Confrontations Europe, à l'initiative de son président fondateur Philippe Herzog, a réuni pour la cinquième fois le « groupe crise » (1) pour débattre des évolutions actuelles sur les marchés financiers et proposer des options pour une gestion européenne de la crise.
Des facteurs limitant la probabilité d'un krach obligataire
Devant la dérive généralisée des finances publiques en Europe et en zone euro, il n'est pas illégitime de se demander si un krach obligataire menace. Néanmoins, des facteurs limitent ce risque. "Certes, les émissions augmentent considérablement en zone euro, passant de 876 milliards d'euros en 2009 à 1000 milliards d'euros en 2010, ce qui, compte tenu des remboursements, porte l'encours de la dette de 520 milliards d'euros, soit une augmentation de 14 %," indique Mathilde Lemoine, directeur des études économiques chez HSBC France. "En outre, plusieurs Etats ont indiqué leur intention d'allonger la maturité de leurs émissions. Mais, d'un autre côté, la demande de titres obligataires est susceptible de rester forte. Les investisseurs éprouvent une forte aversion pour le risque et pourraient donc rester prudents vis-à-vis des actions. Les banques centrales des pays émergents continueront à limiter l'appréciation de leurs devises en achetant des titres sans risque : on constate actuellement un léger déplacement de leur demande des titres dollar vers les titres euro. En outre, les évolutions de la réglementation prudentielle amèneront les banques et les assurances à rééquilibrer leurs portefeuilles au détriment des actions et en faveur des obligations ."
L'Europe ne peut pas non plus exclure une sorte de crise "à la japonaise", caractérisée par une croissance et une inflation durablement faibles, donc par des taux d'intérêt bas. Ce qui ne va pas dans le sens d'un krach obligataire.
Des risques spécifiques à la zone euro
"Bien que la situation des finances publiques de Californie ait été plus dramatique que celle de la Grèce, elle n'a pas déclenché une telle tempête", observe Jacky Fayolle, directeur du centre Etudes & Prospective du Groupe Alpha. En effet, les marchés ne doutent ni de la solidarité fédérale américaine ni de la pérennité du dollar. En revanche, ils savent que l'euro est une monnaie jeune et qu'une partie de l'opinion publique allemande serait ravie d'éconduire la Grèce de la monnaie unique. De plus, il n'y a pas en zone euro une pleine souveraineté politique pour accompagner la monnaie. En outre, "les disparités économiques nationales n'ont pas disparu depuis la création de la zone euro", souligne Jacky Fayolle. " Ainsi, quand la Grèce a rejoint la monnaie unique, la prime de risque sur ses rendements a immédiatement disparu, mais les différences structurelles de son économie et d'autres sont restées inchangées."
Un pilotage politique à inventer
Que faire alors pour contenir ce risque spécifique à la zone euro ? A l'occasion du Conseil européen "informel" des 11 et 12 février, les dirigeants de l'Union avaient assuré la Grèce de son soutien, à condition qu'elle s'engage dans un programme de stabilisation budgétaire. A l'issue de l'Eurogroupe et de l'Ecofin des 15 et 16 février, c'est surtout le volet " conditions et contrôle" qui a été précisé, mais pas les modalités concrètes de la solidarité qu'il faudrait éventuellement mettre en uvre. La Grèce est sommée de réduire son déficit de 3 à 4 points de PIB par an ; elle doit mettre en uvre une liste impressionnante de mesures. En revanche, on ne sait quelle forme (contribution de l'Union ? prêts bilatéraux accordés par certains Etats ? etc) prendrait le soutien financier. "Si les esprits étaient mûrs, il serait temps d'instaurer une ligne de crédit garanti par tous les pays de la zone euro, une sorte de Fonds monétaire européen", estime Edmond Alphandéry, Président du Conseil d'administration de CNP Assurances et ancien ministre des finances. "L'aide serait accompagnée d'une conditionnalité très forte. Cette solution nous éviterait d'avoir recours au Fonds monétaire international.". Européens, encore un effort de volonté pour piloter la sortie de crise !
Les mécanismes actuels de solidarité financière
En attendant (peut-être en vain ?) de voir l'Europe se doter d'une sorte de FME, par quelles procédures les Européens pourraient-ils manifester dans les faits leur solidarité à la Grèce ? Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoit, dans son article 143, un concours mutuel (qui peut prendre la forme "d'octroi de crédits limités de la part d'autres Etats membres") qui peut être accordé à un pays "en cas de difficultés ou de menace grave de difficultés dans la balance des paiements" (ce qui serait adapté au cas grec). Pas de chance ! Ce concours ne peut être accordé qu'à un Etat membre "faisant l'objet d'une dérogation", c'est-à-dire hors de la zone euro.
C'est d'autant plus fâcheux que, non seulement l'article 123 TFUE interdit à la Banque centrale européenne "l'acquisition directe" des instruments de la dette émise par les Etats (mais elle pourrait peut-être les acheter sur le marché secondaire ; en tout cas, elle les accepte en collatéral de ses opérations de refinancement), mais aussi l'article 125 TFUE semble proscrire de façon assez large les aides que l'Union (en tant que telle) ou les Etats pourraient être tentés d'accorder à un pays pour soulager sa dette.
Reste une solution, juridiquement approximative mais peut-être politiquement nécessaire si l'Union doit faire face à une crise : interpréter de façon souple l'article 122 TFUE. Il dispose notamment : "le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les Etats membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier [ndlr : mais pas exclusivement ?] si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement de certains produits
". Tout serait moins flou si un FME avait été prévu.
(1) Le compte-rendu sera disponible ultérieurement sur le site de Confrontations Europe, comme le sont ceux des réunions précédentes
Paru dans Interface 54, (février 2010) de Confrontations Europe
http://www.confrontations.org
Olivier Lacoste est directeur des études à Confrontations Europe