par Patrick Martin-Genier, le lundi 21 novembre 2011

La commission européenne, sous l'impulsion conjointe de son président et du commissaire Michel Barnier, vient de relancer ce week-end le débat sur les euro-obligations avec son corollaire indispensable d'une meilleure discipline budgétaire nécessitant une surveillance accrue des Etats-membres, notamment les plus laxistes d'entre eux.


La crise qui vient en effet de secouer l'Europe, au point de faillir l'emporter et mettre à bas plus de cinquante ans de construction européenne, a provoqué une prise de conscience chez les responsables politiques : l'heure n'est plus aux tergiversations et la meilleure façon de lutter contre la crise et les effets pervers d'une spéculation internationale sans contrôle est d'aller vers plus d'intégration, en premier lieu une intégration économique.

Le Président de la République Nicolas Sarkozy a été le premier à prôner une nouvelle "gouvernance économique". Ses principaux alliés, en premier lieu les ministres, se sont laissés aller à tenir des propos qui laissent supposer que la voie de l'intégration renforcée est enfin ouverte.

Jean Léonetti, le ministre des affaires européennes, qui était auditionné par les sénateurs mardi 26 octobre dernier par la commission des affaires européennes et des affaires économiques, soit à la veille du sommet crucial de Bruxelles destiné à mettre un terme définitif à la crise de la dette grecque, avait martelé devant les sénateurs la nécessité d'aller vers "un fédéralisme économique, expression qui ne me choque pas même si elle peut irriter certains". Le ministre des affaires étrangères lui-même, Alain Juppé, venait d'employer l'expression "euro fédération »…"

Que des responsables politiques gouvernementaux issus de la famille gaulliste soient tentés de se convertir au fédéralisme, voici à une révolution politique à la hauteur des enjeux suscités par la très grave crise que vient de traverser l'Europe. Car en effet, les turbulences financières n'ont plus de frontières si tant est qu'elles en aient jamais eues…Les acteurs les plus irresponsables de la finance internationale ont en quelque sorte "surfé", c'est-à-dire spéculé sur la vague de méfiance qui a frappé la Grèce avec l'incapacité de ses dirigeants, pendant des années, à faire tout simplement entrer les recettes fiscales. Ce faisant, la perspective d'une faillite d'un Etat aurait pu provoquer la chute de l'euro, la faillite de plusieurs grandes banques européennes dont françaises, lesquelles n'ont pas été particulièrement prudentes dans leur engagement auprès de ce pays, bien qu'elles s'en défendent aujourd'hui en faisant valoir qu'elles n'auraient de toute façon pas eu besoin des aides publiques pour se recapitaliser…

On ne saura probablement jamais le fin mot de l'histoire : y-a-t-il eu dramatisation de la situation, une mystification voire une intoxication, ou tout le système était-il sur le point de s'écrouler ? L'ancien président de la République, Valéry Giscard d'Estaing est l'un des rares à penser que la crise de l'euro a manifestement été exagérée…En tout état de cause, l'aspect psychologique est d'une telle importance qu'il eût été inconcevable et irresponsable que les Etats ne se donnent pas les moyens de réagir avec toute la vigueur nécessaire pour mettre un terme à cette crise.

Que le fonds européen de stabilité financière soit doté d'un montant de ressources de mille milliards d'euros constitue cette réponse ambitieuse qui était attendue par tous : entreprises, banques, ménages. Aucun gouvernement ne pouvait prendre le risque de voir une grande banque faire faillite entraînant la ruine de millions de personnes…

Tous les responsables, de droite comme de gauche, savent aujourd'hui que seule une intégration renforcée constitue la planche de salut de l'Europe. Pour tout dire, voilà que le mot "fédéralisme" ne constitue plus, aux yeux des principaux dirigeants, ce blasphème qu'il était encore dans les cercles du pouvoir il y a seulement deux ou trois ans…

La vocation fédérale de l'Europe n'a pourtant jamais fait de doute… La commission européenne, le Parlement européen en constitue deux exemples politiques. L'Europe frappe une monnaie qui est désormais la plus utilisée au monde après le dollar et la banque centrale européenne a su s'imposer comme la vraie patronne de la politique monétaire au point qu'il n'a pas été possible de l'impliquer directement dans la résolution de la crise grecque, la chancelière allemande s'y étant catégoriquement opposée.

La voie vers une intégration renforcée, c'est-à-dire la constitution d'un véritable gouvernement économique qui soit l'instance décisionnelle en matière économique budgétaire, représente l'issue incontournable. Face à cette nécessité impérative, le fédéralisme économique devrait donc devenir une réalité dans les mois qui viennent pourvu que la révision des traités qui sera nécessaire ne soit pas en soi un obstacle. Mais il s'agira sans doute d'un fédéralisme apaisé, c'est-à-dire qui ne déchaînera pas les passions qu'il a suscitées au cours de l'histoire récente de l'Union européenne.

Cependant, une mise en garde s'impose : le fédéralisme ne pourra pas être uniquement économique. Une fédération est avant tout une construction politique et les gouvernements devront être prêts à abandonner de nouvelles parts de souveraineté. Un consensus devra se dégager en France parmi les principales forces politiques ayant vocation à gouverner, en particulier le parti socialiste qui, au cours de son histoire, a toujours pris fait et cause pour le fédéralisme.


Patrick Martin-Genier est Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris, spécialiste des questions européennes

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