par Bernard Barthalay, le jeudi 03 novembre 2011

Georges Papandréou offre aux Grecs le choix de leur mort. Pourquoi les Européens n'auraient-ils pas tous ensemble le choix de leur survie ?


Le Président français revenait de Bruxelles avec l'idée qu'il venait d'acheter à force de face à face et de côte à côte avec la Chancelière allemande quelques mois de tranquillité, de quoi voir venir plus sereinement l'échéance électorale des présidentielles, en position de vainqueur.

On conçoit sa colère, face à l'initiative d'un référendum en Grèce sur le paquet de sauvetage, qui vient détruire cette douce certitude, et qui, surtout, met en péril la perception par les marchés d'une "solidarité" européenne.

La Chancelière elle-même, toute à sa joie d'avoir consolidé sa coalition, en venait à oublier que les élections générales, à deux ans d'ici, étaient loin d'être gagnées, et laissait son ministre des finances, Wolfgang Schäuble, tenir sur l'avenir fédéral de la zone euro des propos qu'elle avait, quelques semaines plus tôt, vertement déconseillé de tenir, dans un rappel cinglant, à sa ministre du Travail, Ursula von der Leyen, montée courageusement au créneau en faveur d'Etats-Unis d'Europe.

Un référendum en Grèce, c'est le retour à la case départ. Plus question de faire payer aux seuls Grecs, qui paient déjà au prix fort des décennies de privilèges fiscaux, de dépenses inconsidérées et de chômage déguisé, l'inobservance générale (et je mets l'Allemagne dans ce « générale ») des règles que les gouvernements s'étaient données à eux-mêmes pour assurer, croyaient-ils, la viabilité de ce que Silvio Berlusconi, vient d'appeler, dangereusement, une monnaie "étrange" : une monnaie sans gouvernement !

L'Italie est déjà dans le collimateur. Rien ne sert de l'exposer davantage. Loin d'avoir recouvré le calme, les marchés peuvent désormais s'emparer de son propos pour spéculer sur la défiance, comme ils peuvent tenir le "bazooka" de dimanche pour un pistolet à eau. L'effet domino est maintenant assuré et les marchés feraient preuve soudain d'une retenue qu'on ne leur connaît guère s'ils s'abstenaient d'attaquer les suivants sur la liste.

Alors, où va-t-on ? C'est bien la question que les gouvernements se posent quotidiennement, mais à laquelle ils s'abstiennent de donner une réponse publique. La vérité, c'est qu'ils connaissent la réponse. Ils savent bien que le paquet financier ne sauve rien, hormis une image de détermination face aux marchés, que le fonds de stabilité n'est pas "assuré" de sa crédibilité, que la Banque centrale devra devenir la banque des banques et le prêteur en dernier ressort, qu'il faudra mutualiser les dettes souveraines, mettre les ressortissants des Etats de la zone euro à l'abri des erreurs de leurs propres gouvernements derrière le bouclier d'un Trésor fédéral, et piloter l'économie européenne vers l'innovation et une croissance équitable et durable.

Mais ils savent aussi qu'ils n'ont pas dans cet avenir le premier rang, ils savent que le déclassement de leurs fonctions les guettent. Quand la réalité de la puissance publique et de son action sur l'économie sera européenne et fédérale, rien ne justifiera plus dix-sept armées, dix-sept réseaux d'ambassades, des ministères aussi lourds et aussi nombreux : l'heure est aux économies d'échelle et à l'Etat modeste.

Le bouleversement sera pour eux, les gouvernants et les responsables politiques, pas pour nous, les citoyens, soulagés de dépenses superflues et de la compétition des egos, et protégés de la concurrence suicidaire des régimes fiscaux et sociaux nationaux.

It's democracy, stupid !

Quoi d'étonnant que la politique reprenne ses droits ? Faut-il qu'en Grèce un chef de gouvernement et qu'une majorité parlementaire qui n'ont pas été élus sur un régime d'amaigrissement, mais sur une exigence d'équité, imposent à leur peuple depuis des mois des sacrifices sans précédent en Europe, sa mise sous tutelle par plus puissants qu'eux, hors de tout ordre constitutionnel de la zone euro et de toute consultation démocratique, sans demander tôt ou tard une confirmation par les urnes d'un mandat d'austérité qu'ils n'ont pas reçu des citoyens mais de leurs partenaires, sur une terre où est né le principe d'un gouvernement du peuple ?

L'étonnant, c'est plutôt que les gouvernements agissent en pleine connaissance de la réalité de l'impasse, mais la dénient, qu'ils sont des élus du peuple, mais se projettent dans un avenir décidé par des organismes financiers privés ou interétatiques, européens ou mondiaux, qui ne rendent de compte à personne, et qu'ils se laissent réduire au statut inconfortable de tampons entre les exigences de survie du système mondial et les aspirations de leurs peuples à l'équité et à la solidarité, pourvu que les apparences de la démocratie nationale soient sauves. Et ils vont ainsi d'élection en élection, sans jamais tracer de perspective crédible, acceptable, et (pourquoi pas?) enthousiasmante, pour le peuple des nations d'Europe, sans jamais pouvoir se prévaloir de la volonté de leurs propres peuples, qu'on se garde bien de consulter, pour éviter le rejet confus de tout et de son contraire.

Les Grecs auront le choix : accepter la bouée ou la corde du pendu. La bouée s'ils acceptent l'austérité, la corde du pendu s'ils la refusent. Dit autrement : mourront-ils amaigris ou avant de maigrir ? La Grèce est morte en tant qu'Etat souverain. Les Grecs sont appelés à en prendre acte, quelle que soit leur réponse. Mais ils l'ont bien compris : il est dans la zone euro des Etats plus souverains que d'autres, depuis que l'intergouvernementalité (l'entre-soi) a pris le pas sur la communauté (le nous). Tout est là :
- ou bien les Grecs posent unilatéralement le premier acte démocratique d'un nouveau suicide collectif européen à cent ans du premier ;
- ou bien l'on offre à tous les peuples d'Europe, pas seulement aux Grecs, la possibilité de choisir entre la division (où règne le plus fort) et l'unité (fédérale), c'est-à-dire entre l'attente longue du moment où l'Allemagne, pour se sauver elle-même, n'aura plus qu'un recours, se soumettre, dans un monde où l'Europe, réduite à ses bureaux, aura cessé de compter, et la fondation de quelque chose d'autre, de quelque chose de démocratique et de fort, des Etats-Unis d'Europe.

Référendum grec contre l'austérité ou référendum européen contre la division ?

Paru sur le blog de slate.fr/europe-27 le 1er novembre 2011


Bernard Barthalay est président de Puissance Europe
http://puissanceeurope.eu

Organisations en lien avec Fenêtre sur l'Europe :