Nous espérons que vous avez été nombreux à prendre des vacances, les crises, elles, n'ont guère connu de répit. Avec leur part de lumière, en Lybie voire en Syrie, malgré une répression féroce ; avec leur part de menaces en Europe ou aux USA où le piège de la crise des subprimes est en train de se refermer sur les Etats. Metis a comme vous toutes et tous, essayé de suivre les débats, de comprendre les enjeux de situations souvent très complexes, de saisir les mécanismes des crédits defaults et autres ratings, d'imaginer ce que la perte de l'AAA pouvait signifier, de réfléchir aux enchaînements qui en découleraient. Et, pour être un tantinet provocateur, les nouvelles pourraient être bien moins noires que ce que beaucoup prétendent, si l'on veut bien prendre un peu de recul.
Crise de la dette publique : certes les agences de notation privées ont parfois gravement failli et peuvent procéder par prophéties auto réalisatrices. Mais d'une part, elles n'ont que le crédit qu'on leur donne - et moyennant un certain nombre d'actes, on pourrait en partie leur retirer - et de l'autre, la question de la dette publique est aussi réelle que très ancienne, comme l'ont rappelé de nombreux historiens : pour eux depuis l'Antiquité la dette est consubstantielle aux Etats !
L'idée que le monde, ou du moins la partie la plus riche, vivrait au-dessus de ses ressources, économiques mais aussi écologiques ou sociales, est en soi assez bienfaitrice : elle nous oblige à redéfinir ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas, ce qui relève du long terme et ce qui n'en relève pas... ou plus. A l'évidence les mesures d'austérité ne seront pas une sinécure mais on le voit, les arbitrages possibles sont nombreux, du moins pour des pays comme la France (pour la Grèce, le Portugal ou même l'Espagne c'est bien moins sûr).
Et le principe de justice ne peut plus être balayé comme cela a pu être le cas en d'autres temps ou d'autres lieux ! Même les riches - du moins les plus lucides - l'ont compris.
Crise de l'Europe : il est devenu extrêmement clair que la crise grecque, malgré ses spécificités, n'est plus qu'un élément d'un tout. Plus personne n'est à l'abri de la vague, y compris l'Allemagne qui serait touchée si des réactions en chaîne avaient lieu. A travers les euro-obligations, c'est désormais toute la question de la gouvernance économique qui est à l'agenda européen. L'intégration économique est devenue impérative et l'on ne voit pas celle-ci progresser, toutes autres composantes politiques, culturelles et sociales étant égales par ailleurs, selon la formule bien connue des économistes.
Bref, et alors que la crise a souligné les fragilités politiques de l'Union et de ses compromis boiteux, la construction européenne avance, y compris à reculons : c'est devenue une question de survie pour elle et donc pour nous.
Crises sociales: à première vue, il n'y a pas de lien entre les indignés espagnols et la révolte des banlieues britanniques ou encore les rassemblements israéliens. Et pourtant si, car tous portent un refus massif de ce que nos sociétés ont construit socialement dans les dernières décennies, quelle que soit la couleur politique des divers gouvernements en place, avec l'accord explicite ou tacite des "corps" économiques et sociaux constitués. Le mouvement espagnol est par contre le plus positif, car il est porteur d'alternatives et de processus démocratiques, ce dont est dépourvue la révolte outre-Manche. Peu de pays sont à l'abri de ces vagues : l'embrasement des banlieues françaises n'est pas si vieux, l'Italie n'a pas son pareil pour protester. Et des sociétés en apparence mieux organisées - en Allemagne, en Scandinavie - sont soumises aujourd'hui à des pressions auxquels elles ont longtemps cru pouvoir échapper. Quant aux pays d'Europe centrale, avec leur instabilité politique et une transition loin d'être achevée, que feront-ils si demain la croissance n'est plus au rendez-vous ?
Crises écologiques : plus que Three Mile Island ou Tchernobyl, il y aura un après Fukushima. Partout le débat nucléaire - sa sûreté, ses déchets, son coût, son efficacité, ses emplois - bat son plein. Et pourtant, la question de la transition écologique va bien au-delà. Ni les USA , ni la Chine, l'Inde, le Brésil ou les états pétroliers n'échappent aujourd'hui à des redéfinitions de leurs modèles, protocole de Kyoto ou pas !
Par ailleurs, ceux qui ont usé et abusé de la rente pétrolière - ou gazière -n'échappent pas aux tumultes, qu'il s'agisse du Nigéria confronté à la plus forte pollution pétrolière de l'Histoire, de l'Algérie ou des monarchies du Golfe atteintes par le printemps arabe. Le virage écologique est bel et bien amorcé et l'heure des choix a sonné.
Crises démocratiques : le printemps arabe s'est furieusement étendu à de nouveaux pays. Certes, combattre une dictature ne mène pas tout droit à la démocratie et il y a fort à parier que pour certains le chemin sera long et tortueux. Mais faut-il se désoler de la chute de dictatures féroces ? D'autant que les nouvelles du lointain Est ne sont pas mauvaises non plus : la montée de la société civile est impressionnante en Chine et, même si plus discrète, elle est réelle en Russie. Nous en reparlerons très bientôt. Ajoutez les évolutions qui depuis désormais une quinzaine d'années marquent l'Amérique Latine et ne laissent plus guère de pays à l'écart ou plus près de nous, des résistances courageuses à la montée d'un autoritarisme inquiétant en Hongrie voire au Sénégal, il y a de quoi se réjouir.
Tout cela ne relève pas d'un long fleuve tranquille et il ne faudrait pas négliger la montée de populismes dans de très nombreux pays européens. Mais si dans la vie sociale ou politique, l'on sait apporter autre chose que de la peur à la peur, de la régression à la régression mais aussi des discours aux discours , ces mouvements devraient pouvoir être efficacement combattus, contenus, résolus.
Bref, ne jouons pas le jeu de tout va mal et pourrait empirer ! Les crises ne sont certes pas exemptes de gros dangers - bien que leur résolution par la guerre ne paraisse guère envisageable - mais elles sont aussi et surtout ce qu'elles ont toujours été, de formidables passages, des trésors d'opportunité. On aurait pu croire qu'il n'en aurait rien été avec la crise financière, d'autant que depuis 2010, les choses n'avaient finalement que peu changé et que l'on revenait au « business as usal ». Remercions les peuples et, - sans doute à leurs corps défendant, les marchés - d'en avoir décidé autrement ! Ils nous aident non pas à jeter le progrès social aux orties mais à le réinventer. Beau défi non ?
Edito de la lettre Métis du 30 août
Claude-Emmanuel Triomphe est directeur de publication et de la rédaction de Metis.
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