Les évènements se suivent et ne se ressemblent pas vraiment. Mais ils ont tous en commun de mettre en cause la cohésion de nos sociétés et les fondements même de nos démocraties.
La Norvège ébranlée mais pas abattue
La folie meurtrière d'un individu en Norvège a ébranlé la tradition démocrate de ce pays et mis en cause les fondements même d'un modèle de société où la tolérance constitue une règle intangible et de laquelle bien sûr toute forme de violence est exclue. Le peuple norvégien et les autorités politiques ont réagi avec dignité à la suite de ce drame. Tout en en tirant des leçons, la démocratie norvégienne ne sera pas remise en cause de la même façon que le modèle politique suédois n'avait pas été remis en cause lors de l'assassinat en pleine rue du premier ministre Olof Palme en 1986 alors qu'il revenait du cinéma chez lui sans escorte, ou lors de l'attentat raté de Stockholm le 11 décembre 2010. Là aussi, les autorités suédoises ont réagi avec sagesse, ce qui n'exclut pas que les mesures de sécurité soient bien sûr renforcées pour éviter ce genre d'actes criminels mais sans pour autant remettre en cause, encore une fois les fondements même de la démocratie.
.
Etats-Unis : un défaut de paiement évité in extremis
C'est ce même instinct de survie qui vient de prévaloir s'agissant de la dette américaine. Il était évident que le président des Etats-Unis, le sénat et la chambre des représentants ne pouvaient que se concilier face à la menace d'un tsunami qu'aurait représenté un défaut de paiement de l'Etat américain. Cela aurait été tout simplement inconcevable malgré les oppositions politiques entre les républicains et démocrates. Les conséquences d'un défaut de paiement notamment sur l'économie européenne auraient été désastreuses. Ce qui ne signifie pas, loin de là, que l'économie américaine soit sortie d'affaire au moment où le chômage atteint presque 10% de la population active et où la neurasthénie ambiante menace de remettre en cause le début de mise en place d'une sorte de système américain de sécurité sociale.
Le « sauvetage » de la zone euro
C'est encore l'instinct de survie qui a prévalu en ce qui concerne la zone euro. Les commentaires sur le sauvetage de la Grèce n'ont pas été toujours très favorables aux chefs d'Etat et de gouvernement. Beaucoup de commentateurs et d'analystes ont en effet fait valoir qu'en fin de compte la dette était reportée à plus tard et que c'est le contribuable qui serait amené essentiellement à payer les conséquences de ce sauvetage.
Outre le fait que cette vision n'est pas forcément à elle seule pertinente, même s'il est vrai que les contribuables participeront inévitablement à cette opération, les conséquences d'un défaut de paiement de la Grèce eussent également été bien plus désastreuses que l'opération de sauvetage qui a été réalisée sous l'égide notamment de la chancelière allemande, Angela Merkel et le président français, Nicolas sarkozy.
Des grincements de dents se sont encore fait entendre s'agissant d'un accord qui avait été négocié essentiellement entre ces protagonistes dans les nouveaux locaux fonctionnels de la nouvelle chancellerie allemande de Berlin à la veille du conseil européen décisif qui avait entériné ce plan.
Mais encore une fois, l'instinct de survie a prévalu. Comme quoi, même si nous ne devons pas nécessairement partager le point de vue de Valéry Giscard
d'Estaing selon lequel en aucun cas l'euro n'aurait été une seule fois en danger, il ne faut jamais désespérer des responsables politiques qui savent que les échecs, à des périodes clefs de l'Histoire, ne leur sont jamais pardonnés et, dans un premier temps et à court terme, sur le plan électoral.
La nouvelle architecture de l'Europe en voie de conception
Est-ce ce même instinct de survie qui conduit les responsables européens à s'agiter en plein coeur de l'été pour échafauder les prémices d'une future gouvernance de l'Europe ? Même si les chefs d'Etat et de gouvernement sont en vacances jusqu'à la mi-août, force est de constater que les téléphones fonctionnent et que les diplomates, eux, sont au charbon
Ainsi, alors qu'il existait encore voilà quelques semaines des doutes sur le type de nouvelle gouvernance qui serait envisagées, on apprend que l'objectif serait de concentrer entre les mains d'Herman Van Rompuy, le président permanent du conseil européen, les rênes de cette future gouvernance, ce qui, dit-on, aurait le mérite d'officialiser les réunions de la zone euro au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement.
Le premier ministre luxembourgeois et actuel président de l'euro groupe qui rassemble les ministres des finances de la zone euro, serait ainsi purement et simplement déchargé de cette fonction de coordination. Rappelons-nous que Nicolas Sarkozy avait envisagé, lorsque qu'il avait quitté la fonction de président de l'Union européenne, de conserver vers lui cette responsabilité, ce qui bien sûr n'aurait pas été accepté
La commission européenne en voie de marginalisation ?
Outre l'éviction de M. Juncker, le président de la commission européenne continue à ne jamais être mentionné dans les scénarii envisagés, comme si M. Barroso ne faisait plus partie de la scène européenne ou était désormais condamné à diriger un simple secrétariat administrativo-technique, alors qu'aux termes du traité de l'Union européenne, la commission dispose encore du pouvoir d'initiative de déposer des « projets de loi » européennes
M. Barroso semble ainsi avoir du mal à faire prévaloir son point de vue, même s'il était apparu-bien seul- lors d'une conférence de presse à Bruxelles en plein cur de la crise de la dette grecque où il avait affirmé que la crise était « grave »
La commission européenne, qui ne saurait cependant être biffée d'un coup de feutre rouge, aura-t-elle aussi cet instinct de survie ? Sans se prononcer sur ce que sera l'évolution future de l'architecture européenne, la commission risque gros dans cette affaire alors qu'en fin de compte elle n'a, au cours de l'histoire de la construction européenne, jamais démérité.
Le débat s'impose d'autant plus que les enjeux sont importants et que celles et ceux qui président aujourd'hui aux destinées de l'Europe auront eux-mêmes probablement disparus de la scène politique dans les deux ans qui viennent par le jeu normal des élections.
Et de nouveau, la question est de savoir si la vision que les pères fondateurs de l'Europe avaient su faire partager aux responsables politiques il y a cinquante ans puis après va s'éclipser peu à peu, ce qui pourrait mettre un terme à une certaine forme d'intégration supranationale
Il conviendra de surveiller de près l'évolution de ce débat puisque c'est au mois d'octobre que devraient être formulées les premières propositions
Patrick Martin-Genier est Maître de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris, spécialiste des questions européennes.