Les transformations accélérées de filières comme celles de l'automobile ou de la téléphonie, l'arrêt brutal du boom immobilier dans des régions entières en Espagne ou ailleurs, et d'une façon générale la brusque augmentation du chômage, ont mis à nouveau la question de la formation professionnelle sur le devant de l'actualité sociale.
Alors que certains pays comme la Suède misent sur les qualifications de leurs salariés pour rebondir et se réorienter vers de nouveaux secteurs, d'autres, comme la Slovénie, l'Allemagne et la France, notamment en Franche Comté couplent chômage partiel et formation afin d'aborder la sortie de crise avec un surcroît de compétences tout en se protégeant des effets supposés de l'oisiveté.
Orientation européenne, compétence nationale
Indépendamment de ces actions conjoncturelles, et tout en restant de compétence nationale, l'éducation et la formation tout au long de la vie, traduction laborieuse de « lifelong learning », s'est imposée comme une orientation primordiale des politiques européennes. Le livre Blanc « Vers une société cognitive » en 1995, puis la Stratégie de Lisbonne (« Construire la société de la connaissance ») ou la « Stratégie européenne pour l'emploi » donne une place centrale aux ressources humaines et à l'élévation des compétences pour la réalisation des ambitions de l'Europe. L'excellence de la formation, en particulier scientifique et technique, est à la fois un élément fondateur de l'Europe, héritière de la Renaissance et des Lumières, et la meilleure arme dont nous disposons dans la concurrence mondiale, quoique les Européens accumulent les retards (Europe cherche d'urgence personnes compétentes). A un autre niveau, l'Europass, qui atteste des périodes de formation effectuées à l'étranger, ou le Cadre Européen des Certifications, sont annonciateurs de richesses nouvelles suivant l'exemple d'Erasmus pour les étudiants.
A cette ambition globale (« qui pourrait être contre la formation tout au long de la vie » disait Vincent Merle il y a quelques années) il faut ajouter les stratégies nationales. La formation professionnelle est l'objet de politiques importantes dans tous les Etats membres. Elle y représente globalement 40% des dépenses totales liées aux mesures de politiques du marché du travail.
Mais ces généralités cachent des disparités importantes. Il faut citer celle du coût moyen d'une année de formation. Il va de 20 000 euros en Suède ou en Norvège, à moins de 2000 euros en République Tchèque, en Slovaquie, en Slovénie, à Malte, en Roumanie et en Bulgarie. Le coût moyen est de 6 400 euros (Formation permanente : qui finance quoi et comment ?). Des logiques nationales très différentes déterminent l'articulation entre formation initiale et formation continue, formation en situation de travail et formation académique, importance du diplôme et des certifications professionnelles, formation courte ou possibilité d'une deuxième chance par des formations d'adultes longues, concentration de l'effort de formation sur les plus qualifiés ou au contraire sur les plus fragiles, place de l'apprentissage dans l'entreprise ou malthusianisme des grandes écoles.
Acteurs et... figurants ?
De même les arrangements entre les différents acteurs, écoles, entreprises, organismes privés, services publics, régions, Etats, obéissent à des traditions nationales, et ce malgré les benchmarks et les voyages d'études comme l'explique Eric Verdier dans Les enjeux de la formation « à vie » en Europe. On peut noter néanmoins un mouvement positif d'hybridation des politiques sur des questions comme les formations en alternance ou la reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle. Sur la question de l'inégalité d'accès à la formation continue c'est plutôt l'échec qui semble partagé. Malgré des réformes positives comme le DIF (Droit individuel à la formation de 20h chaque année) en France, ou l'action des « learning representatives » au Royaume Uni, elle profite toujours très majoritairement aux mieux formés.
Cette orientation européenne comme ces disparités entre modèles nationaux, plutôt stimulantes au fond, lorsqu'elles ne se transforment pas en appel au particularisme ou au protectionnisme, laissent de côté quelques questions fondamentales. Le premier point oublié des débats sur la formation et l'éducation tout au long de la vie porte sur la question de la motivation, de « l'appétence » disent les spécialistes. L'envie de se former ne se décrète pas. Or, depuis Jean-Jacques Rousseau (Emile ou de l'Education est publié en 1762 et interdit simultanément en France, aux Pays Bas et en Suisse !), on sait que tout apprentissage suppose à la fois une transmission et une décision de celui qui accepte d'être « enseigné ». Ce n'est pas une affaire de gadgets pédagogiques. Cette décision est possible à la condition d'y être préparé et de lier la formation avec la perspective d'un emploi, comme l'explique Pierre Ferracci. Les injonctions à se former qui tendent à nier les compétences acquises antérieurement, en stages ou en situation de travail, sont à cet égard parfaitement contre-productives. De même l'ambition de faire de la formation en général une assurance-chômage ne résiste malheureusement pas à l'épreuve des faits. Le respect dû aux personnes n'est pas compatible avec les fausses promesses, source de désillusions et de démotivation.
L'autre question que nous devons affronter peut être formulée ainsi : « Quels sont les savoirs utiles aujourd'hui ?». Dans la perspective de parcours professionnels de plus en plus complexes, à tous les niveaux, peut-on se satisfaire de formations adaptatives et spécialisées ? Ne faut-il pas former à la « métis » (honneur à notre publication !), « cette intelligence qui combine le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d'esprit, la débrouillardise, l'attention vigilante, le sens de l'opportunité ». C'est peut-être le sens qu'il faut donner à la proposition de cours de philosophie de l'Institut d'analyse financière ! Si l'engagement dans un processus d'apprentissage et d'appropriation des savoirs, suppose que cet apprentissage soit intégré dans une dynamique dévolution, dans un parcours auquel chacun puisse donner du sens, ne faut-il pas effectivement penser une formation initiale, mais aussi continue, qui réunisse les cultures professionnelles et humanistes, l'expertise et les interrogations sur notre époque ?
Editorial de la lettre de Métis du 17 février 2010
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Jean-Marie Bergère est Délégué général d'ASTREES