par Guillaume Allier, le mardi 25 octobre 2011

L'éclatement de l'affaire grecque fin 2009 a plongé l'Europe dans une grave crise de la dette. Après s'être propagée à l'Irlande et au Portugal, la contagion menace aujourd'hui l'Espagne et l'Italie. Au lieu de montrer que l'Europe était forte et unie, en particulier en période troublée, cet épisode a surtout mis en exergue les dysfonctionnements latents au sein de l'UE.


De la non-gouvernance européenne…


On peut penser que la dette publique grecque ne représentait qu'une goutte d'eau au milieu de l'ensemble des dettes européennes (environ 3,5% de la dette de la Zone Euro) et que le problème aurait pu (et aurait dû) être résolu rapidement. Mais ce n'était sans compter sur les carences de la gouvernance politique de l'Union, qui ont rendues les négociations sur le plan d'aide particulièrement périlleuses. A la lumière de cette affaire, une question se pose en filigrane : qui gouverne l'Europe ? Qui prend les décisions ? L'Allemagne ? La France ? La Commission Européenne ? La BCE ? Le FMI ???...
Il est évident que l'Union Européenne n'a pas aujourd'hui de véritable gouvernement central sur le modèle du Gouvernement Fédéral Américain. Les décisions sont prises par les dirigeants des grandes institutions et des Etats les plus puissants (France et Allemagne en particulier) lors de négociations bras de fer au cours desquelles chacun fait valoir ses propres intérêts aux dépens des intérêts de la Communauté. Et ce n'est certainement pas Herman Van Rompuy qui mettra tout le monde d'accord, l'actuel Président du Conseil Européen (censé être le "Président de l'Europe" depuis le Traité "Simplifié" de Lisbonne) placé ici par les autres Chefs de Gouvernements pour son charisme approximatif et peu dérangeant. Alors, certes, il y a le Parlement Européen (dont on se demande toujours quelle est la rationalité de garder un siège à Bruxelles et un siège à Strasbourg, si ce n'est pour faire plaisir à la France) qui émet des directives qui doivent obligatoirement être transposées dans le droit national de chaque pays. Si elles ne sont pas transposées dans le délai imparti, et si les objectifs qu'elles fixent ne sont pas atteints à temps, la Commission Européenne tape du poing… c'est tout ! Rares sont les sanctions, et quand elles adviennent, elles sont insignifiantes. Quant à la BCE, s'il faut bien lui reconnaître un revirement dogmatique salutaire depuis trois ans, elle ne maîtrise que la politique monétaire, qui n'est qu'un pilier de la politique économique, elle-même qu'un volet de la gouvernance européenne. Même s'il est vrai que, pour un pays, abandonner le contrôle de sa monnaie revient à abandonner un aspect fort de sa souveraineté nationale, cela ne suffit malheureusement pas à faire de l'UE une institution dotée d'un véritable organe décisionnel. La démission de Jürgen Stark, le 9 septembre dernier, de son poste d'économiste en chef de l'institution francfortoise est venue attester de la cacophonie ambiante au sein des plus hautes instances européennes. Même Barack Obama et les pays émergents s'en mêlent et appellent l'Europe à cesser de tergiverser !

D'autant plus que les pays font désormais des questions européennes un véritable enjeu électoral, et exercent ainsi une forte pression lors des négociations à Bruxelles. Un bon exemple est le récent cas allemand : lors des négociations sur le premier plan d'aide à la Grèce, Angela Merkel s'est montrée inflexible sur les conditions de l'aide afin ne pas perdre les élections régionales du 9 mai 2010 en Rhénanie du Nord-Westphalie, qui mettraient en danger sa propre majorité au Bundesrat (élections que son parti, la CDU, a d'ailleurs perdues). Au final, l'Allemagne avait dû approuver le plan, dans le secret et du bout des lèvres, avant même que les élections aient lieu. Car les Allemands ont de plus en plus de mal à supporter le fait de devoir payer pour les « passagers clandestins » de l'Europe. Et ils ne sont pas les seuls : après des années de croissance morne, de salaires en berne et le sentiment d'une inflation croissante suite à la mise en circulation de l'euro, de plus en plus d'Européens se sentent sacrifiés eux aussi. L'Idée Européenne semble donc de plus en plus impopulaire. Et comme lors de toute période de crise, ce sont les partis d'extrême droite qui en profitent, que ce soit en France (Front National), en Allemagne (NPD et DVU), en Italie (Ligue du Nord), au Royaume-Uni (British National Party), en Finlande (« Vrais Finlandais »), aux Pays-Bas (PVV), en Autriche (FPÖ et BZÖ), au Danemark (Dansk Folkeparti) ou encore en Suède (Démocrates Suédois), c'est-à-dire dans les économies les plus fortes de l'Union Européenne. Dans ces pays, la plupart des partis d'extrême droite ont d'ailleurs enregistré des scores historiques lors des élections législatives européennes de 2009. L'enjeu électoraliste est donc d'autant plus fort pour les partis traditionnels qu'une montée des extrêmes est un facteur supplémentaire d'instabilité politique, ce dont l'Europe n'a pas vraiment besoin actuellement.

La question du "budget" européen


Le cas grec est également révélateur des dysfonctionnements économiques de la politique économique européenne. Et en premier lieu, cela concerne la question du budget européen. En 2009, les dépenses de l'UE ne représente en effet qu'1% du PIB total des pays membres. Ridicule quand on sait que la même année les dépenses de l'Etat Fédéral Américain ont atteint 25% du PIB du pays. Cela ne peut donc suffire à générer une croissance durable et équilibrée qui permette de réduire les écarts de développement en Europe. Surtout que l'allocation du budget est des plus inefficaces : pour l'exercice 2011, 42% du budget est consacré à l'agriculture et au développement rural, soit quasiment autant que la part destinée à la croissance durable (1), alors même que le secteur primaire ne représente que 5% de la population active et seulement 2,3% du PIB de l'UE à 27. Qui plus est, les plus gros contributeurs au budget sont aussi les plus gros receveurs : en 2009, la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni étaient les cinq pays qui participaient le plus ; en échange, ils étaient aussi ceux qui recevaient le plus gros chèque (excepté le Royaume-Uni, devancé par la Pologne). Ceci en grande partie grâce aux subventions de la PAC, alors même que dans ces pays le secteur primaire ne représente pas plus 4,5% de la population active. Dans le même temps, les économies dites « périphériques (2) » (qui emploient jusqu'à 13% de leur main d'oeuvre dans l'agriculture et la pêche et ont le plus besoin de développer des infrastructures) ont reçu, en 2009, 24,2 Mds d'euros de la part de l'UE, soit moins de 50% de ce qu'on reçu les plus gros cinq pays !!! Alors la question se pose : pourquoi ne pas augmenter significativement le budget européen, ainsi que la part allouée à la convergence des économies les plus faibles ? Cela nous permettrait très certainement d'éviter les situations de crise que nous avons connues (et connaissons toujours) en Grèce, en Irlande, en Espagne, au Portugal ou encore à Chypre.

Au lieu d'augmenter le budget communautaire qui permettrait de prévenir d'éventuelles difficultés et de pallier aux déséquilibres interrégionaux (par la mises en place d'infrastructures de communication, développement de pôles de recherche, etc.), les pays européens préfèrent guérir le mal lorsqu'il se présente. Ainsi, pour couvrir ses besoins de financement, la Grèce devrait recevoir 292 Mds d'euros de liquidités (110 Mds pour le plan de mai 2010 plus 182 Mds accordés à l'issue du sommet du 21 juillet 2011), et ce sans compter la participation du FMI. Cet argent, à terme, le pays devra le rembourser… avec
intérêts. A cela s'ajoutent les garanties apportées par les Etats de l'Eurozone dans le cadre du Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) à hauteur de 440 Mds d'euros, fonds qui sera remplacé à partir de 2013 par le Mécanisme de Stabilité Européen doté d'une capacité d'intervention financière effective de 500 Mds d'euros (garantis par la constitution d'un capital total de 700 Mds). Dans quelle mesure aurions-nous pu éviter cette situation si, depuis le début, la part (en valeur relative comme en valeur absolue) consacrée à l'aide à la convergence économique des pays périphériques avait été plus conséquente ? Sans nul doute que l'addition aurait était moins salée.

Malheureusement, l'Europe ne sait pas anticiper les éventuels problèmes et n'avance que lorsqu'il faut remédier à des difficultés majeures.

Une tendance à la convergence par le bas

Cependant, en cette période de crise économique, les pays européens auront au moins réussi à s'entendre sur un point : la coordination des politiques budgétaires… d'austérité ! A la suite des différentes mesures de soutien à l'économie menée après l'été 2007, les déficits publics se sont creusés de manière dramatique, jusqu'à créer une véritable bulle de la dette dont les conséquences mettent aujourd'hui l'Europe au bord du gouffre. Cette coordination des politiques de rigueur, bien que nécessaires tant la situation est critique aux yeux des marchés, a récemment pris la forme d'un "pacte de compétitivité" européen : celui-ci propose notamment d'inscrire la fameuse règle d'or des finances publiques dans la constitution des différents pays, de désindexer les salaires de l'inflation et de rendre le marché du travail plus flexible. Cela semble donc être le meilleur moyen de prolonger cette période de morosité économique, et ainsi de renforcer ce sentiment de défiance à l'égard de l'Europe. C'est en tout cas ce que pense Georges Soros, le prince de la finance : selon lui, ce "pacte" va créer une Europe à deux vitesses, favoriser les conditions d'une nouvelle récession et ainsi accentuer les tensions politiques et les divergences au sein de l'Union Européenne. Alors que faire ? Que faire pour réduire les déficits, relancer la croissance et reconstruire une Europe solide économiquement et compétitive face à l'arrivée de nouveaux acteurs puissants sur la scène internationale ?

Depuis quelques années, le leitmotiv de la plupart des pays de l'Union est une « coopération renforcée ». Oui, mais quelle coopération ? De plus en plus d'économistes et d'hommes politiques européens pensent qu'un aspect fondamental de la réponse réside dans l'harmonisation fiscale. Il est vrai que depuis l'entrée en vigueur de l'euro, la concurrence fiscale faire rage sur le Vieux Continent : en Irlande et en Grèce, le taux d'impôts sur les sociétés était respectivement de 12% et 25% en 2007, quand en Allemagne et en France ils étaient de 39% et 33%. De même, les taux de prélèvements obligatoires étaient respectivement de 31,1%, 34,2%, 40,8% et 44,7% dans ces mêmes pays en 2008. Or, dans une zone monétaire non-optimale3 (la mobilité du travail est très faible en Europe compte tenu des barrières linguistiques) c'est avant tout le capital, qui peut se déplacer assez facilement, qui profite de ces différences de fiscalité. Les pays qui pratiquent le dumping fiscal n'ont donc aucun mal à attirer les entreprises sur leur territoire, ce qui provoque de nombreuses délocalisations dans les pays où les impôts sont plus élevés. Cette concurrence fiscale a toutefois ses revers. Non seulement les délocalisations détruisent des emplois, mais les pays où la fiscalité est élevée ont tendance à diminuer leurs taux d'imposition pour faire concurrence aux pays à la fiscalité attractive. Cette harmonisation par le bas exerce une énorme pression sur les finances publiques en diminuant les recettes des Etats et posent de gros problèmes de recouvrement fiscal, entraînant ainsi un démantèlement des services publics et des inégalités sociales accrues. Les pays qui pratiquent le dumping enregistrent eux-aussi moins de rentrées fiscales, qu'ils espèrent compenser par une attractivité accrue de leur territoire. Or, en période de crise majeure, lorsque les marges de manoeuvre budgétaires sont excessivement limitées, qui se retrouve le plus en difficultés ? La Grèce, l'Irlande, le Portugal, l'Espagne…

Vous l'aurez compris, la politique fiscale est difficilement dissociable de la politique monétaire. Il parait donc indispensable, mais aussi pertinent économiquement, de procéder à une harmonisation fiscale au niveau européen, en instaurant par exemple une taxe commune sur les sociétés, un impôt minimum sur les revenus et le patrimoine ou encore en mettant en place un système unique de taxes à la consommation. Ceci aurait pour effet de lutter contre le dumping fiscal et ses conséquences fâcheuses dont nous venons de parler. Il y a aussi la possibilité de reverser une partie des recettes au budget communautaire, afin de favoriser la convergence par le haut des économies périphériques et ainsi de permettre un processus d'intégration européenne plus juste, plus équilibré et plus équitable. Le 16 août 2011, à la suite de leur mini-sommet, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont appelé à la création d'un véritable gouvernement économique européen et ont proposé de créer un impôt sur les sociétés franco-allemand. Ces annonces ont été accueillies sans enthousiasme par les marchés financiers et une grande partie de la classe politique. Il est vrai qu'elles restent encore floues, mais elles ont au moins le mérite d'aller dans la bonne direction. Il reste maintenant à transformer ces paroles en actes et, le plus dur, à convaincre les autres pays de l'Union Européenne d'en faire autant.

Les Printemps le 10 septembre 2011
http://lesprintemps.e-monsite.com/


1 C'est-à-dire l'économie fondée sur la connaissance, la compétitivité, la cohésion et l'égalité des chances, qui représente 45% du budget de l'UE.

2 Bulgarie, République Tchèque, Estonie, Grèce, Chypre, Lituanie, Lettonie, Hongrie, Malte, Portugal, Roumanie, Slovénie, Slovaquie. La Pologne n'est pas comptée ; elle est le seul pays de l'Est à recevoir autant que les pays du coeur de l'Europe avec 9,25 Mds d'euros reçus en 2009.

3 Cf. le concept de Zone Monétaire Optimale développé par Robert Mundell dans les années 1960.



Le poids de l'Histoire


Début 2010, en plein chaos social, Athènes a pris très à coeur les critiques de Berlin sur l'état calamiteux de ses finances publiques. A tel point que le vice-Premier Ministre Grec, Theodoros Pangalos, en a fait appel au passé : "ils ont pris les réserves d'or de la banque de Grèce, ils ont pris l'argent grec et ne l'ont jamais rendu. C'est un sujet qu'il faudra bien aborder un jour ou l'autre. […]Je ne dis pas qu'ils doivent nécessairement rendre cet argent, mais ils pourraient au moins dire merci". Le Gouvernement Fédéral Allemand n'est pas resté sans réaction : par le biais de son Ministre des Finances tout d'abord, qui a estimé le montant des indemnisation versées à la Grèce entre 1945 et 1960 à plus de 115 millions de Deutsche Marks ; puis par l'intermédiaire du porte-parole de ce dernier, Andreas Pechk, qui a répondu que l'Allemagne "aurait payé depuis 1960 environ 33 milliards de deutsche marks d'aides à la Grèce, à la fois de façon bilatérale et dans le cadre de l'Union européenne."

Et la polémique ne s'arrête pas là : mi-février 2010, l'hebdomadaire allemand Focus fait sa couverture sur la crise grecque… avec une photo de la Vénus de Milo faisant un doigt d'honneur à l'Union Européenne ! Le tout titré : "Des escrocs dans la famille Euro". Tollé d'indignation chez les Grecs, qui n'en finissent plus de s'en prendre aux habitants d'outre-Rhin. Le 5 mars, le quotidien hellénique Eleftheros Typos publiait un photomontage montrant la Déesse de la Siegessäule (Colonne de la Victoire à Berlin) brandissant une croix gammée. Scandale en Allemagne, où les nerfs sont à vif… Et nous avions construit l'Europe pour faire la paix…


Guillaume Allier, 23 ans, est étudiant en école de commerce. Spécialisé dans les marchés financiers, il a écrit une série de 4 articles sur la crise de la dette européenne pour le journal étudiant Les Printemps. Il est le réalisateur de la mini série documentaire L'€uro : petite histoire… d'une grande monnaie ? diffusée sur le site de Fenêtre Sur l'Europe TV en mai 2011. Il a également été secrétaire général de Phoenix : A Chacun Son Excellence, association qui œuvre pour l'égalité des chances à l'école.

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