par Guillaume Allier, le jeudi 13 octobre 2011

La sortie des pays surendettés de la Zone Euro, voire l'explosion pure et simple de l'Union Monétaire, sont deux hypothèses parfaitement envisageables et envisagées pour nous sortir de la crise que nous traversons aujourd'hui. Dans un rapport paru en juillet 2010, Mark Cliffe, responsable des études sur les marchés financiers de la banque ING, s'est proposé de quantifier les conséquences de tels scénarii1. La conclusion est sans appel. Un an après la parution de ce rapport, qu'en est-il de la réalité ?


La (dé)croissance économique

Selon le rapport Cliffe, que ce soit en cas de sortie de la Grèce ou en cas d'explosion totale de la Zone Euro, la croissance économique en Europe serait très sévèrement plombée. Il établit le potentiel de croissance de l'Allemagne à 5.5% sur la période 2009-2012 si la situation reste stable. Si la Grèce sort de l'euro, le pays hellénique aurait un taux de croissance négatif atteignant -3.5% sur la période 2010-2012 ; l'Irlande, l'Espagne et l'Italie connaîtraient une croissance proche de 0, voire légèrement négative ; même l'Allemagne perdrait 2 points de croissance par rapport à son potentiel.

En revanche, l'éclatement de l'Union Monétaire serait une catastrophe pour tous les pays : l'Allemagne perdrait 9.5 points de croissance du PIB par rapport à son potentiel de référence ; le Portugal, l'Italie, l'Espagne, l'Irlande et la Grèce verraient leur croissance tomber jusqu'à -9.5% sur la période 2010-2012 ! Et la fièvre dépressive toucherait aussi sérieusement des pays hors Zone Euro : les pays d'Europe Centrale connaîtraient un taux de -10% de croissance, le Royaume-Uni -3.5% et les Etats-Unis quasiment 0%.

Bien que la Zone Euro n'ait pas (encore) explosé, la situation est-elle plus réjouissante pour autant ? Pas pour tout le monde. Dans certains cas, la réalité rejoint même dangereusement la fiction. Alors que la Grèce, le Portugal et l'Irlande devraient à nouveau connaître une dépression cette année (avec des taux de croissance négatifs de -4.2%, -2.4% et -0.3% respectivement, après une année 2010 également négative), l'Espagne, l'Italie et la France devrait s'enliser durablement dans une récession : leur taux de croissance ne devrait pas excéder 0.6%, 0.6% et 1.7% en 2011 respectivement. Et leurs perspectives ne sont pas meilleures pour 2012. Avec une croissance anticipée de plus 3% fin 2011, seule l'Allemagne tire son épingle du jeu, mais cela ne devrait pas s'étendre à 2012, avec une prévision de croissance à 2.5% selon l'OCDE. Dans l'ensemble, c'est toute l'activité de la Zone Euro qui devrait ralentir au cours des deux prochaines années : selon les dernières estimations de la BCE, la croissance devrait s'établir autour de 1.6% fin 2011, pour à peine 1.3% en 2012, principalement sous l'effet d'un ralentissement mondial de l'activités, et bien sûr des différents plans d'austérité votés ou sur le point de l'être.

Des dévaluations pour stimuler les exportations

En revenant aux monnaies nationales, chaque banque centrale ou gouvernement aurait tout le loisir d'intervenir afin de dévaluer sa monnaie pour que le pays reste compétitif commercialement, livrant ainsi le Vieux Continent à une nouvelle guerre des monnaies. Selon le rapport Cliffe, les dévaluations pourraient être de 7.5% (Autriche, Belgique, Finlande, Pays-Bas) à 50% (Irlande, Espagne, Portugal) par rapport au nouveau Deutsche Mark2. Quant à la monnaie allemande elle-même, elle s'avèrerait plus forte que l'ancienne monnaie unique. Dans ce contexte, il est certain que les échanges commerciaux intra comme extra-européen s'effondrerait, fragilisant les pays les plus petits que sont l'Irlande, le Benelux ou encore l'Autriche, plus dépendants de leur commerce extérieur que les autres. Ils ne seraient d'ailleurs pas les seul à en souffrir : les exportations vers la Zone Euro de la France et de l'Allemagne représentent respectivement 50% et 42% de leurs exportations totales. Autrement dit, l'Europe étant elle-même son principal partenaire commercial, tous les pays auraient à pâtir d'un effondrement des échanges. Et tout le monde se souvient très bien où nous mena cette situation dans les années 1930 !

Or, les plans d'austérité actuellement proposés en Europe prônent tous la règle d'or des finances publiques. Ils prévoient de ce fait une réduction des déficits, y compris celui de la balance commerciale. Les prévisionnistes annoncent une baisse du déficit commercial en Espagne, au Portugal et en Grèce. L'excédent de l'Irlande devrait se maintenir, mais celui de l'Allemagne, après une hausse des importations (+3.2% t/t) supérieure à celle des exportations au deuxième trimestre 2011, devrait souffrir d'une diminution de la demande globale à partir de la fin de l'année. Seuls le déficit de la France et de l'Italie devrait s'accroître jusqu'en 2013, mais les Gouvernements ne tarderont guère, à n'en pas douter, pour prendre les mesures nécessaires à un rétablissement de la situation. Ceci se traduira-t-il forcément par une baisse des échanges commerciaux ? Difficile d'être catégorique En 2011, les flux d'échanges commerciaux au niveau mondial devraient le pas, comme en attestent les anticipations très médiocres concernant les résultats des grands groupes d'armateurs tels CMA-CGM. Lors du fort ralentissement économique de 2008-2009, les échanges commerciaux sur la planète, y compris les échanges intra-européens, avaient chuté de manière spectaculaire pour la première fois depuis des décennies. Donc si le ralentissement de cette année venait à se confirmer et à se prolonger, l'Europe serait sans aucun doute affectée.

Un marché monétaire bloqué

Un retour aux monnaies nationales serait une véritable catastrophe pour les banques des pays périphériques : selon Mark Cliffe, les taux de refi à 3 mois y exploseraient. Le spread par rapport aux taux allemands pourrait ainsi dépasser les 400 points de base (bp) en Espagne et en Italie, voire les 600bp au Portugal et en Irlande. En Grèce, le spread pourrait même grimper jusqu'à 850bp. Ce qui signifie que, là où les banques allemandes se refinanceront à 3 mois à 0.5%, les banques grecques, elles, pourront se refinancer à hauteur de 9% sur la même période. Autrement dit, tout le système bancaire ces pays périphériques serait en danger : les banques auraient énormément de mal à trouver les liquidités dont elles ont besoin, et donc, à terme, de faire tourner l'économie.

Après avoir relevé deux fois consécutivement le taux de refi de la BCE pour le porter à 1.50% en juillet, J-C Trichet a annoncé début septembre que sa politique monétaire allait marquer un temps de pause en raison du contexte économique dégradé. Depuis mars 2010, l'Euribor 3 Mois a logiquement suivi la courbe croissante des taux directeurs de la BCE, et est passé d'un plus bas historique (0.37% le 31 mars 2010) à un plus haut depuis février 2009 (1.464% le 19 juillet 2011). Il devrait continuer de grimper en 2012 selon certains analystes, malgré des forwards actuellement fortement à la baisse. Dans ce contexte de morosité et de doute sur la qualité des actifs des banques, la Banque Centrale continue d'intervenir pour fournir le marché en liquidités, à tel point qu'elles sont devenues trop abondantes par rapport à la demande.

Toutefois, de fortes tensions perdurent sur ce marché, comme en témoignent l'élargissement du spread OIS/BOR à 3 mois ainsi que le recours beaucoup plus important aux facilités de dépôt de la BCE. Et la fraude de 2 milliards de dollars constatée chez UBS le 15 septembre va très certainement continuer d'alimenter la défiance sur le marché interbancaire.L'inflation pour tuer la dette ?

L'inflation pour tuer la dette ?

Le rapport prévoit également une forte poussée d'inflation dans la plupart des pays d'Europe, à l'exception de l'Allemagne : l'Espagne, l'Irlande, le Portugal et la Grèce connaîtraient des taux à deux chiffres (de 10% à 18%), alors que la France serait plus épargnée, avec un taux d'inflation qui ne dépasserait pas 3%. La situation serait toute autre en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, puisque ces pays verraient leurs prix à la consommation baisser jusqu'à 2%, c'est-à-dire qu'ils connaîtraient un contexte de déflation, souvent bien plus redoutée que l'inflation elle-même. Ajoutons que les pays auraient aussi beaucoup plus de mal à trouver des moyens de financement, le poids de la dette devenant alors insupportable : ainsi, en cas de disparition de l'euro, le spread des bonds italiens à 10 ans par rapport au Bund allemand dépasserait les 650bp ; le spread espagnol avoisinerait, lui, les 800bp, seuil qui serait vraisemblablement dépassé en Irlande et au Portugal. La palme reviendrait une nouvelle fois à la Grèce, avec un spread qui pourrait franchir les 1100bp !

A l'heure actuelle, l'inflation, bien qu'elle ne soit pas catastrophique, reste encore bien au-dessus de l'objectif de la BCE. Estimée par Francfort à 2.6% pour fin 2011, son taux devrait cependant baisser dans plusieurs économies de la Zone Euro, y compris là où elle présente un niveau élevé (3.4% au Portugal, 3% en Espagne). Selon la Banque Centrale, il s'agirait essentiellement d'une inflation importée due aux cours élevés des matières
premières. Mais en raison du ralentissement de la croissance, au niveau mondial comme au niveau européen, prévu pour 2011 et 2012, J-C Trichet a exprimé, lors de sa dernière conférence de presse du 8 septembre, des anticipations d'inflation à la baisse pour l'année prochaine (1.7%).

Concernant la dette publique, les évènements de cet été ont provoqué un rallye vers les valeurs refuges : ainsi, la crise de la dette européenne et la dégradation de la note souveraine américaine par S&P ont eu pour effet d'accroître considérablement la demande de Bunds et de Treasuries, leur rendement à 10 ans tombant sous la barre symbolique des 2%
(respectivement 1.845% et 1.9564% au 6 septembre 2011). Dans le même temps, les doutes sur la solvabilité de certains Etats européens ont provoqué une fuite des investisseurs face à leurs bonds obligataires : cette aversion au risque s'est donc traduite par un écartement record des spreads italien (387.47 bp le 04/08/2011), espagnol (397.47 bp le 04/08/2011), portugais
(1055.73 bp le 11/07/2011), irlandais (1178.1 bp le 15/07/2011) et bien sûr grec (1766.1 bp le 07/09/2011, et toujours en hausse à l'heure où nous écrivons) par rapports aux bonds allemands à 10 ans. Alors que le poids de la dette en Allemagne a plutôt diminué, il s'est en revanche littéralement envolé dans les pays du sud de l'Europe et en Irlande en l'espace de seulement quelques semaines !

Quel avenir pour la Zone Euro ?

La situation réelle est donc, par certains aspects, finalement aussi grave, voire pire, que ce qui nous est annoncé dans le rapport Cliffe. Un point crucial que ce dernier n'aborde toutefois pas est celui de l'emploi. Mais avec un chômage qui n'a cessé de grimper depuis 2008 en Zone Euro, atteignant 10% en août, et avec ce que nous venons de développer, il est facile d'imaginer ce qu'il adviendrait en cas d'explosion de l'Union Monétaire.

Alors la Grèce doit-elle sortir de l'euro ? La téléconférence du 14 septembre entre Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et Georges Papandréou a confirmé que l'avenir de la Grèce était bien dans la Zone Euro. Mais l'avenir de la Zone Euro, lui, est-il avec la Grèce3 ? Pour Joseph Stiglitz, s'il y a un pays qui peut véritablement se permettre de sortir de la Zone, c'est l'Allemagne. Toutefois, le pays verrait sa monnaie s'apprécier très fortement, plombant ses exportations. Pour d'autres économistes, il faut tout simplement sortir systématiquement les canards boiteux de l'UEM, gage de sa cohérence et de sa stabilité, en dépit des dégâts dévastateurs que cela impliquerait pour eux. Quitte à les réintégrer plus tard, une fois leurs finances publiques assainies. Mais pour les assainir, encore faut-il que l'Etat ait un minimum de rentrées fiscales. Or, ils faut bien le dire, en Grèce la fraude fiscale est un véritable sport national : l'économie souterraine est estimée à 25% du PIB en 20114 ! Et lorsque les premières mesures d'austérités ont été annoncées, l'une d'entre elles consistait à taxer plus sévèrement les propriétaires de piscines privées, via un contrôle des jardins effectué directement par satellite. Réaction de la population concernée : une ruée sur les pelouses synthétiques pour camoufler leurs biens ! Mais où va-t-on ?...


1 EMU Break-up : Quantifying the Unthinkable, disponible à l'adresse suivante : http://www.ing.nl/Images/ING_EMU_Break-up_070710_tcm7-55490.pdf.
Publié le 7 juillet 2010, le rapport émet des prévisions sur les principales données macro-économiques pour la fin 2010, fin 2011 et fin 2012 selon deux scénarii : une sortie de la Grèce de la Zone Euro en 2010, et une disparition complète de l'Union Monétaire la même année.

2 Dans le cas où seule la Grèce sortirait de l'Union Monétaire, le nouveau Drachme pourrait perdre 80% de sa valeur par rapport à l'euro. L'euro, lui, se déprécierait quelque peu face au dollar dans un premier temps, avant de retrouver des couleurs de suite après.

3 Techniquement, compte tenu des dispositions actuelles des textes européens, la sortie de la Grèce semble très difficile : en effet, il est tout simplement impossible d'exclure un pays de l'euro ; une sortie de son plein gré lui

15 septembre 2011 Les printemps
http://lesprintemps.e-monsite.com/


Guillaume Allier, 23 ans, est étudiant en école de commerce. Spécialisé dans les marchés financiers, il a écrit une série de 4 articles sur la crise de la dette européenne pour le journal étudiant Les Printemps. Il est le réalisateur de la mini série documentaire L'€uro : petite histoire… d'une grande monnaie ? diffusée sur le site de Fenêtre Sur l'Europe TV en mai 2011. Il a également été secrétaire général de Phoenix : A Chacun Son Excellence, association qui œuvre pour l'égalité des chances à l'école.

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