par Ahmed Azirar , le vendredi 15 juillet 2011

Alors que l'agenda européen à l'égard du sud de la Méditerranée est fortement marqué par les évènements récents dans la région et que l'Union Européenne sort d'une crise sanitaire qui marque encore fortement les esprits, se déroule en cette période estivale un moment fort des relations agricoles Maroc-UE. En effet, la commission INTA (commerce international) du parlement européen a reçu les responsables marocains afin de débattre pour la première fois du renouvellement de l'accord agricole liant le Maroc à l'Union Européenne. Ce dernier devrait être soumis au vote au début de l'automne prochain par le parlement communautaire.


L'échange de points de vues entre les membres de la commission INTA et le ministre de l'agriculture, Aziz Akhannouche a constitué, pour la majorité des observateurs, un examen de passage réussi pour le Maroc. Le Royaume a en effet pu -pour la première fois- exposer en profondeur son agenda agricole ainsi que le train de réformes qu'il entend dérouler dans ce secteur.

Auparavant, mardi 12 Juillet, la commission Agricole (AGRI) du parlement européen a voté en faveur des thèses défendues par le rapport de l'eurodéputé Lorenzo Fontana, qui rejette l'accord avec le Maroc. Le rapport présenté à la commission, de l'avis de plusieurs observateurs, reflète les positions défendues par un certain nombre de producteurs de l'Union qui militent activement depuis de longs mois pour que l'accord avec le Maroc ne soit pas ratifié.

Tiraillé entre les revendications de certains de ses producteurs et les impératifs liés à sa longue histoire de coopération avec la rive sud de la Méditerranée, le parlement européen se trouve aujourd'hui dans une position où il doit concilier deux extrêmes : remplir ses objectifs stratégiques en termes de politique de voisinage et contenir la grogne potentielle des lobbies agricoles de l'Union.

C'est là un exercice complexe, mais au-delà des discussions techniques-qui ont certes leur importance- il est ici important d'appréhender les enjeux qui vont au-delà du simple accord, car c'est véritablement une partie de l'avenir des relations entre les deux rives de la Méditerranée qui se joue dans l'enceinte du parlement européen.

En effet, l'accord de libre échange agricole est le premier accord de grande ampleur qui devrait être ratifié dans un climat régional marqué par le " printemps arabe", constituant ainsi une partie de la doctrine future relative à la politique de voisinage de l'UE, et dessinant les contours d'une véritable opérationnalisation du Co-développement, qui dépasserait le stade de la déclaration d'intention et du discours.

En effet, depuis plusieurs années, l'Europe affiche son ambition de passer d'une politique d'aide à l'égard de ses voisins du sud à une démarche globale de développement partagé. L'accord de libre échange agricole avec le Maroc s'inscrit pleinement dans cette seconde orientation, et est donc un élément constitutif du débat qu'il convient d'analyser en dépassant les intérêts particuliers, bien qu'il arrive que ces derniers s'expriment avec énergie.

A cet égard, les pouvoirs publics marocains ont clairement affiché leur volonté que les produits du Royaume puissent arriver sur les marchés européens dans des conditions où prime le souci de la qualité, de la sécurité, du respect de l'environnement et du consommateur. Ce dernier, devenu désormais un véritable "consom-acteur", est d'ailleurs vigilant-à juste titre- quant à l'origine et aux conditions d'accès au marché, ce qui rend la démarche adoptée par le Maroc d'autant plus cruciale pour expliquer aux instances européennes sa stratégie agricole et son agenda de déploiement.

Cet agenda est le prolongement naturel d'un plan national ambitieux intitulé "Plan Maroc Vert" qui reflète l'aggiornamento du Maroc en termes de réflexion agricole stratégique, et qui inclut le souci d'insérer le plus grand nombre de petits paysans dans une démarche d'accroissement de leur autonomie.

Ainsi, l'un des objectifs principaux poursuivi par le plan Maroc Vert est de permettre aux petits exploitants d'effectuer une sortie graduelle de l'agriculture vivrière pour se diriger vers une agriculture où la création de revenu est plus substantielle. Cet objectif est appuyé par une démarche d'ouverture maitrisée en termes de libéralisation du commerce des produits agricoles avec l'UE, ce qui ouvre la voie à un "triptyque vertueux" où l'Union comme le Maroc trouveraient leur compte.

En premier lieu, ce mécanisme permet de préserver les filières agricoles sensibles du principe de libre échange total en mettant en place les conditions de protection des acteurs les plus exposés et des zones rurales les plus fragiles. Dans le sens Sud-Nord, l'amélioration de l'accès pour les produits d'intérêts européens est un gage de stimulation de la concurrence et d'amélioration des filières marocaines.

Enfin, le modèle adopté ouvre la voie à une convergence entre la libéralisation des marchés et la modernisation de l'agriculture, facteurs tous deux essentiels à l'émergence d'un co-développement rénové entre les deux rives de la Méditerranée.

Néanmoins, le tableau de la situation ne serait pas complet si l'on omettait d'ajouter que l'Union se trouve aujourd'hui à un carrefour important de son histoire en termes d'accompagnement des processus démocratiques de son voisinage. Processus dans lequel le Maroc a récemment pris le leadership à travers la révision constitutionnelle massivement adoptée par référendum.

Il convient donc de permettre que cette formidable libération des initiatives soit renforcée par un soutien de l'Europe au développement d'une agriculture moderne et solidaire au sein du Royaume, pour permettre à son économie de franchir un pallier important en termes de professionnalisation et de rentabilité.

Or, à travers cet accord de libre échange agricole, le calendrier politique rejoint l'agenda économique. Il s'agit d'un rendez vous à ne pas manquer pour le Parlement Européen, où il pourra faire la démonstration que le discours d'ouverture prôné par Bruxelles peut être suivi de gestes forts dans lesquels il consacre la nature incontournable de la communauté de destins entre les deux rives.


Ahmed Azirar est Professeur universitaire au sein de l'ISCAE (Casablanca), Directeur du Master de Management du Commerce International-MACI de l'ISCAE. Président fondateur de l'Association Marocaine des Economistes d'Entreprise- AMEEN, depuis 2000.

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