par Bruno Vever, le mercredi 17 février 2010

En présentant aux principaux responsables européens ses priorités pour la nouvelle décennie ("Ranimer l'élan communautaire : sept handicaps persistants pour les euro-entrepreneurs, sept priorités d'actions pour les années 2010 "), l'association Europe et Entreprises n'a pas craint de dresser un constat sans fard ni complaisance.


Après une décennie 2000 qui a vu se concrétiser l'euro et l'élargissement mais n'a guère tenu les promesses d'une compétitivité, d'une intégration et d'une solidarité accrues, les euro-entrepreneurs sont aux prises avec des handicaps majeurs qui hypothèquent les perspectives des années 2010.

En témoignent l'absence persistante d'outils communs pour ces euro-entrepreneurs, la grande fragilité d'une identité européenne mal assumée, l'impuissance à bâtir une union économique malgré l'union monétaire, l'inadaptation d'un budget européen aussi à l'étroit que bancal, les chantiers laissés en jachère du marché unique, l'incapacité de créer des services européens d'intérêt général, et – ce qui va de soi après une telle énumération – une société civile aussi inquiète que tenue à l'écart d'une pareille gouvernance de l'Europe.

Les revendications d'Europe et Entreprises découlent logiquement de cette liste pesante d'occasions manquées : il est urgent de ranimer l'élan communautaire en s'attaquant sans faiblesse et sans retard à ces handicaps qui pénalisent l'Europe par sa propre faute. S'il est encore temps après tant d'atermoiements de redresser la barre ! Car de nombreux signes montrent clairement qu'il est déjà très tard.

Sur le plan international notre étoile européenne apparaît bien vacillante. Certes, l'Union européenne a fini par clore avec le traité de Lisbonne l'épuisant feuilleton de sa réforme institutionnelle. Mais pour l'heure Herman van Rompuy et Catherine Ashton s'ajoutent plus qu'ils ne se substituent aux numéros de téléphone de l'Europe qui rendaient déjà perplexe Henry Kissinger. L'attitude de Barack Obama, qui ne s'est guère manifesté lors de l'entrée en fonctions du président désigné du Conseil européen et qui vient de se décommander pour le prochain sommet bilatéral avec l'Union, est révélatrice d'une vraie question.

Sur le plan politique les Etats membres, à commencer par les "grands" - c'est-à-dire ceux qui persistent à se considérer comme tels -, ne sont guère empressés à lever l'ambiguïté et privilégient leur carte nationale. On continue de faire comme si on partageait l'omelette tout en couvant jalousement ses propres œufs. La renationalisation des politiques des Etats européens face à la crise financière et économique, avec une Commission confinée aux rôles accessoires, témoigne clairement de cette réalité. Pourtant, les années 2000 n'ont cessé de démontrer que l'approche intergouvernementale, même quand elle cherche à concurrencer voire supplanter la méthode communautaire, « ne marche pas » dès lors qu'elle est confrontée à l'épreuve des faits ou du temps, et ne saurait offrir en 2010 une alternative crédible pour les pays européens.

Les marchés, qui ont le flair pour attaquer là où ça fait mal, ne s'y sont pas trompés. Alors que la crise persiste dans toute la zone euro en ce début 2010, avec une croissance économique qui reste en panne et ne paraît pas prête à repartir, ces marchés sont en train de tester le seuil de résistance du talon d'Achille de l'union monétaire.

Il est vrai que la Grèce, trop incitée en celà par la vigilance à éclipses – et l'exemplarité de plus en plus douteuse - de ses partenaires, a ignoré le cahier des charges de son appartenance à l'union monétaire, la crise achevant d'exploser son déficit public. Les taux d'intérêt qui lui sont facturés atteignent désormais le double de ceux pratiqués pour l'Allemagne. Le Sommet européen convoqué par Herman van Rompuy le 11 février a donc été contraint de sortir le carton jaune en mettant quasiment sous tutelle la politique économique et budgétaire du gouvernement grec.

L'enjeu est d'importance pour la zone euro où on craint désormais que les marchés ne déclenchent une cascade spéculative en dominos à l'encontre des « PIGS » (ce douteux sobriquet anglo-saxon épinglant aujourd'hui le Portugal, l'Irlande – à quand l'Italie ?-, la Grèce et l'Espagne). Les réalités vont en toute hypothèse continuer de nous rappeler qu'une union monétaire sans union économique n'est pas un bon pari pour l'Europe. Combien d'autres crises faudra t-il encore pour que nos responsables politiques décident de s'y atteler ?

Le temps pour l'Europe n'est plus aux promesses mais aux actes. Epargnons-nous en particulier, comme on l'a entendu évoquer dans les couloirs de Bruxelles ou d'ailleurs, l'illusion ridicule de remettre à 2020 l'objectif que s'était assigné l'Europe il y a dix ans, avec sa "stratégie de Lisbonne", de devenir en 2010 l'économie "la plus dynamique et la plus compétitive du monde". Cessons de compromettre notre crédibilité avec ces rodomontades qu'on affiche faute d'y croire. Concentrons nous plutôt sur un renforcement opérationnel, ciblé et accéléré de nos moyens européens, et sur une coordination plus effective des politiques des Etats. Herman van Rompuy, dans son analyse d'une stratégie de sortie de crise exposée au Sommet du 11 février, paraît heureusement l'avoir déjà compris.

Pour sa part, Europe et Entreprises a voulu, en présentant ses priorités aux dirigeants européens, souligner un choix très clair : "Laisser l'Europe dans son état actuel, trop inachevée et trop éloignée des peuples, n'offrirait qu'un paravent illusoire qui accompagnerait notre déclin. Mais la remettre en chantier actif, avec le concours d'Européens qui soient enfin incités à se ressentir comme tels, assurerait un tremplin à toutes nos ambitions".

Les forces vives de l'Europe économique et sociale, entrepreneurs et responsables associatifs, joueront bien sûr un rôle clé dans ce choix décisif qui marquera les années 2010. Une Europe plus performante et mieux respectée se mérite : elle implique de s'engager clairement pour elle !


Bruno Vever est secrétaire général d'Europe et Entreprises.
http://www.europe-entreprises.com

Il est co-auteur avec Henri Malosse du livre "Il faut sauver le citoyen européen" aux Editions Bruylant

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