Interview avec Rogério Gomes, Président de l'Institut du Territoire (IT), au Portugal.
Fenêtre sur l'Europe : L'aménagement du territoire au Portugal est indéniablement une question très sensible. Dans ce contexte, qu'est-ce qui vous a amené à créer un tel réseau ? Et en quoi consiste t'il ?
Rogério Gomes : L'expérience accumulée au fil de dizaines d'années autour du système politique portugais a conduit un ensemble de personnes issues des milieux technique, scientifique et technologique à la conclusion qu'il était nécessaire de créer un espace dynamique et pluriel, où puissent être bâtis des consensus politiques au sein de la société portugaise, dans les domaines
liés au développement du territoire.
L'Institut du Territoire (IT) aspire justement à établir un pont entre les différent intérêts sociaux, politiques, économiques, environnementaux et scientifiques qui, au Portugal, administrent et jouissent de nos plateformes territoriales, terrestres que ce soit sur le continent ou sur les îles
et maritimes. Cependant, nous ne prétendons pas nous arrêter là. L'IT deviendra, à partir de janvier, un partenaire utile pour tous ceux qui voudront effectuer des recherches sur ou en coopération avec le Portugal depuis l'étranger, dans les domaines du développement du territoire
et des sciences et technologies qui lui sont liées. Nous souhaitons par ailleurs soutenir les investisseurs potentiels qui chercheraient à connaître notre pays de façon spécifique et rigoureuse, et articuler le soutien dont ils auraient besoin de la part des entités officielles pertinentes, aux différents niveaux de l'administration du territoire, tout en identifiant également les partenaires les plus indiqués en matières scientifique et technologique, le cas échéant.
Finalement, l'IT se veut également un institut de soutien aux intérêts européens en matière de recherche spatiale, d'économie régionale, d'analyse du succès des politiques européennes ayant trait au territoire et dans d'autres domaines où nous pourrons être utiles à la recherche européenne et internationale, comme on peut l'attendre de la part d'un réseau qui réunit plus de vingt universités et instituts supérieures et les deux plus importants pôles technologiques portugais, couvrant la totalité du territoire national.
Fenêtre sur l'Europe : Est-ce que l'Institut du Territoire se penchera exclusivement sur les problématiques portugaises ?
Rogério Gomes : Non, nous sommes un instrument privé d'intérêt national pour le
développement des plateformes territoriales portugaises. Ceci implique une large articulation institutionnelle aux niveaux européen et international, et une certaine disponibilité dont nous jouissons pour articuler nos intérêts avec les intérêts d'autres institutions dans le domaine de l'organisation spatiale. La conjugaison internationale des intérêts, qui justifie et encourage la combinaison des volontés et des moyens, est la seule manière efficace de travailler sur les questions du développement territorial.
Fenêtre sur l'Europe : Vous nous aviez dit que vous auriez "la crème de la crème" du réseau universitaire portugais. Quelles sont vos attentes par rapport aux experts universitaires?
Rogério Gomes : Ce réseau est formé d'experts universitaires qui possèdent une expérience politique et scientifique de nombreuses années. En ce qui concerne la recherche et les connaissances des domaines territoriaux, je n'ai aucun doute que nous constituerons dès le départ la présentation officielle n'aura lieu qu'en janvier, bien que la constitution juridique ait eu déjà lieu en septembre la plus forte concentration d'aptitudes et de moyens au Portugal.
Ce réseau suscite en ce moment de très grandes attentes dans notre monde scientifique, y compris auprès de Portugais qui réalisent des travaux de recherche dans plusieurs pôles scientifiques et universitaires à l'étranger. Nous comptons sur le soutien de tous, les Portugais et les personnes intéressées se trouvant au Portugal, pour la création de solutions, instruments et doctrines qui permettraient au pays de mieux défendre ses ressources, de les utiliser de façon plus intelligente et avec davantage
de succès, et de moins naviguer à vue en ce qui concerne l'aménagement de son territoire.
Fenêtre sur l'Europe : L'Institut du Territoire va-t-il réfléchir à la réorganisation du territoire portugais? Récemment, le nouveau gouvernement a décidé d'éteindre les dits "gouvernements civils". Pensez-vous à une organisation du type : ville - département - régions pour le continent?
Rogério Gomes : L'IT va certainement lancer plusieurs débats sur les thèmes qui, à chaque instant, intéressent le plus les Portugais en ce qui concerne leur territoire des débats sur l'eau, l'énergie, les systèmes de transports, ainsi que sur l'aménagement de notre territoire. Pour répondre concrètement à votre question : les préfectures, tout comme les Commissions de coordination et de développement Régional, ou les nombreux autres organismes qui font partie de la multitude d'entités administratives dans le contexte régional et sous-régional qui pourraient servir à administrer trois pays au lieu d'un seul sont des excroissances de systèmes régionaux et sous-régionaux qui ont été expérimentés, inutilisés ou superposés. En effet, traditionnellement, au
Portugal comme dans beaucoup d'autres pays, il est plus facile de créer un organisme que de s'en défaire.
Dissoudre les préfectures me paraît être une preuve de sens commun. Elles possèdent aujourd'hui des compétences de caractère purement résiduel, même un peu absurdes, comme la distribution des licences pour les bars avec piste de danse (la préfecture n'intervenant pas s'il n'y a pas de piste de danse
). Pour cela, il doit exister un consensus politique assez vaste, qui n'est pas encore construit. En ce moment, on ne fait que retirer une à une les compétences et les directions, mais la figure juridique, elle, se maintient.
Quant au type d'organisation que vous proposez, la réponse n'est pas si immédiate. Le Portugal a décrété sa première loi de "nationalisation" au cours de la première moitié du XIIème siècle déjà, peu après la date de notre indépendance. Cette loi a ordonné que tous les couvents abandonnés reviennent à la Couronne. Ceci est juste un exemple pour illustrer l'existence de problèmes d'abandon du territoire depuis la fondation du pays. Ces problèmes empirent ou s'allègent selon les époques de notre histoire, mais ils constituent en ce moment un sérieux défi. Une partie de notre territoire correspond à des surfaces de faible densité et est occupée pas des populations âgées.
Une autre partie de la population vit dans les zones urbaines sur le littoral, où le territoire est excessivement urbanisé, les coûts d'infrastructure insupportables et où le chômage est élevé.
Dans ce contexte, il est prudent de ne pas s'attaquer aux symboles auxquels les gens sont attachés. Or, au Portugal, les municipalités constituent vraiment à un facteur identitaire et symbolique, auquel nous devons ajouter le fait que le Portugal est, comme la Grèce et l'Espagne, l'un des pays européens où les municipalités comptent en moyenne le plus de population. Pour ces raisons, l'aménagement du territoire doit s'appuyer fortement sur les municipalités. C'est ainsi que nous avons agi jusqu'ici, et c'est ainsi qu'il faudra continuer. Je crois que ceci est un réel consensus dans la société portugaise.
De cela découle le besoin de réaliser des économies d'échelle dans l'aménagement territorial portugais, en déployant des services à l'échelle des associations municipales, une échelle sous-régionale, plus ou moins équivalente aux "départements". Le niveau régional au Portugal est beaucoup plus compliqué et mérite qu'un entretien lui soit entièrement dédié. Mais, dans ce pays très ancien et culturellement autant diversifié qu'uni, les
gens se méfient de façon instinctive de ce qui les pourrait désunir et, en même temps, de ce qui pourrait signifier davantage de dépenses publiques.
C'est une discussion ouverte au sein de la société portugaise, et qui divise les deux grands partis politiques. Je ne suis pas un régionaliste dans le coeur ou dans l'âme, mais je suis un scientifique qui considère froidement ce que mon Pays aurait à gagner avec une solution d'administration régionale "sobre" et efficace, au travers peutêtre d'un système d'unités économiques élues mais nous entrons ici dans le domaine des préférences personnelles, que ce Réseau prétend naturellement encourager. Le Premier-Ministre a dit à ce propos, qu'il serait disponible pour une première expérience de régionalisation sur le territoire continental puisque les territoires insulaires sont organisés régionalement depuis longtemps. C'est un point de départ.
Fenêtre sur l'Europe : Au Portugal, comme dans beaucoup de pays Européens, il y a un vrai drame pour les jeunes en recherche d'emploi qui ont une excellente formation mais sont forcés à faire des stages sans fin. Dans quelle mesure votre réseau peut aider la société portugaise à combattre cette réalité ?
Rogério Gomes : Je ne peux pas encore vous dire dans quelle mesure nous pourrons contribuer à résoudre ce problème. Il a certes été identifié, et nous avons engagé des acteurs qui pourront aider à construire des solutions d'une grande efficacité pour la création d'emploi local solutions qui ont normalement une structure simple, mais au niveau micro.
Nous sommes en train de créer des instruments qui aideront au développement de ressources endogènes, en particulier dans les régions de faible densité, où il est impératif de fixer des jeunes et de leur procurer des opportunités économiques afin de retenir le mouvement des jeunes familles et des jeunes cadres vers le littoral. Mais il est encore trop tôt pour vous dire quelles stratégies systémiques nous développerons dans ce domaine et quel en est le succès potentiel. J'en saurais davantage dans trois mois.
En ce moment, nous développons déjà des indicateurs élaborés scientifiquement qui nous aiderons à rendre publique les grandes questions territoriales portugaises. L'emploi, en particulier l'emploi à l'intérieur du pays, en est l'une des plus importantes.
Propos recueillis par António BUSCARDINI