par Noëlle Lenoir, le mercredi 03 août 2011

Le projet budgétaire 2014-2020 que la Commission européenne vient de mettre sur la table est en tous points remarquable. Enfin la Commission européenne, qui fut pendant tant d'années pilote de la construction européenne, retrouve la main ! Ou plutôt elle la retrouvera si tant est que les Etats-membres appelés à voter ce budget à l'unanimité, si possible avant la fin 2012, approuvent ses propositions innovantes qui vont dans le sens de leur intérêt commun. Un budget européen pour conjuguer leurs efforts de relance, et de relance par le haut !


Mais force est de constater que si l'Europe ne va pas bien, c'est trop souvent parce que les gouvernements privilégient leurs intérêts court-termistes à une réélection aux intérêts à long terme des populations. L'Europe se meurt de cette tension.

Le budget 2014-2020 : montant modeste et efficacité renforcée

Le "budget pour la Stratégie Europe 2020" que vient de présenter la Commission en juin relève de la formule dite du "cadre financier pluriannuel". Lancée par Jacques Delors en 1988, cette formule a le double avantage de limiter les blocages de la procédure budgétaire annuelle, et surtout de permettre des discussions sur la base d'une véritable vision du rôle des politiques européennes dans le développement du continent.

Le projet de cadre financier pour 2014/2020 tient compte de la crise. Les dépenses sont strictement plafonnées, les priorités resserrées. Globalement, pour les 7ans à venir, ce budget représenterait seulement 1,05% du Revenu National Brut (RNB) des 27 Etats membres : une goutte d'eau dans l'océan des dépenses publiques de ces Etats !

Ses priorités sont concentrées sur quatre politiques décisives pour l'avenir de l'Europe comme puissance économique :

- la Politique Agricole Commune (PAC) reste sanctuarisée et représentera plus de 36% des dépenses ;
- les aides de la politique de cohésion en faveur des régions "en retard de développement" deviennent la priorité number one en atteignant 39% des dépenses budgétaires ;
- la recherche et l'innovation ne sont pas en reste, grâce à des crédits en augmentation (15% du budget) ;
- les infrastructures en matière tant énergétique, que de transport et de technologies de l'information, essentielles pour stimuler la croissance des secteurs concernés représentent 5% du budget.

Retour vers les fondamentaux : un budget de nouveau alimenté par des ressources propres

La principale innovation des propositions budgétaires de la Commission a trait aux ressources propres. Car au fil du temps, la structure du budget européen a été dénaturée. Originellement, les ressources propres (droits de douane et TVA notamment) constituaient la majorité de ses recettes. Aujourd'hui, le budget de l'Europe est alimenté aux 3/4 par des contributions budgétaires des Etats. L'esprit européen en est d'autant perdu.

La Commission propose donc intelligemment un retour aux fondamentaux en prévoyant deux ressources propres pour alimenter plus conséquemment le prochain budget pluriannuel européen : une déjà existante et qui serait "modernisée" – la TVA, et une nouvelle – la taxe sur les transactions financières.

La proposition de création d'une taxe européenne sur les transactions financières, en dépit de son taux infime (entre 0,001 et 0,005%), ne manquera pas de se heurter aux habituelles objections, à savoir qu'elle fera fuir les capitaux de l'Europe ! Ce qui ne tient pas, car on ne comprendrait pas alors pourquoi par exemple les fonds off shore se sont tellement battus lors de la discussion de la directive sur les Hedge Funds pour obtenir un passeport européen pour attirer les épargnants européens…D'un point de vue social et moral, ensuite, il est normal que le système financier, et non pas seulement les ménages et les entreprises, participe à la croissance de l'économie réelle soutenue par l'UE.

Evitons que la démagogie ne s'empare du débat budgétaire européen !

Un budget raisonnable, innovant et qui soude les Européens autour d'une volonté assumée de relance de l'industrie, de la recherche et de l'agriculture : voilà ce que propose la Commission. La logique voudrait qu'il passe comme "une lettre à la poste".

Ne nous faisons pas trop d'illusion. L'Europe est et restera pour longtemps un bouc émissaire commode pour détourner l'attention de difficultés internes.

Les Allemands auraient pourtant tort d'en vouloir au projet de budget européen qui prévoit de reconduire le "chèque" dont ils bénéficient à l'instar de la Grande-Bretagne, mais aussi de l'Autriche, des Pays-Bas et de la Suède et qui plafonne leur contribution à l'UE.

Les Français n'ont pas non plus à se plaindre des résultats des négociations sur la PAC dont ils restent avec d'autres parmi les principaux bénéficiaires.

Quant à la Grande-Bretagne, elle voit non seulement son chèque reconduit, mais que ferait-elle sans le marché européen dont la City est l'acteur majeur ?

Les nouveaux entrants sont enfin les grands gagnants de la politique régionale.

Au total, en dehors même de la force économique d'un marché de plus d'un demi-milliard de consommateurs, l'Europe offre aux Etats des avantages spécifiques que ce budget conforte.

Donc please, évitons la démagogie sur de soi-disant excessives dépenses européennes !

Editorial de Noëlle Lenoir du 28 juillet
http://ceuropeens.org


Noëlle Lenoir, est ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes. Elle est présidente de l'Institut d'Europe d'HEC et du Cercle des Européens 

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