par Samir Mathieu, le lundi 08 mars 2010

Zoom sur les questions d'identités en Europe de l'Est. Qu'elles soient régionales, nationales ou marginales, les identités sont mal identifiées à l'Est.


En France, l'opaque débat sur l'identité nationale

En France, un débat sur l'identité nationale a été impulsé par le pouvoir politique. Quelqu'en soit l'objectif initial, politique, sociologique ou européen, il subit une fin en queue de poisson, à la fois interrompu par un séminaire gouvernemental porté par le Premier ministre François Fillon, et l'attente de l'analyse élyséenne ; Nicolas Sarkozy a promis de s'exprimer sur le sujet au mois d'avril, après les élections régionales. Ce grand débat a été marqué par plusieurs facteurs qui ont freiné sinon effacé la portée que pouvait garantir un tel chantier. Un cadre mal défini, des discussions réservées aux salons institutionnels, et la prise d'assaut des forums et lieux de paroles par la frange, si ce n'est raciste, mais au moins populiste d'une partie de la population, et un calendrier capricieux – le vote suisse sur les minarets – ont fait tourner le débat, en cacophonie géante et gênante, autour de l'islamophobie. Cette crainte de l'islam, et par de là, de l'étranger, celui qui peut différer de par son comportement, de sa culture. Au lieu de tourner la France vers l'Europe, et d'améliorer sa mixité culturelle, ce débat sur l'identité nationale l'a crispé, telle une vieille dame qui a peur de se faire dérober ses précieux bijoux.

C'est un constat. Mais la France a t'elle régressé pour autant ? Est-elle revenue au temps de Jaurès, de Dreyfus ou de Maurras ? Une discussion peut être stérile, ou accoucher d'une souris, et c'est probablement ici le cas. Mais elle n'est en aucun cas inutile.


A l'Est, comment créer des identités nationales ?

La France serait bien gardée de trop se lamenter sur sa situation. Sa société est apaisée. Il existe certes des troubles et des difficultés. Mais la France conserve une identité propre qu'elle s'est forgée au fil des siècles passés, autour de bases fondamentales issues des pensées des Lumières : la République, la laïcité et la fraternité.

A l'Est de l'Europe, les questions d'identités ne sont pas résolues. Les Peco (Pays d'Europe centrale et orientale) subissent des transformations notoires dans leurs sociétés. Et plusieurs cas de figure se présentent. Vingt ans après la chute de l'URSS (Union des Républiques socialistes soviétiques), le joug russe plane toujours et de plus en plus fortement sur ces nouveaux pays. Nouveaux pays et nouvelles nations ! Le communisme, les a privés d'identité pendant près d'un demi-siècle. Les Peco étaient "socialistes" et faisaient partie intégrante de l'"Internationale" ou le "Comicom". Seule la Yougoslavie s'était détachée de ce tutorat moral et institutionnel, avec les conséquences que l'on a pu constater dès la mort du père de substitution de cette pseudo-nation slave issue de l'éclatement des empires austro-hongrois et ottoman à la fin de la Première guerre mondiale. L'Histoire, et j'y reviendrai par la suite, joue ici un rôle essentiel dans la composition de ces nations.
Plusieurs questions se posent aujourd'hui à l'orée du XXIe siècle. Le communisme n'a-t-il été qu'une parenthèse pour les Peco ? L'UE (Union européenne) est-elle le nouveau tuteur de l'Europe de l'Est ? Vers quel système se tourner ? La Russie est-elle toujours une menace pour la survie de ces pays ? Ces sociétés sont-elles capables de se gérer par elles-mêmes ?

Au siège de la délégation du Parlement européen à Paris, s'est tenue le 25 février dernier, un séminaire du club "Grande Europe », club de presse centré sur l'Europe élargie. L'intitulé de la rencontre "L'identité dans la partie orientale de l'Union européenne : entre nation et Europe". L'objectif cette conférence était de définir la notion d'identité en Europe de l'Est, et en particulier les Peco et les pays baltes depuis 1989. Sont intervenus Marek Beylin, qui est l'ancien rédacteur en chef des pages Opinion du journal polonais Gazeta Wyborcza basé à Varsovie, Jozef Batora, politologue de renom et professeur associé à l'université Comenius de Bratislava en Slovaquie, Magda Szabo, ancienne directrice de l'institut hongrois à Paris et surtout vice-présidente de la télévision publique Duna TV en Hongrie, et Ilmar Raag, ancien président de la télévision ETV et cinéaste en Estonie.


La Pologne : entre Bruxelles et les régions, Varsovie s'efface

La Pologne est le plus gros des nouveaux entrants dans l'UE depuis 2004. Son poids pèse dans les décisions de l'Union, notamment en ce qui concerne les questions agricoles et donc, la Pac (Politique agricole commune) qui représente encore près de 45 % du budget communautaire. Le poids de l'Histoire pèse d'autant plus en Pologne, qu'à plusieurs reprises, celle-ci s'est attachée à l'effacer de la carte. Pour Marek Beylin, quatre axes se dégagent dans la construction de la Pologne. Tout d'abord, on constate un processus de prolifération des identités avec la pluralisation des identités locales, ethniques et régionales. Elles se définissent en tant que minorités, de plus en plus visibles. Parallèlement, un axe se construit entre ces minorités et l'Europe. Il est directement rélié par un facteur fiducial. C'est Bruxelles qui apporte l'argent et non plus Varsovie. C'est Bruxelles qui modernise le pays. Et d'ailleurs, cela ne date pas du 31 mai 2004, date officielle de l'entrée de la Pologne dans l'UE, mais remonte au milieu des années 1990 avec les débuts des négociations d'adhésion. C'est l'Union qui va financer l'installation de la fible optique – l'internet très haut débit – pour tous en Pologne. C'est aussi l'Union qui permet aux agriculteurs d'acheter de nouveaux engins agricoles. Plus performants, plus rentables. C'est encore l'Union qui essaie de sauver les chantiers navals polonais, avec plus de difficultés, il faut l'avouer. Ce nouvel axe entraine directement une sensation d'oppression, qui a permis aux frères Kaczinsky d'accéder aux plus hautes fonctions de l'Etat. C'est cette majorité, qui s'est rattachée aux valeurs chrétiennes, dès la fin des années 1980, et qui prône une forte identité nationale polonaise. Cette majorité qui a été traumatisé par le pacte de Varsovie, mais aussi par les accords de Munich. C'est celle là même qui a dans sa mémoire, la suppression du pays et le laisser faire des pays de l'Europe de l'Ouest. Celle là même qui depuis près de vingt ans rêve, et pratique, l'Atlantisme. Celle là encore qui autorise l'installation d'un bouclier anti-missile sur son territoire, qui adhère à l'Otan (Organisation du Traité de l'Atlantique nord). Mais c'est aussi et encore cette Pologne là qui voulait inscrire dans le projet de Constitution européenne, les racines chrétiennes de l'Europe, qui refuse ardemment l'entrée de la Turquie dans l'Union, et qui a restreint à son maximum le droit à l'avortement – alors que celui-ci était légal sous l'ère communiste. C'est encore et toujours elle qui veut retirer ses droits aux minorités – juifs, musulmans, homosexuels, féministes…

De façon tout à fait paradoxale elle rejoint, en certains points seulement, le syndrome post-communiste. Celui-ci est révélé pour Marek Beylin, par la montée des populismes. Cela génère une révolte contre le changement et surtout contre les élites. Elles ont été renforcées par la rigueur issue du processus de libéralisation du pays dans les années 1990.

Enfin, on constate l'émergence d'identités cachées, cibles de persécutions ou de mise à l'écart de part leur manque de légitimité. Pour Marek Beylin, elles sont même non légitimes. Ce sont ces minorités, plutôt sociales, qui réclament le droit à l'avortement, le droit pour les homosexuels, des droits pour les femmes…

Pour Marek Beylin, malgré tout, malgré les résurgences de conservatismes et de populisme, la Pologne est entrainée sur une voie "inarrêtable" de pluralisation et de démocratisation. Pour ce journaliste, il existe un débat "ouvert et accessible" sur la démocratie en Pologne. Le débat identitaire est lui beaucoup plus enfoui. Il est présent mais est masqué sous la silhouette de la relation entre le centre et les périphéries, soit le débat entre un pouvoir central à Varsovie et les minorités, qu'elles soient régionales ou sociétales.


La Slovaquie : un Etat neuf pour une société nouvelle

La Slovaquie dispose d'une particularité singulière pour les Peco, c'est la seule nation à n'avoir jamais, sauf pendant une courte période à la fin de la Seconde guerre mondiale – le mouvement populaire qui avait vu la création d'un gouvernement slovaque en 1944, disposé d'un Etat qui lui était propre. Elle vient de fêter les 19 ans de son Indépendance, après la séparation qui s'est opérée au cours de la Révolution de velours avec la Tchéquie, sa République sœur et voisine issues toute deux de l'implosion de la Tchécoslovaquie, cet autre Etat issu du Traité de Versailles en 1919. Une singularité qui a permis à la Slovaquie de se forger une structure identitaire basée sur le développement de réussites professionnelles, économiques ou sportives. Comme le souligne Josef Batora, au cours de ces vingt dernières années, les héros de la nation slovaque sont bien souvent des sportifs. Un constat qui a encore pu se vérifier lors des derniers Jeux olympiques d'hiver à Vancouver au Canada.

Le Processus d'intégration a été rapide en Sovaquie. Ce pays essaie de se construire avec une population slovaque et pour un Etat slovaque propre à lui-même. Celui-ci intègre un virage majeur pris en 1999. C'est un virage libéral qui l'a, mieux que qu'aucun autre Peco, préparé à intégrer l'UE. Et le résultat majeur et visible a été l'intégration de la Slovaquie dans la zone euro dès janvier 2009.

Il reste cependant un véritable challenge pour ce pays, qui consiste à instaurer durablement la démocratie dans les mœurs. Depuis 2009, une série de lois inquiète notamment le réseau RSF (Reporters sans frontières). Ces mesures législatives ont marqué un frein incroyable de la liberté de la presse dans ce pays qui jusque là était plutôt un bon élève des Peco en matière d'accès à l'information. La liberté d'entreprendre est grande. La Slovaquie est devenue en vingt ans, un des principaux réservoirs de main d'œuvre de l'Union en matière industrielle. C'est vers elle que se sont effectuées grand nombre de délocalisations d'entreprises de l'Ouest vers l'Est. Les mesures fiscales, dont les multinationales ont bénéficié, sont celles qui ont poussé les opposants au traité constitutionnel à parler de dumping social. Et souvent à raison. Le célèbre "plombier polonais" n'aurait-il pas été plutôt l'ouvrier spécialisé slovaque ? La Slovaquie, pour répondre à la demande de main d'œuvre nouvelle, a ainsi accueilli beaucoup de migrants. Le pays dispose du taux le plus important de population noire dans sa population totale, de tous les Peco.

Pour le politologue Josef Batora, des signes positifs existent dans la formation d'une identité slovaque. Premièrement, la société est très pacifique. On ne relève pas de troubles majeurs d'ordres sociaux ou ethniques. Et ce malgré les récentes tensions avec la Hongrie, au sujet de la forte minorité hongroise qui réside dans le pays. Les minorités visibles coexistent paisiblement. Et le pays ambitionne de servir d'exemples pour les autres Peco. Son rayonnement actuel pousse la Slovaquie à soutenir l'intégration du Bélarus, et surtout de la Moldavie dans l'UE. Et à les faire adopter son modèle démocratique, libéral. Des pays qui seraient les premiers susceptibles de nouer des liens économiques particulièrement étroits vers l'Est, pour cette petite République, qui n'en reste pas moins l'une des plus puissantes forces exportatrices d'Europe de l'Est.


La Hongrie et l'obsession de "Grande Hongrie"

Le Magyar. Voici le premier élément à tenir en compte pour l'identité hongroise. Cette langue est la seule non indo-européenne d'Europe centrale. Elle appartient au bloc linguistique finno-hongrois qui arrive tout droit d'Asie du IXe siècle. L'identité hongroise est donc ancienne, très ancienne. Elle est également très riche. Mais comme pour la Pologne, elle est perpétuellement remise en question. C'est ce que rappelle Magda Szaba : "Est-ce que nous avons le droit de pouvoir exister ?". La Hongrie, c'est un peuple. Mais ce n'est sûrement pas un territoire et encore moins un Etat. Ce sont les stigmates de l'Histoire. L'empire austro-hongrois a imposé un régime – sous influence germanique, mais aussi centralisé à Vienne, et effacé la culture hongroise. Les avancées ottomanes de la fin du XIXe siècle n'ont pas ménagé les Hongrois présents dans les terres orientales de l'Europe que ce soit en Bessarabie ou en Valachie.

L'autre grand traumatisme hongrois remonte à 1956. Le pays, dans un acte de bravoure extraordinaire pour l'époque, se soulève et fait chuter le régime stalinien en place. Mais Moscou intervient, l'Europe laisse faire… et le reste de l'histoire, on la connaît… Mais après l'échec de la Révolution de 1956, le Comecom et Moscou se sont attachés à "internationaliser" au maximum le pays. Il fallait éviter que le scénario se répète. Il a été interdit d'évoquer la question nationale pendant plus de quarante ans. Aujourd'hui, de fortes interrogations se posent sur cette question là. La jeunesse est en particulier ébranlée par la question de son identité. Et la crise ne favorise pas la sérénité du débat. En parallèle de la libéralisation du régime, s'est développée la liberté d'expression. Et autant dire qu'en Hongrie, les mouvements nationalistes, xénophobes et racistes savent manifester ce droit.

La Hongrie, c'est aussi la question récurrente des minorités. Les tziganes et les Roumains sont le principal souci de l'identité hongroise. Si les Slaves et les Slovaques sont bien intégrés en Hongrie, les Roms n'ont pas cette chance là. De par leur culture mais aussi par leur comportement et leur mode de vie. Ils sont la cible permanente de l'extrême droite du pays. Mais la question des Roms dépasse largement le cadre hongrois et j'y reviendrai tout à l'heure.
Pour Magda Szaba, il faut "accepter la réalité européenne comme une mosaïque culturelle juxtaposée". Cette mosaïque culturelle qu'elle s'attache à refléter à travers la chaine de télévision publique Duna TV. Cette chaine culturelle a une vocation internationale et vise à transmettre la culture hongroise aux ressortissants du monde entier. Elle a été élue en 1999, meilleure chaine de télévision culturelle au monde. Cette vocation à faire le lien avec les Hongrois du monde coïncide bien avec la volonté, et parfois l'orgueil, dont peut disposer le peuple hongrois à survivre et à être reconnu comme un peuple à part entière, riche et fort.


En Estonie, mixité et avant-gardisme

« Nous voulons l'Euro !» Tel est le maître mot que l'on peut lire sur les lèvres de nombreux estoniens. L'Estonie, a, comme beaucoup d'autres pays ayant subi le joug russe, une peur vicérale de perdre sa patrie. Et cette peur qui pousse ce petit pays balte à aller de l'avant. Une situation dont on pourrait tout aussi bien parler de fuite en avant. L'Estonie fuit l'ogre russe pour se réfugier dans les bras de sa nouvelle grande sœur l'Union européenne. Et plus encore sous le protectorat américain au sein de l'Otan.

Ilmar Raag résume à lui seul la sensibilité de l'âme estonienne : « En 1989, je ne savais pas que j'étais d'Europe de l'Est, ce n'est qu'après que j'ai pris conscience qu'on était classé à l'Est ». C'est une question de langage. Le cinéaste rappelle qu'en Estonie « il n'y avait pas ou si peu de communistes ». Ils utilisaient la carte du parti pour profiter du système.
Reste que durant les années 1960 et 1970, la Russie a procédé à une importante vague de peuplement vers les pays baltes. Cela se traduit aujourd'hui directement dans la société estonienne. 30 % des habitants de l'Estonie sont Russes ou d'origine russe. Un tiers a adopté la nationalité estonienne, et un tiers dispose de la double nationalité. Parmi tout ces Russes, 35 % se sont intégrés. Mais une grande majorité reste pragmatique. Ces Russes restent en Estonie non pas parce que c'est leur Eden, mais parce qu'ils sont toujours mieux que ce qu'ils seraient en Russie. Il reste une dimension patriotique importante chez les Russes d'Estonie. A leur grande majorité, ils aimeraient que les Russes réintègrent l'Estonie. Et sont issus des milieux aisés.

Malgré cette peur, l'Estonie fait preuve d'exemple en matière de mixité sociale. 15 % des Estoniens sont aussi russophones. Et l'Estonie a été le premier Etat en Europe à reconnaître l'identité culturelle juive comme telle.


Les Roms : un peuple devenu européen malgré lui

Les Tsiganes sont issus de peuples indo-européens d'origine indienne. Il s'agit des Kshattriyas qui sont venus du nord de l'Inde. Ils sont arrivés en Grèce au IXe siècle. Puis, au XIIIe siècle, les Rajputs les ont rejoints. On recense une quinzaine de dialectes tziganes à travers toute l'Europe. Il y a environ dix millions de tziganes en Europe, des îles britanniques, à la Grèce en passant par la péninsule ibérique, la Scandinavie et l'Europe centrale. Selon, les régions on les nomme différemment : tziganes (terme plus général), Roms (nom qu'ils se donnent eux-mêmes), Gitans (dans le Midi, Gypsy (au Royaume-Uni), Gitano (Espagne et Portugal), Sinti (dans les régions germanophones - ils ont été déportés et exterminés à 85 % lors de la Seconde Guerre mondiale), Bohémiens (en France en évoquant ceux qui venaient de Bohême en République tchèque), Manouches (sur les rives de la Loire en France) mais aussi Romanichels (terme qui signifie "groupe d'hommes", qui a dérivé en Français en vagabonds et personnes sans domicile fixe). (Des informations que vous pouvez retrouvez de façon plus approfondie dans Les langages de l'humanité, de Michel Malherbe (Paris, Robert Laffont, coll. "Bouquins", 1995).

Ensemble, ils ont formé la Romani Cel, c'est à dire le peuple tsigane, d'où leur surnom de "Romanichels". C'est un peuple qui s'est dispersé dans toute l'Europe au fil des siècles. Leur particularité première réside en leur nomadisme, un mode de vie depuis longtemps abandonné par les civilisations actuelles. Et c'est le terreau de leur exclusion perpétuelle. Ils vivent dans d'autres espaces et cadres de société. Leurs valeurs et leur mobilité les empêchent de s'assimiler aux populations majoritaires. Et ce, dans n'importe quel pays où ils se trouvent. La situation n'est guère meilleure en Europe de l'Ouest - France, Espagne, Belgique, - que dans l'Est, où ils sont encore plus présents, et discriminés.

Alors sont-ils mis sur la touche par les sociétés ou s'excluent-ils d'eux-même en refusant de participer à toute forme d'Etat social ? La question est vaste. Et la réponse sûrement pas évidente. La réalité repose sur leur exclusion. Ils vivent en marge des villes, en marge des sociétés et n'adhèrent pas aux identités des pays. Car les Roms restent avant-tout un peuple, dont la solidité est magistrale. Ils ont survécu aux persécutions austro-hongroises, aux facismes et totalitarismes du XXe siècle, et à leur extermination programmée par le régime nazi entre 1933 et 1945, et aux reflus des nationalismes depuis la seconde moitié du siècle.

Aujourd'hui, certains pays sont en proie à de très grandes difficultés d'acceptation des Roms. Ils s'agit essentiellement de la Hongrie, de la Roumanie, de la Slovaquie, de la Tchéquie, des Balkans (Bulgarie, Serbie, Albanie...) et en Italie. Des groupuscules d'extrême droite et les différentes mouvances populistes en font leur cible préféré : en quelque sorte, leur "tête de turc" ! Régulièrement, à tort, et à raison, ils sont nommés responsables des fautes, violences et difficultés que vivent un pays. En ces temps de crise, en Hongrie et en Italie, des rondes sont organisées pour surveiller leurs faits et gestes, et souvent même les menacer et les mettre en garde. En marge de ces difficultés de stabilisations dans les sociétés européennes contemporaines, réside un problème économique et social. Comment contribuent-ils à financer les Etats ? Quels sont en fait, leurs droits et devoirs ? En France, l'actuel président et ancien ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, avaient pris des initiatives de reconduites en Roumanie, avec le président Bacescu. En Italie, ils forment une communauté migrante importante. Et sont soit l'objet de rejet systématique, ou deviennent employés, souvent de façon illégale pour effectuer des taches ménagères.


Beaucoup de travail à effectuer

En quêtes d'identités ou d'intégrations… les pays d'Europe centrale et orientales n'ont toujours pas trouvé un moyen stable d'adoption d'une attitude cohérente, entre la construction européenne, leurs identités respectives et l'émergence de minorités visibles et légitimes. Ces pays oscillent entre le retour à des conceptions identitaires qui les ont forgé dans la première moitié du XXe siècle et une attitude rénovatrice qui n'a pas encore trouvé de repères historiques, et à l'heure où la crise frappe durablement les sociétés occidentales, en particuliers européennes. Alors la Hongrie doit-elle toujours rester amère du traité de Trianon et en vouloir aux Français et à Clémenceau qui ont alors mis à mal ce peuple atypique ? La Roumanie doit-elle toujours vivre dans son illusoire grandeur nationale ? Celle qui est enseignée dans les manuels scolaires, mais qui n'a plus de vérifications depuis des lustres dans ce pays gangréné par la corruption, et qui a de tous les anciennes républiques « sœurs » socialiste, sûrement le moins usé de son droit d'inventaire et n'a toujours pas réussi à relancer un élan démocratique. Le peuple roumain semble comme anesthésié. Les minorités dans le pays sont bafouées. A tel point que le président roumain Traian Basescu se croit obligé de rappeler que les Roms ne sont pas les Roumains. Vrai, en partie ! Mais, ils constituent un poids non négligeable de la population dans cette République. Les Hongrois, malgré des tensions perpétuelles, ont intégré la coalition du centre-droit au pouvoir.

Les identités nationales sont aussi très mal identifiées dans les autres pays que l'on a pu évoquer précédemment. L'Ukraine et la Moldavie sont deux autres cas très spécifiques et auxquels il conviendrait d'accorder beaucoup plus de temps, pour mieux les décrypter. La Moldavie est et reste le pays le plus pauvre du continent. Elle a du mal à se détacher des tutelles russes et roumaines qui gangrènent le développement de ce tout petit territoire coincé entre la Roumanie et l'Ukraine.

Le plus grand des pays d'Europe de l'Est vient de vivre des élections présidentielles particulièrement compliquées, et qui ont, une nouvelle fois mis à jour, la dualité du pays. Une partie a son âme russe. On parle le russe. On y vit russe. L'autre, est tournée à l'Ouest. Elle rêve d'Otan, d'Union européenne, et est traumatisée par son passé – la famine génocidiaire de Staline en 1932. En 2004, la Révolution orange a porté au pouvoir cette seconde moitié de l'Ukraine. Mais depuis, le pays a été frappé de plein fouet par la crise économique internationale. Et reste soumis au dictat énergétique russe. Les Européens ont probablement une grande part de responsabilité dans l'échec de la Révolution orange. Au lieu de soutenir ouvertement le processus d'occidentalisation de cette ancienne république socialiste soviétique, ils ont encore une fois, préféré baisser l'échine… Cette semaine, le Victor Ioutchenko a donné le ton. Il a promis au Premier ministre russe que le pays allait être mieux tenu ! On compte sur lui pour resserer les espaces démocratiques ukrainiens. L'opposition orange est divisée. Et vient de perdre la majorité à l'Assemblée, ce qui a entraîné la destitution de la Premier ministre Ioula Timochenko.

En Italie et en France, des élections régionales importantes vont se tenir dans le courant du mois. Ces deux pays ont été récemment marqués par des débats identitaires importants : la question des immigrés Roms et Roumains dans la péninsule. Et le débat sur l'identité nationale en France. Si en France, le débat sur l'identité nationale semble avoir, de par son absence de cadre et ses dérapages en série, affaiblit le pouvoir central en place, et même revigoré l'électoral d'extrême droite. En Italie, les élections pourraient servir de plébiscite au Premier ministre Silvio Berlusconi, affaiblit par ses multiples déclarations sur sa vie sexuelle, sur les femmes et les étrangers.

En Grèce enfin, l'incertitude pèse sur le peuple hellénique. Comment vit-il cette mise au ban des puissances économiques européennes ? Plutôt mal si l'on suit la tournure des événements. Les manifestations contre le plan de rigueur sont très suivies et deviennent de plus en plus violentes. Quelle sera l'attitude des communistes, très présents dans le pays, dans les semaines à venir. Le gouvernement de Papandreou va t'il résister à l'austérité ? Et comment les Européens comptent-ils régler la situation si elle continuait à se dégrader, tant sur le plan économique que social.

Cette crise en Grèce n'est pas à prendre à la légère, car elle menace directement l'identité européenne, de par sa construction, c'est à dire économique, via la mise à mal de la zone euro. Une exclusion de la Grèce de la zone euro pourrait déstabiliser la paix sociale de la Grèce – cela reste une éventualité. Et les conséquences sur le reste de l'Union européenne, sont malheureusement occultées…


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