Le 14 décembre, les commissions des affaires européennes et économiques du Sénat auditionnaient ensemble le ministre des affaires européennes Jean Léonetti sur les résultats du conseil européen des 8 et 9 décembre.
Un nouveau traité pour sauver l'Europe
Pour le ministre, le mécanisme européen de stabilité (MES) nouvelle version du fonds européen de stabilité financière (FESF), va nécessiter un nouveau traité et si 26 Etats membres ont adopté les propositions de la lettre franco-allemande, c'est que celle-ci répondait à l'intérêt général.
Il existe aujourd'hui en Europe les Etats qui ont une vision peu intégrée et ceux qui veulent plus d'Europe selon le ministre, bien que cela ne soit pas nouveau.
Cette audition du ministre a été en fait très intéressante en ce qu'elle a monté qu'il existait un certain nombre d'incertitudes et de changement de position du gouvernement français.
Du fédéralisme à l'intergouvernemental
Il est donc entendu que le traité en question devrait aller vers une gouvernance économique renforcée. Mais là où la vision fédérale était sur le point de l'emporter ou en tout cas séduisait fortement le gouvernement (nous l'avions senti lors de la précédente audition du ministre) qui avait défendu une telle position lors du précédent conseil européen du mois d'octobre, voilà que cette gouvernance redevient subitement intergouvernementale.
Ce revirement ne faisait aucun doute depuis le président Sarkozy avait déclaré dès le lendemain du conseil européen que cette gouvernance serait organisée selon le mode intergouvernemental et qu'il était bien sûr hors de question que quelque organisme communautaire que ce soit vienne s'immiscer dans les comptes des Etats
Le ministre a cru bon de justifier la position de la France, dont on pense qu'elle a été fortement contrainte par la réticence d'un certain nombre d'Etats sur ce point, en estimant que si les Etats "avaient pris le pas sur la commission", cela était tout à fait normal puisque, en France, "
le président de la République est élus au suffrage universel"
En quelques mots, exit la commission, exit toutes les règles de contrôle dont celle-ci est pourtant déjà dotée en vertu des traités
M. Léonetti a également fait état des règles de convergence nécessitant aujourd'hui beaucoup de sang-froid et de réactivité enfin sur la discipline budgétaire avec la fameuse "règle d'or".
Selon le ministre, les sanctions seront bien sûr automatiques en cas de non-respect de la discipline budgétaire qui sera imposé par le nouveau traité car même si elles seront automatiques, la règle de la "majorité qualifiée inversée" fera que ne seront sanctionnées que les situations déficitaires structurelles et non conjoncturelles.
Ce MES devrait ainsi être effectif et opérationnel dès l'été 2012 et son fonctionnement sera assoupli et fera l'aide financière fera intervenir également le FMI, soit 200 milliards pour le F.M.I. et 500 milliards pour le MES.
Des sénateurs très inquiets
A voir l'attitude très concentrée des sénateurs, voire dubitative pour certains d'entre eux, quel que soit le groupe politique concerné, on ne pouvait que deviner que les propos du ministre suscitaient une certaine inquiétude et que les questions allaient fuser provoquant parfois quelques flottements
Car la commission compte bien sûr plusieurs experts des affaires européennes. Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre et députée européenne, nouvellement élue sénatrice de Paris, a fait part de sa vive inquiétude sur le "paquet Almunia" du nom du commissaire chargé de la concurrence, qui vise à réglementer encore plus les aides apportées aux services d'intérêt économique général, les communes étant en effet très inquiètes sur ce point de même que l'association des maires de France. Le service public serait-il en danger et sera-t-il soumis encore plus aux dures règles de la concurrence ?
Très en verve, la sénatrice a également insisté sur la bizarrerie française qui fait que le Parlement français ne serait pas associé au processus de décision alors que les députés allemands sont contraints de veiller aux règles fixées par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe avant de prendre une délibération relative à l'Europe.
Mais le principal point d'achoppement a été soulevé par Alain Richard, lui-même expert du droit européen. L'ancien ministre de la défense a mis le point sur la question sensible : quelle sera la nature du traité qui sera négocié dans les jours qui viennent ? Pour le sénateur du Val d'Oise, il ne saurait s'agir d'un traité intergouvernemental communautaire dès lors que la Grande-Bretagne n'en fera pas partie et qu'on ne saurait imposer un traité communautaire à un pays qui n'en veut pas, pas plus d'ailleurs qu'il ne saurait être communautaire puisque réduit à 26
Un traité international classique
A voir s'agiter les conseillers ministériels et les juristes du Sénat, on pouvait deviner une certaine fébrilité dans les rangs des experts
Mais le ministre a fini par dire- cela étant "un scoop »(sic !)"- qu'il s'agirait d'un traité international comme l'avaient été dans leur temps les accords dits de Schengen
Le nouveau traité s'inscrira donc dans le cadre de la coopération internationale concrétisant la notion de "coopération renforcée"
Cette vision des choses a déçu les plus fervents européens des sénateurs, comme l'ancien secrétaire d'Etat aux affaires européenne Pierre-Bernard Reymond. Le sénateur des Hautes-Alpes a réitéré haut et fort sa conviction fédérale, seule voie possible pour sortir les pays de la crise et pour continuer à uvrer pour la construction européenne.
Il est certain qu'entre le possible et le réalisable, le rêve et la réalité il y a un véritable fossé. On vient de le voir en quelques semaines.
L'euro-fédération qu'évoquait il y a quelques semaines le ministre des affaires étrangères Alain Juppé vient brusquement de se muer en gouvernance économique intergouvernementale
C'est la dure règle de la gestion gouvernementale des affaires européennes
est-ce suffisant pour avoir une vision à long termes de l'Europe ? C'est bien l'objet des nombreux débats qui animent aujourd'hui les cercles européendif]-->
Patrick Martin-Genier Maître de conférence à l'Institut d'études politiques de paris, spécialiste des questions européennes.