par Patrick Martin-Genier, le dimanche 17 juillet 2011

Pour les habitués des us et coutumes du langage diplomatique, on aurait pu s'attendre de la part de son Excellence l'ambassadeur de Pologne en France, M Tomasz Orlowski qui s'exprimait au Sénat à l'initiative du mouvement européen France mercredi 13 juillet dernier, à un langage convenu dont il aurait fallu déchiffrer les messages prudents et codés.



Une vraie conviction européenne

Tel ne fut pas le cas pour le plus grand bonheur des auditeurs. S'exprimant avec clarté et précision ainsi qu'avec une grande clairvoyance, les invités du mouvement européen ont pu apprécier une conférence vivifiante où l'on a pu enfin sentir, une fois n'est pas coutume, une vraie conviction européenne, reflet incontestable de la volonté de la Pologne d'aller de l'avant en matière de construction européenne.


Dans la droite ligne défendue par son gouvernement, l'ambassadeur a été on ne peut plus clair : l'avenir sera plus prometteur si l'on agit ensemble et il ne faut pas "céder aux sirènes qui disent que l'Europe c'est fini". L'Europe doit ainsi aller de l'avant et celle-ci on n'a pas le droit de reculer" a dit M.Orlowski ; il s'agit d' "approfondir la construction européenne."

Faisant preuve d'humour il a estimé que si on citait souvent la phrase de Jean Monnet selon laquelle l'Europe se fait souvent dans les crises, il n'était tout de même pas un adepte de ce type d'avancées. Pour lui en effet et cela est d'une grande sagesse, on ne peut pas se permettre de faire des avancées à la seule suite des crises européennes : il s'agirait là d'une position trop défensive.

L'utilité de la présidence tournante de l'Union européenne

La question que tout à chacun peut se poser est de savoir en revanche à quoi sert désormais une présidence tournante dès lors qu'il existe en effet, en la personne de M.Van Rompuy, une présidence permanente du conseil de l'Union européenne, et ce aux termes du traité de Lisbonne. En effet. Mais sur ce terrain, attention, l'ambassadeur a prévenu : tout le monde a mal vécu la façon dont la présidence tchèque a été traitée.

Pour M. Orlowski, les institutions permanentes et stables de l'Union européenne ne sont pas conçues pour gérer seules les crises européennes. Pour lui, un chef de gouvernement ressent plus les attentes et les besoins des peuples qu'un "fonctionnaire" à Bruxelles, sans que ce mot soit dans sa bouche péjoratif, puisqu'il est lui-même fonctionnaire.

Selon l'ambassadeur, "la présidence tournante (…) ne doit pas avoir une ambition technique mais purement politique". Ce point de vue est somme toute très intéressant et force est de constater que les événements récents lui ont donné raison. On peut en effet concevoir que le fait de diriger pendant dix mois l'Union européenne puisse constituer une sorte de motivation supplémentaire pour le président permanent du Conseil européen afin que ce dernier continue à aller de l'avant.

Les objectifs de la présidence polonaise

Les objectifs politiques de la Pologne sont donc de nature politique. Parmi eux et alors que l'Union monétaire risque d'imploser sous l'effet de la dette publique, il s'agit de ramener la confiance et contribuer à la croissance en Europe, en exploitant notamment toutes les potentialités du marché unique.

Après la chute du mur de Berlin, il s'agit maintenant de faire tomber les petits murs qui entravent les échanges économiques en Europe. Il s'agit aussi de rétablir la confiance que l'Europe peut offrir au monde extérieur.

La Pologne a l'intention de favoriser l'élargissement de l'Europe, même si ce thème, pour reprendre son expression " pas très sexy". La Croatie a ainsi terminé le processus d'adhésion et la Pologne espère être l'Etat qui sera signataire du traité d'adhésion de la Croatie au mois de décembre prochain en tant que pays exerçant la présidence tournante de l'Union européenne. Mais d'autres pays attentent aujourd'hui notamment les pays des Balkans occidentaux. La Pologne souhaite ainsi lancer les négociations avec le Monténégro et la Macédoine.

Apporter une valeur ajoutée au printemps arabe

Il s'agit, sur le sujet plus polémique de la Turquie, d'ouvrir aussi un chapitre de négociations car il n'est pas normal selon l'ambassadeur, que pendant trois présidences successives, rien ne se soit passé avec ce pays, ni aucun chapitre des négociations en vue de l'adhésion ouvert…

La Pologne peut enfin apporter une vraie valeur ajoutée en ce qui concerne la transition démocratique dans les pays du printemps arabe. La Pologne, qui a vécu la dictature communiste, a su se sortir du totalitarisme et construire une société démocratique. Elle doit pouvoir faire partager son expérience de la transition après des gouvernements composés de responsables politiques brutaux et corrompus.

S'agissant des pays arabes libérés du joug de la dictature la Pologne peut les aider à la formation d'une "prise de conscience active de la démocratie" ainsi qu'à la construction d'une société civile : l'expression maîtresse en la matière est "solidarité et optimisme" et sur ce point il est nécessaire de ne pas faire simplement des transferts financiers, mais il convient d'être exigeant "sur le plan des valeurs."

Enfin, la Pologne entend également avancer sur le terrain de la sécurité (défense et énergie).

Il convient de saluer avec force ce discours qui devrait, s'il est suivi d'effet, faire de la présidence polonaise de l'Union européenne une présidence fructueuse et à la hauteur des ambitions qui doivent nécessairement être celles de l'Europe communautaire dans le droit fil de l'héritage de Jean Monnet.


Tomasz Orlowski, au Sénat le 13 juillet 2011






Patrick Martin-Genier est Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris, spécialistes des questions européennes.

Organisations en lien avec Fenêtre sur l'Europe :