Ceux et celles qui fréquentent les couloirs bruxellois et/ou strasbourgeois auront été surpris par la session plénière du Parlement Européen de mercredi 28 septembre. Lors d'un discours sur l'Etat de l'Union très engagé, José Manuel Barroso a recueilli le soutien d'une très grande partie de la chambre, de la droite aux socio-démocrates en passant par les libéraux. Martin Schulz a apprécié "la combattivité" du Président de la Commission. "Pour la première fois, on a eu l'impression qu'il enfilait enfin le costume de sa fonction", soulignait Alain Lamassoure.
Pourtant, c'était moins une. Depuis plusieurs semaines, la fronde grondait au sein de l'hémicycle contre le Président Barroso, jugé "ne pas être l'homme de la situation" et menacé d'une motion de censure par certains députés libéraux. Proposition de taxe sur les transactions financières, projets sur des "obligations de stabilité" ou encore appel à démultiplier la force de frappe de l'EFSF et à revoir la règle de l'unanimité qui gouverne cette instance sont autant de propositions fortes qui étaient attendues.
Parlement et Commission s'allient pour condamner "la diplomatie des capitales": "un certain intergouvernementalisme risque de mener à la fragmentation".
Cette méthode a indéniablement montré ses limites : de par leurs infractions au Pacte de Stabilité et de Croissance en 2003 et le rejet des sanctions, la France et l'Allemagne portent une responsabilité dans l'échec d'une surveillance budgétaire rigoureuse. Plus récemment, lenteur et stratégie a minima ont été reprochées aux capitales, en plus de la suprématie du duo franco-allemand souvent mal perçue.
Mais n'existe-t-il pas objectivement des motifs expliquant l'importance d'une implication des gouvernements nationaux à l'échelon européen ? Est-ce que M. Barroso est plus légitime que Mme Merkel, dont le pays est le premier sollicité pour la solidarité, s'agissant des choix des mesures de consolidation de l'eurozone ? Est-ce que les citoyens sont prêts à être gouvernés par Bruxelles ? Les parlements nationaux montrent les dents, comme en témoignent les tensions préalables au vote du Bundestag du 29 septembre.
Rejetant le fait que le couple Merkel-Sarkozy tire les choix de gouvernance économique de la zone euro et veuille faire de M. Von Rompuy "le Monsieur Euro", M. Barroso affirme que "la Commission européenne est le gouvernement économique de l'Union". Mais, n'est-ce-pas oublier le fait que, dans les traités, les institutions communautaires n'ont pas encore de véritable mandat pour construire une politique macroéconomique?
Nombre de parlementaires observent qu'au sein de la Commission, la décision collégiale n'est pas évidente en raison d'un fonctionnement en silos ; éléments qui viennent contrarier cette ambition. Mais surtout, l'exécutif européen est aujourd'hui quasi-bicéphale, les politiques budgétaires nationales impliquent une coopération entre les gouvernements tandis que le budget européen n'est pas bâti pour une politique conjoncturelle.
Nous sommes d'accord pour aller vers un gouvernement économique de type fédéral pour l'eurozone. Pour y parvenir, il faut, pour rétablir la confiance, établir un leadership politique qui suppose de créer une entente entre Commission et Conseil. Les querelles de prérogatives laissent un goût amer aux citoyens et ne répondent pas aux enjeux fondamentaux de la légitimité. M. Trichet en appelle à "l'esprit d'équipe", nous parlons d'Union Sacrée ! Il y a le feu, ne l'oublions pas ! Guy Verhofstadt a plaidé à juste titre pour "un big bang" en matière de convergence économique, fiscale et sociale.
Il faut avancer par étapes vers cet exécutif supranational pour l'eurozone. D'où l'intérêt de la proposition Trichet-Barnier d'un Ministère de l'Economie européen : pourquoi ne pas penser une structure dirigée par une personnalité politique, rassemblant des fonctions de la DG ECFIN et de l'Eurogroupe, et devant rendre des comptes devant le Parlement européen et les parlements nationaux ?
Déjà, réglons au plus vite la question problématique de l'unanimité de décision au sein de l'EFSF. M. Barroso ouvre une piste à suivre en réclamant une structure de vote comparable à celle du FMI où les décisions se prennent non pas à l'unanimité mais à 85% des voix. Les payeurs restent les décideurs mais le veto d'un membre ne doit pas pouvoir bloquer le système.
Un dernier mot : une telle structure pourrait prendre enfin- à bras le corps la question "oubliée" de la croissance, pourtant aussi essentielle que la rigueur dans une véritable politique macroéconomique, un point d'ailleurs souligné lors du rejet du "Paquet de Six" par les députés socialistes et verts.
Interface n°70 de Confrontations Europe
Carole Ulmer est chargée d'études à Confrontations Europe
http://www.confrontations.org