par Noelle Lenoir, le vendredi 24 juin 2011

Il y a une semaine, jour pour jour, la note de la dette souveraine de la Grèce était abaissée, passant de "B" à "CCC". L'un des Etats membres de la première puissance économique et commerciale devenait le plus mal noté au monde, bien plus mal noté que des pays dont le modèle de croissance est pourtant totalement défaillant, plus mal noté que les paradis fiscaux dont le modèle de croissance est fondé sur du dumping plus que sur l'accroissement de richesse. Le signal est fort. Tous les clignotants sont donc au rouge.


Il faut louer le gouvernement de Georges Papandréou qui est confrontée à la crise la plus grave qu'ait jamais traversé un Etat européen depuis les débuts de la construction européenne. Le Premier ministre grec avait pourtant annoncé quelques jours plus tôt un nouveau plan drastique d'austérité et un programme ambitieux de privatisations.

Le déblocage de la dernière tranche d'aide de l'UE et du FMI était à ce prix, un prix élevé l'on en conviendra, si l'on en juge par la réaction des citoyens et la grève générale annoncée. Comment imaginer que la Grèce puisse sortir de la crise en un quart de tour ? Les marchés devraient le comprendre, eux qui savent bien que les banques non plus ne sont pas sorties d'affaires. Un autre décalage est à déplorer, celui qui existe entre l'urgence de résoudre la crise et le temps long, excessivement long, des décisions européennes.

Réunis le 14 juin pour tenter d'écarter le scenario d'un défaut de la Grèce et décider d'un second plan d'aide, les Ministres des Finances de la zone euro se séparaient sur le constat de leurs divisions, entrainant immédiatement un recul de l'euro. Une semaine plus tard, une rencontre entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy le 17 juin 2011 posait les bases d'un accord dans la perspective du Conseil européen du 24 juin, mais un Conseil non décisionnaire, la décision sur le plan II pour la Grèce étant reporté au 11 juillet, sinon même en septembre 2011 [1] !

Décidément, il faut passer à un régime supérieur, maintenant. Et ne nous voilons pas la face, la seule solution durable passe par un fédéralisme économique et budgétaire sans lequel l'Europe finirait de crise en crise, à se déliter.

Après la crise de la dette privée, la crise de la dette souveraine

C'est l'éclatement en 2008 de la bulle financière, après que les banques aient inondé les marchés avec des crédits toxiques et autres produits exotiques, qui est à l'origine de la crise de la dette souveraine. Et maintenant, il reviendrait aux seuls Etats et à leurs contribuables de faire face !

Certes, plusieurs pays en Europe, comme la France, et davantage encore la Belgique ou l'Italie, ont de longue date un endettement excessif. Mais cet endettement n'a jamais eu l'ampleur de celui des Etats-Unis qui les rend largement dépendants aujourd'hui des épargnants chinois. Si la crise bancaire, en se répercutant sur les finances publiques des pays européens, a encore aggravé la situation, l'endettement des Etats européens ne se compare cependant toujours pas (à de rares exceptions près) à celui abyssal de notre grand partenaire américain. Pourtant, la pensée unique consiste aujourd'hui à affirmer que nous sommes à la veille d'un cataclysme. Il faudrait nous préparer à assister à l'implosion de la zone euro. Par un effet inévitable de château de cartes, la restructuration de la dette de la Grèce entraînerait inévitablement le défaut d'autres pays conduisant inexorablement à leur sortie de l'eurozone. Et à la fin donc de l'euro !

Céder à cette panique généralisée serait une erreur, et même une faute. Ce n'est pas parce qu'une certaine presse anglo-saxonne fait sa une depuis plus de deux ans, jour après jour, sur ce scénario catastrophe, en attaquant sans relâche la monnaie européenne, qu'on doit se déclarer vaincu.

Le fédéralisme économique complément obligé, et désormais urgent, de la création de la monnaie unique

Les conditions de la sauvegarde de l'euro, et de manière générale de l'héritage légué par les pères Fondateurs de l'Europe, sont étroitement liées à la construction d'une véritable Europe politique. Cela implique :

- que les responsables politiques européens, au lieu de céder au défaitisme, aient enfin le courage de s'unir pour rappeler ce que représente l'euro comme force pour protéger l'Europe et son économie ;
- que les décisions nécessaires pour permettre au gouvernement grec de poursuivre son effort de rigueur soient prises immédiatement, au lieu d'être reportées à une date improbable ;
- que, d'une façon ou d'une autre, les banques prêteuses contribuent à aider les Etats après que les Etats les aient aidées, faute de quoi la rigueur deviendra inacceptable par les opinions publiques ;
- qu'un dispositif de mutualisation soit mis en place, à l'instar du "fonds de résolution des défaillances bancaires" proposé par Michel Barnier, permettant aux banques de prendre en charge la faillite d'un établissement, sans avoir à recourir à des aides d'Etat ;
- qu'une législation commune européenne en matière de faillite soit rapidement adoptée, dans un but à la fois de simplification et de protection des créanciers, salariés et actionnaires des banques concernées ;
- que désormais les agences de notation s'abstiennent de noter les Etats et s'agissant des pays membres de l'eurozone apportent leur jugement sur la seule zone euro dans sa globalité ;
- que l'Eurogroupe ait la possibilité de faire lancer de véritables emprunts européens pour aider au financement que requiert, dans un cadre concerté, chacun de ses membres ;
- et que, très logiquement, les politiques économiques – fiscales et budgétaires – des pays de l'eurozone soient enfin harmonisées de sorte que l'Union entre ces pays soit à la fois économique et monétaire, et cesse de boitiller sur son seul pied monétaire !

Plusieurs dirigeants européens ont invité à faire le pas de la fédéralisation de la gouvernance économique européenne, à l'instar du Président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, au comportement exemplaire durant la crise, qui a dessiné les contours d'une "Fédération budgétaire" (lors d'un discours prononcé à l'occasion de la remise du Prix Charlemagne 2011 à Aix-la-Chapelle le 2 juin 2011. Voir également son entretien au Monde le 31 mai 2011), qu'il appelait de ses vœux. Le président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, et le Ministre italien des Finances, Giulio Tremonti, s'étaient quant à eux ouvertement prononcés en faveur de l'émission d'obligations européennes souveraines en décembre 2010. Michel Barnier, l'un des plus influents membres de la Commission européenne, appelait les dirigeants européens à "un acte de refondation politique délibéré de l'Europe" (Discours prononcé à l'Université de Humboldt du 9 mai 2011).

L'Europe ne pourra indéfiniment rester au milieu du gué. Chacun le sait bien : il ne peut y avoir durablement de fédéralisme monétaire sans fédéralisme économique. A défaut, l'Europe restera un acteur secondaire et ses citoyens finiront par s'en détacher.

Au diable le défaitisme et vive le fédéralisme européen !

Edito du Cercle des Européens du 20 juin 2011
http://ceuropeens.org


Noëlle Lenoir, est ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes. Elle est présidente de l'Institut d'Europe d'HEC et du Cercle des Européens 

http://www.hec.fr/institut-europe

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