens seront nécessaires pour les infrastructures et les plates-formes transfrontières afin de résoudre des problèmes majeurs de médiations entre les collectivités (régions-Etats-UE) et pour bâtir les PPP.
- La question du financement est cruciale. Nos initiatives n'ont pas encore abouti. Les investisseurs institutionnels doivent jouer un rôle clé : leur potentiel est sous-utilisé et leur gouvernance a été détournée vers les modèles de marché court-termistes.
- Les normes prudentielles et comptables sont critiquées : elles renforceraient la finance de marché au détriment de l'intermédiation (cf. les ratios de liquidité de Bâle III et Solvency II). La discussion se poursuit. La coordination des politiques nationales d'épargne sera nécessaire (notons que la fiscalité de l'épargne incitent actuellement à la dette plutôt qu'à l'engagement). La proposition des project bonds est intéressante mais discutable et non une panacée (elle concerne les investisseurs privés seulement).
- L'appel aux investisseurs étrangers : une nouvelle donne qui appelle la définition d'une politique pour les IDE. Le grand marché, plate-forme pour des politiques industrielles et camp de base dans la mondialisation
- Le constat en matière de Rd-innovation est alarmant : défaillance de la Rd-entreprises et du capital-risque, externalisation hors d'Europe, départ des chercheurs innovateurs. Dépasser la MOC en allant vers des partenariats Etats-UE, briser le quant à soi national en matière de propriété intellectuelle, de capital-risque et de financement. Et aller à l'aval : production et marché.
- Inégalités majeures entre EM pour l'industrie et violente concurrence intra-communautaire. La gestion globale des chaînes de valeur par les grandes entreprises change les données mais la compétitivité globale de l'Europe dans son ensemble est un souci non encore partagé. C'est la seule grande région du monde qui n'a pas encore de stratégie. Il ne s'agit pas de cultiver la logique des champions. Et on ne doit pas camper dans la seule doctrine d'action horizontale d'adaptation au nouvel environnement. Dans les secteurs d'intérêt stratégique européen, il faut inciter à coopérer pour partager les coûts, concevoir un financement adapté (mutualiser des aides) ; ceci serait compatible avec la concurrence entre les firmes.

• Conclusion de cette partie

Le titre de la communication pour le SMA, Ensemble pour une nouvelle croissance, émet un vœu. Pour le réaliser, chacun doit faire effort, et le défi doit être démocratique, non technocratique.

Malgré le souhait initial de Michel Barnier, ce texte ne propose pas encore un véritable pacte entre partenaires, faisant largement appel aux projets et aux coopérations sur le terrain. C'est si vrai que pour impliquer la société civile, la Commission se propose de publier régulièrement elle-même une liste des 20 principales attentes des citoyens et des entreprises envers le grand marché. Même si cette liste sera présentée à un Forum réunissant " périodiquement" les différents acteurs, il est difficile de voir là une grande ouverture à la consultation : que l'institution liste elle-même les attentes est très top down, alors qu'on a tant besoin d'approches bottom up élaborées et innovantes. De même, la référence fréquente à des évaluations avec des " études d'impact" effectuées au sein de la Commission ou par des organes " indépendants" choisis par elle est une pratique pro-domo, dont le caractère démocratique est peu évident. Les modèles utilisés pour ces études ne donnent lieu ni à une discussion préalable ni à une évaluation pluraliste par la communauté scientifique, les acteurs socio-économiques et les élus. Ceux-ci devraient envisager la création de nouveaux organismes indépendants pluralistes ayant la capacité de concevoir eux-mêmes les problématiques et les études d'impact.

Enfin, nous souhaiterions que les citoyens et la société civile ne subissent pas les conséquences de la segmentation interne de la Commission et des limites de coordination qui en découlent. Y a-t-il eu par exemple études et débats publics préalables concernant l'impact de la mondialisation sur le marché intérieur, et les options à prendre pour que celui-ci ne se dilue pas dans le marché mondial ? Notre idée d'un camp de base dans la mondialisation a percé, mais nous sommes encore bien loin de sa traduction concrète. Nous n'avons cessé d'entendre des préoccupations à cet égard. Ainsi l'élaboration du SMA et celle des politiques du commerce extérieur, de l'industrie, du financement ou de l'emploi encore en devenir, a-t-elle fait l'objet d'une coordination approfondie ex ante ? Nous demandons qu'elle soit effectuée publiquement en fonction des impératifs de compétitivité/solidarité. Les régions, et les institutions publiques plus généralement, se demandent comment elles pourront restaurer leurs perspectives d'investissement et de services en prenant appui sur les règles du grand marché. La dichotomie qui règne entre la conception des règles de marché et celle des outils de financement est perçue comme une grande gêne tant pour les acteurs publics que privés.

Cela étant, nous souhaitons que les acteurs de la société s'engagent plus à fond. Nous leur proposons de coopérer avec eux pour échanger nos vues et clarifier nos choix. Les syndicats pourraient apporter beaucoup au chantier de la réforme du grand marché, il serait dangereux de camper dans une critique radicale, voire un rejet global. Les régions ont commencé d'être présentes, elles sont une force pour l'avenir si leur expertise et leur travail en réseau progressent. Les groupements professionnels ont des potentiels qu'il est possible d'utiliser plus, en les aidant à disposer de la connaissance et du suivi approfondis du fonctionnement intérieur des institutions communautaires. Les élus nationaux doivent être sollicités, et le Parlement européen peut maintenant capitaliser plus à fond son appui à la rénovation du grand marché et sa volonté d'équilibre holistique entre ses différentes dimensions. Pour peu que nous tirions ensemble les leçons de la dernière période et développions notre engagement, demain la réussite de l'Acte pour le marché unique sera au rendez-vous.

3- Troisième partie : Péril pour l'Eurozone et besoin d'une avancée de l'intégration économique. Equilibrer compétitivité et solidarité. Vers un New Deal européen.

• A la réunion du 18 mai à Bruxelles "Rethinking Economic Policy in Europe", J.-M. Barroso a déclaré que l'UE a bâti une gouvernance économique appropriée aux enjeux. Pourtant dans cette même réunion se sont surtout exprimées de grandes préoccupations. W. Schaüble a rappelé que l'Union monétaire ne peut tenir sans une "intégration économique" plus poussée, qui elle-même suppose un nouveau degré d'intégration politique. La crise dans l'Eurozone est systémique ; ce n'est pas une crise de l'euro. Elle est due au fait que chaque pays mène séparément sa politique. Ça ne peut plus durer. Il faut donc s'attaquer au problème de la carence d'intégration politique "dans un cadre constitutionnel" sui-generis.

• Face à la crise dans l'Eurozone déclenchée dans les pays périphériques face à la montagne des dettes publiques ou/et privées, l'UE cherche à prévenir les développements et à mettre en place un mécanisme de résolution. Le contexte de l'économie globale est très incertain, ce qui ne simplifie pas la tâche. Les scenarios de perspectives pour l'Europe ne sont pas sympathiques : crise de dettes souveraines pouvant provoquer un choc systémique ; Union à deux vitesses ; marasme (stagflation). Ceci nous conduit à mieux évaluer la dispositif de gouvernance en vue de le consolider.

• Le dispositif repose sur deux piliers : le MES (suite du FESF) et la gouvernance macroéconomique (Semestre européen conjugué au Pacte "Euro plus"). La discussion fait rage sur l'insuffisance ou nom du MES. La résolution de la crise en cours pourrait nécessiter soit des restructurations, soit des eurobonds. Chacune de ces solutions soulève des problèmes. Le pilier gouvernance associe un SGP plus contraignant et des réformes de structures nationales visant à accroître la compétitivité. La gravité de la crise dans l'Eurozone et les contraintes de rigueur ne masquent plus le fait que faute d'entreprendre la construction de nouveaux potentiels de croissance et de compétitivité, on n'obtiendra pas la stabilité financière et budgétaire (dialectique des deux piliers).

• Ce qui m'amène à approfondir la nécessité du couple compétitivité/solidarité au niveau macroéconomique, à partir du cas des pays périphériques. Les risques récessifs liés aux politiques de rigueur sont considérables, et en même temps plusieurs de ces pays devront bâtir une capacité d'exportation (Grèce, Portugal, Espagne). L'OCDE souligne que le processus de restructuration des finances publiques nécessitera plusieurs étapes douloureuses, ce qui rend d'autant plus impératif le succès des politiques constitutives d'une nouvelle croissance.

• Le semestre européen repose sur la qualité et la cohérence des PNR. Le pacte euro plus repose sur des engagements volontaires en coopérations renforcées.

Pour éclairer la prise de décision, un scoreboard comportant une dizaine d'indicateurs est mis en place. Focus sur les balances extérieures, la compétitivité-coût, et les déséquilibres intérieurs (rapports épargne/investissement et actifs/inactifs).

Ils provoquent débat : lire l'indicateur compétitivité-coûts comme un devoir d'accroître la productivité et non comme une réduction des salaires. Le manque d'indicateurs de coordination fiscale et de cohésion sociale est particulièrement souligné.

Rappelons que les indicateurs ne sont pas des outils de décision mais de réflexion et de débat, les décisions relevant de choix politiques. Dans l'opinion publique, beaucoup pensent, comme Paul Krugman, que la fixation sur la compétitivité est obsessionnelle. Beaucoup en France refusent "le modèle allemand" … Il faut réfuter ces objections. Chaque pays doit relever les défis de l'emploi et de la production pour les marchés, en fonction de ses avantages comparatifs et ses spécialisations. Reste à concevoir aussi un principe de solidarité.

• Je relève trois dimensions à ce problème.
- D'abord la symétrie ou non des efforts. L'Allemagne a-t-elle sa part de responsabilité ? Il faut observer les causes des déséquilibres épargne-investissement. Les banques et épargne allemandes ont financé des dérives : la solidarité de fait passive doit devenir active. Clarifier aussi le rapport salaires / productivité.
- Ensuite, toute solidarité a un coût ! Les allemands le savent : "no bailing out". Mais de fait les pertes sont socialisées. Il faut examiner de front la question des transferts (épargne et fonds d'investissement inclus). De plus l'acceptation sociale est subordonnée à des réformes fiscales (" préalables ") visant les excès de la finance et des rémunérations connexes. Ceci doit se coordonner
- Enfin, comment ne pas noter une dissymétrie : les ajustements reposent sur les Etats mais où sont les engagements communautaires en tant que tels ? L'UE 2020 est ailleurs et sans moyens ! L'UE doit être comptable de ses actions propres pour la croissance et la solidarité (cohésion). Un semestre européen qui ne se pencherait que sur les PNR sans évaluer et impliquer les politiques de l'UE n'aurait pas de légitimité.

• A cet égard, la réforme des perspectives financières sera un test majeur pour notre volonté réelle de solidarités.
- La rigueur frappe partout et chaque Etat-membre veut réduire sa " contribution nette". La proposition Lamassoure-Verhofstadt est de salut public : établir des ressources propres répondrait au principe de solidarité et de démocratie. Et l'on pourrait réduire d'autant la somme des contributions nationales (prélèvement total constant).
- Mais cela ne va pas sans établir la valeur ajoutée communautaire et les économies induites de dépenses nationales. Exemples : immigration, aide au développement, défense…
- Et entreprendre la réforme des grandes politiques communes de solidarité : politique de cohésion, PAC… Alors que les acteurs territoriaux gagnent en responsabilités et changent de nature (métropoles, réseaux, coopérations inter régionales…), l'UE aurait besoin d'une perspective de développement territorial européen (en ce sens, structuration par le marché du travail, les infrastructures, la Rd…). La Commission essaie de recadrer sa politique de cohésion dans la stratégie 2020 : 1) changer de méthode : contrats Etats-régions et Etats-UE ; 2) nouvelle approche du financement (levier pour les investissements articulation fonds + prêts /projets).

Pour conclure

• Lisons avec attention le discours de Michel Barnier à l'Université de Humbolt "Vers une Europe nouvelle". Il pense que "nous nous sommes trompés en parlant beaucoup trop de moteur, de la mécanique européenne, plutôt que de la route sur laquelle nous sommes ensemble, des étapes, de la destination". Désignant les grands défis, qui appellent la construction d'une "société de modération", il pointe justement la nécessité de nouvelles politiques communes en faveur de la croissance du continent, axées sur l'investissement, à commencer par l'éducation. Il indique que l'autorité publique a un rôle fondamental à jouer et que le défi qui commande les autres est celui de la démocratie européenne.

• Il y a urgence à améliorer en profondeur notre laboratoire de démocratie plurinationale européen pour parvenir à créer des solidarités visant une nouvelle perspective de développement durable.

Ceci exige de s'extraire de la gangue de la culture et de la pratique nationale pour que chacun puisse devenir citoyen d'une démocratie à plusieurs niveaux (local, national, européen). En ce sens, la réforme intérieure des institutions nationales est une étape obligatoire. Il faut rapprocher les nations de la Communauté, par une éducation et une information dignes de ce nom, et par le soutien systématique à la formation d'acteurs susceptibles d'agir au sein de réseaux européens. Des pas sont possibles, quand les Parlements nationaux commencent à interagir pour la définition des choix budgétaires, les règles mêmes de fabrication des budgets nationaux vont peut-être être harmonisées.

D'autre part, au niveau de l'Union il ne s'agit pas de miser seulement sur la délibération des choix par le Parlement, on constate les limites des représentations nationales à dégager l'intérêt européen. Des formations plurinationales devront pouvoir être présentées au scrutin électoral. Un renouveau de la société civile européenne, de ses réseaux trans- et plurinationaux, est indispensable. L'échec de la Constitution et la crise de la gouvernance ont induit une régression des formes organisées syndicales et civiles dans les années 2000, qu'on ne saurait considérer comme irréversibles.

Le Pacte pour l'euro, est un jalon possible vers une meilleure appropriation des choix européens par les citoyens nationaux. Et au niveau communautaire, une réforme de la Commission sera nécessaire. Elle n'est plus l'Eglise au milieu du village, ni même un véritable collège. Elle a besoin d'un mandat politique fort et d'une autorité restaurée. Michel Barnier évoque la nomination d'un président de l'Union cumulant la direction du Conseil et de la Commission, élu en Congrès. Il y a d'autres options possibles pour le même but.

Alors que les populismes nationaux progressent, les institutions communautaires doivent se poser plus à fond la question de leurs responsabilités. Derrière les problèmes des formes institutionnelles et de modes de gouvernance qui nous obnubilent et où nous nous enlisons, comment ne pas chercher à retrouver les citoyens et les sociétés réelles ?

• De quelles ressources éthiques et spirituelles disposons-nous pour redonner sens à l'Europe ?

Comment ne pas être frappé par la façon dont l'Europe a été gommée dans les représentations politiques ? Le repli des acteurs sociaux et civiques face aux défis européens, l'amateurisme de la plupart des dirigeants politiques et de leurs experts, la bulle procédurale dans laquelle s'enferment nombre d'acteurs institutionnels européens devraient attirer toute notre attention. Attention danger. Le terrain est prêt pour une radicalité facile qui tire sur tout ce qui bouge, que ce soit le malencontreux projet constitutionnel ou bien aujourd'hui les initiatives positives du SMA et du pacte pour l'euro. Notre démocratie est en danger lorsqu'on laisse envahir l'espace public par une information qui fait appel de façon racoleuse aux réactions émotionnelles, et où les acteurs qui cherchent à élaborer leurs projets n'ont pas place.

Aujourd'hui encore, le sens de l'Europe, c'est la promotion d'un bien commun qui dépasse nos intérêts particuliers et qui porte une idée de progrès universel. Il n'est qu'à observer les défis concrets de tous les jours pour saisir que l'œuvre de paix et de réconciliation doit se focaliser sur les progrès dans les tâches pratiques du partage de biens publics régionaux et mondiaux. Les richesses de la terre, qu'il s'agisse des ressources énergétiques, de l'eau ou des sols, sont encore pillées et dégradées, leur partage, non pas seulement pour réhabiliter l'environnement mais aussi pour en faire un meilleur usage en solidarité est évidemment à l'ordre du jour. Le partage de l'information et des savoirs ne peut être laissé à la seule spontanéité des échanges par Internet, il appelle une révolution de l'éducation et de la formation tout au long de la vie dans une totale ouverture aux savoirs, aux traditions, aux expériences des autres peuples de la planète. L'argent doit être travaillé aussi comme un bien public, car il est un facteur majeur de relation des hommes les uns aux autres, donc de socialisation. Et considérons surtout la richesse des relations humaines comme un bien commun, avec de nouveaux choix éthiques et pratiques pour l'insertion des exclus et la valorisation des migrations.

La référence à nos valeurs ne suffit pas. Des valeurs, ça se travaille ou ça dépérit. Si le pardon a été après-guerre une condition de la promesse d'un projet commun, aujourd'hui il faut concrétiser cette promesse. Cela exige la prise de conscience du fait que notre indifférence aux autres dans l'Union européenne nous nuit ainsi qu'à nos voisins. L'indifférence génère tout autant de violences que la guerre, et nous devons la combattre pour que renaisse la promesse. Une promesse à reconcevoir radicalement. Jadis les prophètes juifs donnaient à voir à leur société la perspective de devenir meilleur pour forger leur avenir dans un contexte aussi violent qu'incertain. Aujourd'hui l'Europe doit puiser en elle-même la faculté d'imaginer et bâtir son avenir en solidarité dans le monde du XXIème siècle.

Texte de l'intervention pour la conférence de la COMECE "The European Union : A Social market economy" à Mönchengladbach les 27 et 28 mai.



http://www.confrontations.org/

Philippe Herzog, président fondateur de confrontations Europe, vient de sortir son dernier livre intitulé "Un tâche infinie.Fragments d'un projet politique européen" publié aux Editiond du rocher

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