par Edouard Pflimlin, le mardi 23 mars 2010

Après la Commission européenne, la présidence espagnole de l'UE a apporté lundi 22 mars sa voix pour demander qu'un plan d'aide à la Grèce dont la situation budgétaire est critique avec un déficit prévu à 12,7 % du PIB cette année – la limite du pacte de stabilité européen étant de – 3 % du PIB - soit approuvé cette semaine lors du sommet des dirigeants européens jeudi 25 et vendredi 26 mars. La pression sur l'Allemagne toujours réticente s'accroît donc. "C'est un moment important pour l'avenir de l'UE, de l'euro. On va faire tous les efforts pour donner cette confiance, cette solidarité que je crois qu'elle (la Grèce) mérite grâce aux mesures que le gouvernement Papandréou a déjà prises", a déclaré le ministre des affaires étrangères espagnol, Miguel Angel Moratinos. La chancelière allemande Angela Merkel refuse pour le moment de prendre un tel engagement. "Je ne crois pas pour le moment que la Grèce ait besoin d'argent, et le gouvernement grec vient de le confirmer. C'est pourquoi je déconseille de provoquer des turbulences sur les marchés, en suscitant de fausses attentes du Conseil européen de jeudi", a-t-elle dit dans une interview diffusée dimanche 21 mars.


Le Fonds monétaire international (FMI) pourrait, en cas d'urgence, agir en faveur de la Grèce, a même déclaré lundi 22 mars un porte-parole du gouvernement allemand. Il a prévenu que les dirigeants européens agiraient si la stabilité de l'euro était menacée, et qu'aucune décision sur une aide à la Grèce n'est à l'agenda du sommet européen prévu jeudi et vendredi. L'idée d'un Fonds monétaire européen (FME), inspirée notamment par les conceptions de Daniel Gros, directeur du Center for European Policy Studies et reprise, par Wolfgang Schäuble, le ministre de l'économie et des finances allemand, serait-elle déjà aux oubliettes ?

Cette nouvelle organisation servirait pourtant à doter la zone euro d'un instrument pour assainir les comptes d'un Etat de l'Union monétaire menacé de faillite en le subventionnant selon des principes budgétaires stricts. "Pour la stabilité de la zone euro, nous avons besoin d'une institution qui dispose des expériences du FMI et de pouvoirs d'intervention analogues", a déclaré récemment le ministre chrétien-démocrate.

Le vice-ministre des finances grec, Philippos Sachinidis, a affirmé dimanche 21 mars que la Grèce peut se passer d'emprunts obligataires jusqu'à la fin avril. Il a ajouté qu'Athènes n'a pas encore décidé quand elle fera appel aux marchés pour refinancer sa dette, qui approche 120 % de son produit intérieur brut – deux fois les limites européennes -, attend une proposition d'aide de l'Union européenne à l'occasion du Conseil européen des 25 et 26 mars à Bruxelles. Le gouvernement a toutefois laissé entendre qu'il pourrait s'adresser FMI si aucune solution européenne n'est proposée.


Dans ce contexte, quelles solutions sont donc envisageables pour la Grèce ?


Commençons d'abord par l'idée du FME. Nous renvoyons ici à une chronique du 10 mars "Un nouveau Fonds Monétaire Européen pour secourir un pays de la zone euro ? " sur Fenêtre sur l'Europe qui souligne que cette idée a rencontré un certain écho mais aussi de nombreuses réserves et serait un chemin semé d'obstacles.

On peut remarquer que de nombreux économistes et pas des moins éminents sont très réservés sur ce "FMI européen". Charles Wyplosz, professeur à l'Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement à Genève, qui avait approuvé en son temps la proposition par le Japon en 1997 d'un Fonds Monétaire Asiatique face à la crise qui a ravagé les pays d'Asie de l'Est cette année là, estime qu' "il n'y aura pas de Fonds monétaire européen. C'est une idée saugrenue qui répond à des motivations largement infondées. C'est aussi un projet complexe dont les défenseurs ne mesurent ni les implications, ni les conditions de succès". Il avance plusieurs éléments – risque d'entrée en contradiction avec les traités européens ; refuser de faire appel au FMI cette fois-ci est un curieux paradoxe alors que les ressources de ce dernier sont abondantes et que les Européens dominent l'institution rappelant qu'un Français bien connu est à sa tête et qu'un autre un peu moins, Olivier Blanchard, est son chef économiste ; risque de "nivellement par le bas" avec un FMI régional ; risque d'être moins ferme que le FMI en cas de non respect des engagements pris par un Etat en l'échange d'une aide européenne ; problèmes de financement du FME, etc…

On voit donc les limites sont sérieuses

D'autres économistes sont aussi très réservés, comme, Henri Sterdyniak, professeur associé à l'Université de Paris IX-Dauphine et économiste à l'OFCE, , pour qui "l'Eurogroupe assure déjà la coordination et la surveillance des politiques budgétaires, je vois mal l'utilité d'un fonds monétaire européen qui s'ajouterait et ferait double emploi avec le pacte de stabilité et de croissance." Notons que même Daniel Gros, inspirateur de l'idée on l'a dit, estimait dans un entretien récent que "pour la Grèce, il était trop tard [pour lancer un Fonds monétaire européen sur le modèle du FMI]. On aurait dû le faire avant". Même s'il ajoutait qu' "il n'est pas trop tard pour protéger la zone euro contre des pays qui présentent un besoin de financement structurel et ne feraient pas l'effort d'adaptation nécessaire."


D'autres solutions doivent donc être envisagées.


Des scénarii extrêmes ont vu le jour comme le remarque Philippe d'Arvisenet, le directeur des études économiques de BNP Paribas , corroborés par les propos récents de la chancelière allemande Angela Merkel sur une possible sortie de la Grèce de l'euro. Mais pour M. d'Arvisenet "le scénario d'une sortie de l'euro est des plus improbables … un éventuel sortant ne bénéficierait pas d'une baisse des taux mais pâtirait plutôt de leur hausse en raison du risque accru d'inflation et de retour du risque de change. La charge de la dette exprimée dans un « nouveau drachme » par exemple bondirait, tandis que les épargnants disposant d'avoirs en euros ne manqueraient pas de s'engager dans un « bank run ». N'en déplaise à ceux qui prônent leur sortie de la zone, les pays du nord n'auraient rien à y gagner compte tenu des effets négatifs qui en résulteraient pour leur compétitivité. Il est tout aussi improbable que l'Europe laisse la Grèce faire défaut..." Que peut-elle faire ? Qui peut agir ?

Un intéressant document du think tank Bruegel paru ce lundi peut nous éclairer utilement à quelques jours d'un sommet crucial.

Le document explique notamment "que si la Grèce avait été un Etat hors de la zone euro, elle aurait pu se tourner vers le FMI pour obtenir une aide financière, comme la Hongrie, la Lettonie ou la Roumanie l'ont fait il y a quelques mois. Comme ces pays, avec le prêt conditionnel du FMI, la Grèce aurait probablement reçu un prêt conditionnel dans le cadre de la Facilité d'aide financière à moyen terme (MTFA)". Mais la Grèce, étant membre de la zone euro peut bénéficier de l'aide du FMI mais pas du MTFA selon l'article 143 du traité de Lisbonne qui "réserve explicitement" une telle aide à des Etats hors de la zone euro. Cependant les économistes de Bruegel estiment que l'interprétation qui est faite de l'article 143 est erronée arguant notamment "qu'il serait illogique pour l'Union européenne d'interdire l'aide à ses membres tout en les autorisant à recevoir une aide du FMI."

La question se pose alors de savoir qui doit gérer cette crise.

"Une approche purement FMI n'est pas souhaitable parce qu'elle risquerait de créer une incompatibilité entre le FMI et les exigences de la politique de l'UE". Une telle solution d'ailleurs a été vivement critiquée par de nombreux politiques – le président de la BCE y voyant une humiliation – et, comme le souligne M. d'Arvisenet : "elle conduirait à admettre que l'Europe est incapable de gérer elle-même ses problèmes internes."

Mais ajoute Bruegel "une solution purement européenne poserait aussi des problèmes. D'abord, elle créerait un appareil légal et financier entièrement nouveau… Le deuxième problème est que les prêts de l'UE sont financés exclusivement par des fonds levés sur les marchés financiers. Ces obligations européennes sont, cependant, pleinement garanties par le budget de l'UE. Tant que les sommes impliquées sont relativement faibles comme dans le cas de la Hongrie, de la Lettonie et de la Roumanie, la faible taille du budget européen n'est pas une contrainte. La question serait très différente si des pays plus importants ont besoin d'aide."

Aussi les experts de Bruegel appellent à établir un cadre pour une aide conjointe UE-FMI pour des pays de la zone euro.

C'est aussi une solution de bon sens. Les Etats européens sont très endettés ou ont des finances publiques très dégradées. Comme le soulignait Charles Wyplosz en février, "La France et l'Allemagne sont dans une situation budgétaire à peine meilleure que la Grèce… Le PIB de la Grèce ne représente que 2,8 % du PIB de la zone euro. Mais après la Grèce, viendra le tour du Portugal, puis de l'Espagne. Et là on parlera plus de 2,8 % mais de 12 % du PIB de la zone euro ou même 17,3 % si l'Italie avait la mauvaise idée de se joindre à la cohorte des pays blessés." Il est clair que les Etats européens n'ont pas les moyens de sauver seuls la Grèce et peut-être ensuite d'autres Etats. Toutefois si M. Wyplosz préconisait que : "seul le FMI peut sauver la Grèce", l'Union européenne ne peut rester indifférente au sort de la Grèce parce qu'elle est une construction politique autant qu'économique à bâtir.

Les dirigeants européens devraient donc faire preuve de réalisme et d'humilité – il n'y a rien d'humiliant à cela - pour promouvoir une solution conjointe FMI-UE.

Ensuite, ils devront enfin s'atteler à la question lancinante de la gouvernance économique de la zone euro.

Edouard Pflimlin, journaliste




Edouard Pflimlin est journaliste

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