par Edouard Pflimlin , le jeudi 23 juin 2011

Comme on l'écrivait il y a un an (1) dans une chronique "Drones Male : l'heure du choix européen a sonné". Depuis, il y a fort heureusement eu des avancées. Lundi, au premier jour du Salon aéronautique du Bourget, le futur drone de combat européen est sorti des limbes au premier jour du Salon du Bourget avec l'annonce par le ministre de la Défense Gérard Longuet de la probable formation, dès cet été, d'une équipe commune franco-britannique de militaires chargés de l'esquisser (2).


C'est le résultat du dernier traité bilatéral entre la France et le Royaume-Uni (3). Cet accord indique que : "Les drones sont devenus essentiels pour nos forces armées. Nous sommes convenus de travailler ensemble sur la prochaine génération de drones de surveillance moyenne altitude et longue endurance. Cette coopération permettra de partager les coûts de développement, de soutien et de formation, et de faire en sorte que nos forces soient interopérables. Nous lancerons en 2011 une phase d'évaluation concurrentielle financée conjointement, dans la perspective de développer de nouveaux équipements entre 2015 et 2020."

"Début novembre, la France et le Royaume-Uni ont conclu un traité militaire sans précédent qui prévoit, notamment, de construire un drone de nouvelle génération d'ici à la fin de la décennie. Les deux pays devraient profiter du Bourget pour annoncer le début des travaux destinés à rédiger le cahier des charges du programme, ce qui permettra de lancer un appel d'offres dans un an et demi", indique Les Echos. (4)

Très attendu par les "opérationnels" français qui ne disposent pour l'heure que d'un drone obsolète et non armé, l'Harfang, ce nouvel appareil dit "Moyenne altitude - Longue endurance" (Male), pourrait entrer en service à la fin de la décennie.

C'est un enjeu crucial : comme l'indique un rapport de l'IFRI (5) : "au-delà de la maîtrise d'un outil militaire clé, le drone MALE représente un enjeu industriel crucial pour le maintien et le développement d'une industrie aéronautique européenne. Du fait de leur rôle crucial en matière de maîtrise de l'information et d'autonomie de commandement opérationnel, les drones supposent aussi la maîtrise par la France de leur développement et de leur production, qui ne peut être satisfaite par des achats sur étagère de systèmes américains ou israéliens."

Ce rapport souligne en effet que les drones MALE sont devenus une composante essentielle des forces armées modernes, grâce à leurs qualités d'emploi :
- une longue endurance (24 heures de vol ;
- des capteurs embarqués : radars de détection de cibles mobiles (SAR/MTI), vidéo infrarouge, couplée à une liaison satellitaire permettant la transmission en temps réel des images recueillies, désignateur laser ;
- la non-mise en danger d'un pilote.

L'enjeu est à la hauteur des défis présents et futurs.

Contrairement à l'Harfang, qui opère actuellement dans le ciel afghan mais reste cantonné à des missions d'observation et de renseignement, ce nouvel avion sans pilote serait armé, comme l'est actuellement l'illustre Reaper américain, porteur de bombes guidées laser et de missiles.

Installée au Royaume Uni "dès la fin de l'été", l'équipe franco-britannique aurait pour mission de définir, dans un délai d'environ un an et demi, un "cahier des charges commun suffisamment précis pour qu'un appel d'offres puisse être lancé", a précisé Gérard Longuet.

La création officielle de cette équipe devrait faire l'objet d'une annonce franco-britannique en bonne et due forme pendant le Salon du Bourget, a précisé le ministère de la Défense français.

Deux projets concurrents

Jusqu'à présent, deux projets industriels se sont profilés. Le premier, porté par Dassault Aviation et BAE Systems, est baptisé Telemos. Il s'agirait d'un drone à l'armement similaire à celui du Reaper. Le second, baptisé Talarion, est proposé par l'européen EADS qui s'est allié en dernier lieu avec un partenaire turc. Il serait non armé.

Inaugurant le Salon du Bourget, le président Nicolas Sarkozy a appelé lundi à "cesser" les "guéguerres franco-française" entre industriels. Sur les drones, son ministre de la Défense a exhorté les industriels à, des propos qui visaient explicitement Dassault et EADS. Il n'y aura qu'un seul drone Male européen, a-t-il prévenu.

Paris considère que la maîtrise technologique de ces drones est "stratégique" et redoute les projets concurrents. "Le risque étant de rejouer la guerre fratricide des années 1980 en matière d'avions de combat qui fait que l'Europe dispose aujourd'hui de deux appareils concurrents, le Rafale et l'Eurofighter. Une perspective impensable pour Gérard Longuet. Le ministre de la Défense a donc demandé à Dassault et à EADS de se parler. Pas gagné, car les deux entreprises se sont déchirées quand elles ont essayé de construire un drone ensemble", souligne Les Echos. (4)

Reste à assurer l'intérim, jusqu'à l'entrée en service du nouveau drone d'attaque européen. L'armée de l'air française ne dispose pour l'heure que de quatre exemplaires de l'Harfang dont le déploiement sur le théâtre afghan a été marqué par de nombreuses pannes. Elle a plaidé en attendant pour un achat de Reaper et la France, dans un premier temps, a effectivement envisagé de recourir à cette solution. Une mission de la Direction générale de l'armement a même été dépêchée aux Etats-Unis pour entamer des discussions avec General Atomics, fabricant du Reaper et du célèbre Predator.

Gérard Longuet estime cependant qu'il n'y a pas réellement d'urgence opérationnelle faisant valoir que cette lacune capacitaire française était comblée en Afghanistan par la "mutualisation des moyens" alliés. Un achat d'attente rendrait "l'avenir (d'une solution industrielle européenne) autonome compliqué", a-t-il également relevé.

L'autre solution, selon le ministre, serait donc de "faire évoluer les produits existants pour les prolonger" ou de "tenter une expérience différente" qui "poserait les jalons" d'une coopération franco-britannique. Quoi qu'il en soit, cette solution intermédiaire devait émerger "fin 2011, début 2012", estime-t-il.

"De manière pragmatique, on fait de l'européen à deux", résumait Eric Trappier, directeur général chargé de l'export chez Dassault Aviation, en février (6) . "La non-décision sur un certain nombre de choses sur les drones fait qu'aujourd'hui il n'y a pas de drone fabriqué ou complètement développé en Europe disponible."

"Cette cacophonie intra-européenne illustre les difficultés du Vieux Continent à unir ses efforts alors qu'il accuse déjà du retard sur les mastodontes américains comme Northrop Grumman , Boeing , Lockheed Martin et General Atomics, ou sur des groupes israéliens tel IAI."

Or, selon les prévisions de l'institut américain Teal Group communiquées à Reuters, les dépenses mondiales en drones devraient atteindre 103,5 milliards de dollars sur la période 2011-2020, dont les trois quarts effectuées par les Etats-Unis et 10 % par l'Europe.

Les futurs avions de combat furtifs pourraient être des drones, au prix d'un coûteux saut technologique, et les choix stratégiques actuels auront des répercussions à très long terme.

"Si on achète des Predator aujourd'hui, cela voudrait-il dire qu'on ne développerait pas de drones de combat en France ?", s'interrogeait en février Guillaume Rochard, associé spécialiste de l'aéronautique et la défense chez PriceWaterhouseCoopers.

Le traité bilatéral de l'Elysée de novembre assure cependant une solution franco-britannique : "Pour le plus long terme, nous évaluerons ensemble les besoins et les options pour la prochaine génération de drones de combat à partir de 2030. En nous appuyant sur les travaux déjà engagés sous la direction du Groupe de travail franco-britannique de haut niveau, nous élaborerons au cours des deux années à venir une feuille de route technologique et industrielle commune. Ceci pourrait aboutir à la décision de lancer en 2012 un programme commun technologique et opérationnel de démonstrateur de 2013 à 2018."

France et Royaume-Uni gagneraient aussi à associer d'autres pays pour réduire les coûts. Là encore, l'Europe doit progresser vers une union sans cesse plus étroite... Le président exécutif d'EADS, Louis Gallois, a souhaité mercredi que le projet de drone de combat européen ne se limite pas à la France et au Royaume-Uni, tout en espérant que son groupe puisse en être partie prenante.
"Ca ne peut pas être un programme franco-britannique. Il faut l'ouvrir à l'Allemagne, à l'Espagne, à l'Italie. Il faut que ce soit un véritable programme européen", a déclaré M. Gallois sur RTL.

La France et la Grande-Bretagne détermineront au plus tôt à la fin 2012 leurs besoins en drones à moyen terme a déclaré mardi le ministre de la défense français Gérard Longuet. En "laissant du temps au temps", les deux pays devraient mettre à profit ce nouveau délai à élaborer le meilleur schéma souhaitable dans l'optique la plus européenne possible.


Sources :


(1) http://www.fenetreeurope.com/php/page.php?section=chroniques&id=0611

(2) « Le drone de combat européen pointe son nez au Salon du Bourget », 21 juin 2011, AFP)

(3) http://www.elysee.fr/president/les-actualites/declarations/2010/declaration-sur-la-cooperation-de-defense-et-de.9948.html

(4) http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/air-defense/actu/0201453742238-armement-nicolas-sarkozy-veut-en-finir-avec-les-gueguerres-franco-francaises-183532.php

(5) Les drones MALE.Quelles options pour l'Europe ?, IFRI, mai 2010 : http://www.scribd.com/doc/41523794/Les-drones-MALE-Quelles-options-pour-l-Europe

(6) « Analyse : Les drones européens sous la menace du syndrome Rafale », Cyril Altmeier, 15 février 2011, Aérocontact France : http://www.aerocontact.com/actualite_aeronautique_spatiale/ac-analyse-les-drones-europeens-sous-la-menace-du-syndrome-rafale~11468.html

Présentation du Talarion : http://www.cassidian.com/cassidian/int/en/capabilities/air-systems/uas-unmanned-aircraft-systems/talarion.html

Présentation du Telemos : http://www.lefigaro.fr/societes/2011/06/08/04015-20110608ARTFIG00561-telemos-futur-drone-franco-britannique.php


Edouard PFLIMLIN est journaliste et chercheur associé à l'IRIS 

(http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=pflimlin).

Il est l'auteur d'une note pour la Fondation Robert Schuman : « Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ? ».

Il a écrit dans l'ouvrage dirigé par Gaïdz Minassian, "Eurasie. Au cœur de la sécurité mondiale", publié en avril 2011 aux Editions Autrement, un chapitre sur "le renouveau de l'architecture de sécurité européenne".

Son dernier livre : « Le retour du Soleil levant. La nouvelle ascension militaire du Japon » est paru en juin 2010 aux Editions Ellipses.

http://www.editions-ellipses.fr/fiche_detaille.asp?identite=734

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