par Olivier Lacoste, le mardi 06 avril 2010

L'actualité européenne se focalise sur l'économie et la finance. Elle montre qu'il serait nécessaire que l'Europe fasse, d'urgence, le choix de renforcer sa coopération économique.


La coordination des politiques économiques...

Le débat ouvert, le lundi 15 mars, dans le Financial Times, par Christine Lagarde, ministre française en charge des finances, ne manque pas de fondements économiques. On ne peut pas demander aux pays européens en crise budgétaire de brider leur demande intérieure, dans le but de restaurer leurs finances publiques, si tous les autres membres de l'Union font la même chose en même temps. Pour que les plans d'austérité des uns n'enclenchent pas une spirale dépressive, aboutissant à creuser les déficits au lieu de les combler, il faut que certains autres acceptent de desserrer leur demande intérieure.

Certes, la capacité de l'Allemagne à se réformer pour améliorer sa compétitivité force l'admiration. Monter son taux de TVA (ce qui peut affecter négativement la consommation) pour baisser les charges (donc le coût du travail) et le taux de l'impôt sur les sociétés (pour accroître l'attractivité du territoire allemand) renforce la compétitivité du pays. Pourtant, dans la mesure où une part essentielle de l'amélioration de la balance commerciale allemande dans les années 2000 a été obtenue au détriment de la zone euro, il s'agit aussi d'une stratégie "non coopérative". Si tous les partenaires de l'Allemagne adoptaient les mêmes mesures, l'effet bénéfique pour chacun serait bien moindre !

... nécessaire pour sortir par le haut de la crise grecque

Ce débat sur la coordination économique n'est donc pas "hors-sujet" pour expliquer les difficultés de la Grèce, même s'il ne faut pas minorer les responsabilités (notamment sa créativité comptable) de ce pays dans le déclenchement des tensions actuelles sur l'obligataire et sur l'euro. Les mesures qu'on demande à la Grèce sont telles qu'elle risque une violente récession et une dégradation encore plus rapide de ses comptes. Les dirigeants allemands se sont braqués à l'évocation de ces questions de coordination, en partie pour donner des gages à leur opinion publique. Peut-être les remarques faites par Mme Lagarde ne tombaient-elles pas au bon moment, en pleine crise. En tout cas celles de Mme Merkel, appelant à chasser de l'euro les Etats coupables de laxisme, suscitaient au moins la déception.

L'heure est à trouver des solutions pour sortir en bon ordre de la crise, pas à "punir" ceux qui ont fauté. D'ailleurs, les chasser de l'euro serait une catastrophe. A la fois pour les pays expulsés (qui verraient par exemple le coût de leur dette exploser) mais aussi pour l'ensemble de la zone... ainsi que pour l'Allemagne. En effet, les pays débarqués de l'euro n'auraient qu'une stratégie de rechange : orchestrer une forte dépréciation de leur devise contre les autres monnaies européennes (un peu comme l'a fait le Royaume-Uni, adoptant une stratégie de passager clandestin). Il faut donc coopérer, quels que soient les reproches mutuels. Faute de quoi, à ce train, l'Europe court à sa dislocation : Confrontations Europe n'aurait plus qu'à se rebaptiser " Commémorations" Europe.

Un geste de dernière minute

Heureusement, le blocage a été évité lors du Conseil européen (CE) du 25 mars. Les dirigeants de la zone euro ont rendu publique une déclaration selon laquelle : "dans le cadre d'un accord comprenant une implication substantielle du Fonds monétaire international et une majorité de financement européen, nous sommes prêts à contribuer à des prêts bilatéraux coordonnés […] Les déboursements des prêts bilatéraux seraient décidés par les Etats membres de la zone euro et soumis à de fortes conditionnalités […] Les taux d'intérêt […] ne contiendront aucun élément de subvention." Cette décision peut soulager : elle donne – enfin ! – une substance à la solidarité affichée lors du CE de février. Elle peut aussi décevoir : elle implique le financement du FMI et pas seulement son assistance technique. Espérons qu'elle ne sera qu'un premier pas vers une véritable réforme de l'UEM (Union économique et financière). En attendant, la zone euro montre aux marchés qu'elle peut surmonter ses tensions, à l'heure où les regards se tournent vers d'autres pays (comme le Portugal, dont la note a été dégradée par l'agence Fitch le 24 mars). Au moins, l'Union n'aura pas raté ce test.

Les progrès laborieux de la régulation financière

La situation est tendue du côté des finances publiques ; elle est à peine encourageante du côté de la finance privée. Certes, le travail avance au Parlement européen (PE) en matière de supervision micro-financière, c'est-à-dire de surveillance des acteurs financiers dans trois domaines (marchés, banques, assurances). Certains eurodéputés voudraient aller plus loin que le texte initial de la Commission qui, comme le rapport Larosière, procédait d'une logique de compromis. Les trois autorités (dans chacun des trois domaines) à venir ne feraient pas disparaître les superviseurs nationaux ; elles tâcheraient (avec plus ou moins de pouvoir) de trouver des solutions en cas de divergence. Cette solution est bancale par rapport à celle qui consisterait à créer de véritables superviseurs paneuropéens, récupérant toute l'autorité des superviseurs nationaux, ou un système hiérarchisé comme celui de la BCE. Souvent, si l'Europe peine à progresser vers l'efficacité, c'est que les Etats ne veulent pas lâcher des compétences nationales… qu'ils n'ont pourtant pas exercées avec brio !

Du côté de la régulation des hedge funds et des fonds de capital-investissement, c'est le point mort. Le sujet a été retiré par la présidence espagnole de l'ordre du jour du Conseil Ecofin du 16 mars et reporté après les élections britanniques. C'est décourageant. Si la dette des Etats est très chahutée, c'est bien parce que les finances publiques ont dû, depuis 2008, amortir les conséquences de la dérive du crédit jusqu'à 2007 et de l'inconséquence des finances privées !

Paru dans Interfaces de mars 2010 (Confrontations Europe)


Olivier Lacoste est directeur des études, Confrontations Europe 

http://www.confrontations.org


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