par Edouard Pflimlin, le mercredi 07 avril 2010

Le 31 mars 2010, la présidence du Conseil permanent de l'UEO faisait la déclaration suivante :

"L'Union de l'Europe occidentale a largement contribué à la paix et à la stabilité en Europe ainsi qu'au développement de l'architecture européenne de sécurité et de défense, en favorisant la consultation et la coopération dans ce domaine, et en menant des opérations sur plusieurs théâtres, y compris des missions de Petersberg. Sur la base de l'oeuvre accomplie par l'UEO et s'appuyant sur le principe de la solidarité européenne, l'Union européenne a repris depuis 2000 les missions de gestion des crises et développé une politique de sécurité et de défense commune. L'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne marque le commencement d'une nouvelle phase pour la sécurité et la défense européennes. L'article 42.7 du Traité sur l'Union européenne stipule désormais que si un État membre est l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, et précise que les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'OTAN qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre. Dans ce contexte, nous restons fermement attachés au principe de défense mutuelle figurant à l'article V du Traité de Bruxelles modifié. L'UEO a donc rempli son rôle historique. C'est pourquoi nous, États parties au Traité de Bruxelles modifié, avons collectivement pris la décision de mettre fin au traité et, par conséquent, de fermer l'Organisation..." (Lire l'intégralité de la déclaration : http://www.weu.int/index_fr.html).


Après plus de 50 ans d'existence, l'Union de l'Europe occidentale (UEO), dont la disparition a souvent été annoncée pour (un peu) mieux renaître de ses cendres, va donc finalement s'éteindre d'ici un peu plus d'une année. L'UEO, son assemblée interparlementaire basée à Paris et son siège bruxellois, avec quelque 60 employés et un budget global de 13 millions d'euros, vont disparaître d'ici à la fin juin 2011, avait auparavant indiqué mercredi 24 mars le chef de la diplomatie belge, Steven Vanackere. Cette institution comptait 10 adhérents (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Grèce, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni), plus 18 pays "associés", "observateurs" ou "partenaires associés", tous à la fois membres de l'UE et de l'OTAN.


Pour comprendre le destin de cette organisation peu connue du grand public, il faut remonter à l'histoire de l'Europe dans l'après Seconde guerre mondiale. Face au contexte de guerre froide en 1947 opposant le bloc de l'Ouest au bloc communiste, les Américains fournirent une aide économique, le plan Marshall, à condition que les Européens unissent leurs efforts en matière de défense. Le 17 mars 1948, France, Royaume-Uni et les 3 pays du Benelux signèrent le traité de Bruxelles qui institua l'Union Occidentale (UO). Le nouvel ensemble fut dirigé par un "condominium" franco-britannique. Ainsi l'état-major commun de l'Organisation du traité de Bruxelles fut placé sous l'autorité du maréchal vicomte Montgomery. Il était secondé par 3 commandants en chef pour les 3 armes : le général d'armée Jean de Lattre de Tassigny pour les armées de terre, le maréchal de l'air Sir James Robb (un Britannique) pour les forces aériennes et le vice-amiral Robert Jaujard pour les flottes. Les forces disponibles étaient également principalement anglaise et française.

Parallèlement, du fait de la menace soviétique (coup de Prague de 1948 notamment), des discussions débutèrent pour élargir le pacte à cinq dès juillet 1948. Les Français n'en étaient, au départ, pas informés. Elles aboutirent le 4 avril 1949 à la signature du traité de Washington, créant l'Alliance atlantique. Très rapidement, le destin de l'Union occidentale fut lié à celui de l'Alliance. Dès septembre 1950, les ministres des affaires étrangères des cinq Etats signataires du traité de Bruxelles examinèrent la possibilité de fusionner ce traité avec celui de Washington. Avec la création de l'OECE en 1948 et du Conseil de l'Europe en 1949 et de la CECA en 1951, l'UO perdit l'essentiel de ses compétences – qui n'étaient pas seulement militaires - très rapidement1.


La pression américaine, et dans une moindre mesure anglaise, allait alors devenir déterminante dans l'évolution militaire de l'Ouest du continent.


A cette époque, un problème devint également fondamental : celui du réarmement allemand. La question se posait en une équation simple : sur le sol allemand, l'Union occidentale ne disposait que de 10 divisions face à 22 divisions soviétiques. L'objectif, qui fut bientôt évalué d'aligner 50 divisions en 1954 face aux Soviétiques, paraissait hors d'atteinte sans l'apport allemand. Le 12 septembre 1950 le secrétaire d'Etat américain Dean Acheson présenta donc à ses homologues anglais et français une proposition en faveur du réarmement allemand.

Afin de contrôler un réarmement allemand jugé inévitable, la France n'avait plus qu'une solution : passer à l'initiative. C'est le plan Pleven du 24 octobre 1950 qui ranima l'idée d'armée européenne lancée par Winston Churchill deux mois auparavant au Conseil de l'Europe. Le modèle était calqué sur celui de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier). La CED (Communauté européenne de défense) présentait des caractéristiques supranationales similaires. Cependant le projet de CED, qui avait pourtant été ratifié par les Parlements des 4 autres Etats intéressés, fut finalement rejeté par l'Assemblée nationale française, le 30 août 1954, précisément à cause de son caractère supranational qui inquiétait plusieurs partis politiques.

Dès le lendemain de l'échec de la CED à l'Assemblée nationale, les Britanniques entamèrent des consultations afin de parvenir à une solution rapide pour l'intégration de l'Allemagne dans le camp occidental. Le président du Conseil français, Pierre Mendès-France, se résolut à l'entrée de l'Allemagne dans l'OTAN sous réserve de conditions auxquelles le traité de Bruxelles pouvait répondre (liens étroits avec la Grande-Bretagne et limitations des armements allemands).


C'est le 23 octobre 1954 que furent signés les accords de Bruxelles qui
donnèrent naissance à l'Union de l'Europe Occidentale (UEO).



Quatre protocoles modifièrent le traité de Bruxelles de mars 1948. Très important également, l'article IV fut inséré dans le traité afin de marquer la subordination de l'UEO à l'OTAN. "Dans l'exécution du traité les Hautes parties contractantes et tous les organismes créés par elles dans le cadre du traité coopéreront étroitement avec l'organisation du traité de l'Atlantique nord. En vue d'éviter tout double emploi avec les Etats-Majors de l'OTAN, le Conseil et l'Agence s'adresseront aux autorités militaires appropriées de l'OTAN pour toutes informations et tout avis sur les questions militaires".

Les forces des Etats de l'UEO étant parallèlement placées sous l'autorité du SACEUR (Supreme commander of the allied powers in Europe, commandant suprême des forces alliées en Europe). Par une résolution du Conseil atlantique du 22 octobre 1954, l'ensemble des compétences de légitime défense collective furent transférées à l'OTAN. Dès lors la défense européenne devait être exclusivement assurée par l'OTAN.

L'UEO devint un forum de discussion politique, notamment sur la question de l'entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE dans les années soixante, puis elle sombra dans une période de léthargie qui allait durer près de dix ans. On parla même de la "belle au bois dormant" pour désigner l'organisation. Mais tel un phénix, l'organisation fut relancée.


Renaissance du Phénix

Le contexte stratégique des années soixante-dix s'avéra favorable à l'émergence de réflexions sur le rôle des Européens dans leur défense. En effet, le déploiement des euromissiles américains en Europe occidentale signifiait la poursuite de la subordination stratégique de l'Europe à l'égard des Etats-Unis, ainsi que la poursuite de la division de l'Europe en deux camps. Cette évolution contrastait avec le développement de la coopération politique des Neuf de la CEE.

Le président français François Mitterrand suggéra à partir de 1982 l'approfondissement d'un pilier européen plus autonome au sein de l'Alliance atlantique par la dynamique franco-allemande.

Une étape importante fut l'adoption de la plate-forme sur les intérêts européens en matière de sécurité le 27 octobre 1987.Il s'agit d'élaborer une charte solennelle et fondamentale sur les principes de la sécurité de l'Europe occidentale prise devant l'Assemblée parlementaire de l'UEO le 2 décembre 1986 par le premier ministre français Jacques Chirac après le sommet Reagan-Gorbatchev de Reykjavik (11-12 octobre 1986) pour éviter que dans l'avenir " des décisions cruciales pour la sécurité de l'Europe soient prises sans que celle-ci ait eu vraiment son mot à dire."

La chute du Mur de Berlin obligea les Douze de la CEE à relever le défi de l'Union et de la puissance. Les Douze se retrouvèrent confrontés à l'éventualité d'un élargissement à l'échelle européenne, pouvant remettre en cause le type de construction européenne instaurée dans les années cinquante. Dans ce contexte, une première force conjointe, résultat du traité de Paris de 1963 entre la France et l'Allemagne, fut créée. Ce fut la brigade franco-allemande en 1988.


Une nouvelle dynamique était lancée.


Le Traité de Maastricht de 1992 fut une formule de compromis puisque "la politique étrangère et de sécurité commune inclut l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union, y compris la définition progressive d'une politique de défense commune qui pourrait conduire à terme à une défense commune". Concernant l'UEO, les Britanniques résistèrent avec obstination à la subordination de l'UEO à l'Union européenne (UE). En termes pratiques, l'UEO ne reçut aucune force armée sous son commandement direct et devait rester dépendante de l'OTAN pour la surveillance, le renseignement et les capacités de transport à longue distance. La période 1992 à 1998 connut ensuite un débat permanent sur le développement d'une identité européenne de sécurité et de défense (IESD). La déclaration de février 1992 annexée au traité de Maastricht sur le rôle de l'Union de l'Europe occidentale et sur ses relations avec l'Union européenne (UE) et avec l'Alliance atlantique prévoyait la mise en place d'une IESD. "Les Etats membres de l'UEO conviennent de la nécessité de former une véritable identité européenne de sécurité et de défense et d'assumer des responsabilités européennes accrues en matière de défense". Mais plusieurs contradictions étaient visibles dans le texte de la déclaration. "L'UEO sera développée en tant que composante de défense de l'Union européenne et comme moyen de renforcer le pilier européen de l'Alliance atlantique". Cette double mission ne facilitait pas l'émergence d'une défense européenne autonome.

Le compromis de Maastricht s'inscrivit dans une double asymétrie. "Sur le plan politique, l'UEO se rattache indéniablement davantage à l'Union qu'à l'Alliance. Mais au niveau opérationnel, elle agira en étroite relation avec l'OTAN pour l'organisation de ses missions militaires" (2). Depuis 1951, l'UEO ne disposait plus de forces armées. La relance de l'UEO dans les années 1980 et surtout les changements de 1992 impliquaient que les Européens aient des capacités "pour mener des opérations militaires hors du cadre atlantique et qu'ils aient la disposition de forces soumises à un processus de décision purement européen" (3).

En juin 1992, à Petersberg, les Etats membres de l'UEO tirèrent les conséquences de leur proposition, faite à Maastricht, de renforcer le rôle opérationnel de l'UEO en examinant les missions qu'elle pourrait remplir. Le paragraphe 4 de la déclaration de Petersberg indiqua : Outre une contribution à la défense commune dans le cadre de l'application de l'article 5 du traité de Washington et de l'article V du traité de Bruxelles modifié, les unités militaires des Etats membres de l'UEO, agissant sous l'autorité de l'UEO, pourraient être utilisées pour des missions humanitaires ou d'évacuation de ressortissants, des missions de maintien de la paix, et des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix."

Les Etats membres se dirent prêts à "mettre à la disposition de l'UEO des unités militaires provenant de tout l'éventail de leurs forces conventionnelles en vue de missions militaires qui seraient menées sous l'autorité de l'UEO". Il fut décidé de créer un Corps franco-allemand, le 22 mai 1992. Ce corps fort de près de 50 000 hommes devint opérationnel en 1995. Cependant il ne fut pas constitué à partir d'unités nouvelles, prélevées sur les forces assignées à l'OTAN, mais d'unités constitutives qui avaient un caractère préexistant et recevaient des missions complémentaires.

La France prit l'initiative au sein de l'UEO d'attirer dans des structures communes des pays comme l'Italie ou l'Espagne qui avaient (et ont) des préoccupations méditerranéennes. Les ministres de la défense italien, espagnol et français se déclarèrent, le 28 octobre 1993, prêts à "contribuer à une force aéro-maritime européenne pré-planifiée, non permanente, disposant d'une capacité de projection de forces aériennes et terrestres prêtes à répondre aux besoins exprimés par l'UEO." Cette initiative aboutit le 15 mai 1995 à la déclaration de Lisbonne. "Les ministres de la défense et des affaires étrangères de l'UEO se sont félicités de la décision de l'Espagne, de la France et de l'Italie d'organiser une force terrestre (Euroforce) et une force maritime (Euromarforce). Ils ont noté que ces forces seront ouvertes aux Etats membres de l'UEO. Dans ce contexte, ils ont salué l'accord intervenu pour la participation du Portugal à ces deux forces depuis leur création. Ils ont noté par ailleurs que ces forces seront déclarées "forces relevant de l'UEO" , qu'elles seront employées prioritairement dans ce cadre, qu'elles pourront également être employées dans le cadre de l'OTAN afin de renforcer le pilier européen de l'Alliance, et que l'accomplissement de leurs missions se fera sans compromettre la participation de leurs unités à la mission de défense commune prévue à l'article V du traité de Bruxelles modifié et à l'article 5 du traité de Washington."

D'autres forces furent également désignées le 19 mai 1993 comme forces relevant de l'UEO, notamment la force amphibie anglo-néerlandaise et la division multinationale (Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas et Allemagne).


Un rôle opérationnel très réduit dans les crises


Mais malgré sa relance dans les années 1980 et surtout à partir de 1991-1992, l'UEO ne joua qu'un rôle très réduit dans les crises internationales à partir du début des années 1990. Pendant la première guerre du Golfe en 1990/1991, les divergences entre les Etats - partisans pour l'Allemagne et la Belgique d'une subordination de l'UEO au Conseil de sécurité, pour la France d'une action autonome occidentale, si nécessaire hors du cadre onusien, et pour le Royaume-Uni si possible sous leadership américain – limitèrent l'action principale de l'UEO à la coordination de l'envoi de 50 navires dans le Golfe et en Mer d'Oman pour des opérations de déminage.

Après la crise du Golfe, la guerre en ex-Yougoslavie se révéla l'occasion de vérifier dans la pratique les différences d'appréciation entre Etats membres sur les voies et les moyens de la défense européenne, en particulier la tension entre le couple franco-allemand décidé à mettre en œuvre un projet d'"armée" européenne et le Royaume-Uni attaché à la prédominance du lien transatlantique. Ces divergences conduisirent à un rôle très limité de l'UEO. Les trois Etats communautaires membres du Conseil de sécurité des Nations unies (Belgique, France, Royaume-Uni) se tournèrent dès lors vers l'ONU pour appuyer les initiatives européennes. Paradoxalement, les Etats membres de l'UEO, en particulier les Français et les Britanniques, fournirent au total la majorité du contingent de la FORPRONU en Croatie, puis en Bosnie-Herzégovine.

Seule opération significative, le Conseil de l'UEO du 10 juillet 1992 décida de mettre en œuvre le contrôle maritime dans l'Adriatique de l'embargo résultant des résolutions 713 et 757 de l'ONU. Le commandement des opérations fut assuré par un amiral italien, l'Italie assurant à l'époque la présidence de l'UEO. A côté de cette opération baptisée Sharp Fence, l'OTAN mit en œuvre une opération similaire appelée Maritime guard. Mais c'est en fin de compte la structure intégrée de l'OTAN qui assura la coordination des opérations. Cela souligna le caractère incontournable de l'organisation atlantique face à une UEO très symbolique et peu intégrée.

L'UEO mit aussi sur pied d'une opération de police douanière destinée à renforcer le contrôle de l'embargo sur le Danube. L'UEO intervint également dans l'administration de la ville de Mostar en Bosnie. Les rares interventions de l'UEO dans la crise yougoslave firent apparaître ses limites en termes opérationnels. Il faut surtout souligner l'absence de l'UEO dans les déploiements terrestres et aériens. L'UEO et l'Eurocorps furent ainsi absents de l'IFOR (Implementation force), remplacée par la SFOR (Stabilization force) en 1996.

L'organisation atlantique montra aussi la mesure de ses capacités opérationnelles lorsque se posa la question d'un éventuel recours aux forces aériennes. Ni l'UEO ni les Nations unies ne possédaient d'expérience en ce domaine alors que celle de l'OTAN était universellement reconnue et a pu se manifester pendant la guerre du Golfe. Ecartée militairement de l'essentiel des moments-clés de la crise bosniaque, l'UEO devait l'être jusqu'à la fin. Ainsi le déploiement conjoint franco-anglo-germano-néerlandais d'une Force de réaction rapide ad hoc de 5 000 hommes en Bosnie centrale et à Sarajevo en juin 1995 ne fut pas estampillé du label de l'UEO, ce qui en disait long sur les volontés britanniques en la matière. A nouveau l'UEO était absente.

Hors d'Europe, l'UEO ne joua aucun rôle, notamment dans la crise au Rwanda bien que l'UE se fût entendue pour recourir à l'UEO en cas d'action commune en Afrique centrale, l'indécision sur les modalités concrètes d'intervention déboucha sur la paralysie et l'UEO n'eut pas l'occasion de traduire en actes sa disponibilité.

Ce rôle limité de l'UEO était conforme aux vœux de la Grande-Bretagne, hostile à l'intégration de l'UEO dans l'UE. Cependant la Grande-Bretagne n'était pas hostile au développement de l'UEO. Dès lors qu'on s'est mis d'accord à Maastricht pour que l'UEO soit subordonnée à l'OTAN, le Royaume-Uni s'est révélé plus à l'aise vis-à-vis des efforts pour développer certaines capacités de l'organisation. Le Royaume-Uni a soutenu l'UEO pour devenir un pilier européen de l'Alliance atlantique plus effectif. Mais lorsque lors du Conseil européen d'Amsterdam en juin 1997, le nouveau premier ministre britannique Tony Blair s'opposa à la proposition d'une fusion par étape de l'UEO dans l'UE, l'impression générale était que l'IESD était déjà sur le déclin. En s'opposant à la fusion de l'UEO dans l'UE, la Grande-Bretagne refusait donc de voir l'UE se doter d'une véritable capacité de défense autonome. Cependant, au cours de cette période de 1992 à 1997, les positions françaises et britanniques sur l'UEO et sur la défense européenne s'étaient tout de même rapprochées, ce qui pouvait augurer une convergence déterminante des positions de la Grande-Bretagne et de la France sur la question de la défense européenne.


Une disparition progressive


Le 4 décembre 1998, le sommet franco-britannique de Saint-Malo jeta de nouvelles bases en soulignant entre autres dans la déclaration finale : le rôle de l'Union européenne (UE) en matière de défense; le besoin incontournable d'améliorer les capacités de projection de forces de l'UE. "L'Union doit avoir une capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales"; la pertinence de l'OTAN : "Les engagements de défense collective auxquels ont souscrit les Etats membres (article 5 du traité de Washington et article V du traité de Bruxelles) devront être maintenus. En renforçant la solidarité entre les pays de l'UE (…) tout en agissant en conformité avec nos obligations respectives au sein de l'OTAN, nous contribuons à la vitalité d'une Alliance atlantique rénovée qui constitue le fondement de la défense collective de ses membres".

Le conflit du Kosovo au printemps 1999 montra à nouveau la faiblesse des Européens par rapport aux Américains qui disposaient d'une supériorité technologique évidente dans les airs. Si l'Europe ne faisait pas des efforts conséquents pour améliorer ses capacités militaires, son influence sur la stratégie des Etats-Unis demeurerait minimale. Aussi l'accord de Saint-Malo prit une dimension plus large quelques mois après son adoption.

Au sommet européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999, les Etats membres décidèrent de doter l'Union européenne des capacités nécessaires pour assumer ses responsabilités concernant une politique européenne de sécurité et de défense. Les Etats membres de l'UE appelèrent à voir "l'Union européenne jouer pleinement son rôle sur la scène internationale. A cette fin, nous avons l'intention de doter l'Union européenne des moyens et des capacités nécessaires pour assumer ses responsabilités concernant une politique européenne commune en matière de sécurité et de défense (PESD)… L'Union doit disposer d'une capacité d'action commune soutenue par des forces militaires crédibles". Pour atteindre un tel objectif, les Etats membres s'engagèrent à "améliorer l'efficacité des moyens militaires européens sur la base des capacités actuelles, qu'elles soient nationales, binationales ou multinationales, à renforcer leurs capacités en matière de renseignement, de capacité de projection, de commandement et de contrôle". Mais ils limitèrent la PESD aux missions de Petersberg.

Le conseil de Cologne proposa également de créer de nouvelles institutions pour conduire les missions de Petersberg : un comité politique de sécurité (COPS) ; un comité militaire de l'UE; un état-major de l'UE. Les Etats européens se déclarèrent prêts à mettre à la disposition de l'UEO des unités militaires provenant de tout l'éventail de leurs forces conventionnelles en vue des missions militaires suivantes : une contribution à la défense dans le cadre du traité de Washington ; les missions de Petersberg. La nomination de Javier Solana comme haut représentant pour la PESC fut décidée (il fut nommé en octobre 1999). En même temps lui était confié le secrétariat général de l'UEO.

Mais le sort de l'UEO avait en réalité été scellé avec la naissance en 1999 d'une politique européenne de sécurité sous l'égide de l'UE. Elle a été dépouillée progressivement de ses pouvoirs et des institutions qu'elle avait engendrées. Ainsi l'Institut d'études de sécurité, à Paris, ou le Centre satellitaire de Torrejon (Espagne), ont-ils été transférés tous deux en 2002 à l'UE. Le micro état-major de l'UE n'est autre que l'ancienne cellule de planification de l'UEO. Moins favorable à l'intégration européenne, surtout dans sa dimension militaire, la Grande-Bretagne, contrairement à la France ou l'Espagne, restait pourtant attachée à l'UEO, en raison de sa nature intergouvernementale. Il aura fallu l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne en décembre dernier pour que même à Londres on juge cette organisation "un peu redondante" comme l'a dit le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner. En effet, a souligné un diplomate, le traité de Lisbonne permet la création de groupes interparlementaires ad hoc, jouant le même rôle que l'UEO, "maisà 27 et non plus à 104".



1Pour plus de détails, lire L'UEO : la destructuration (1998-2006), André Dumoulin, Bruylant – LGDJ, 2005

2 Eric Remacle, « L'Union de l'Europe occidentale dans la nouvelle architecture de sécurité européenne ». Heidelberg, Communication pour la conférence paneuropéenne sur les études internationales, 16-20 septembre 1992, pp 17-24 (extraits).

3 Patrice Van Ackere, L'Union de l'Europe Occidentale, Que sais-je ?, PUF, Paris, 1995, p. 90.

4« L'Union de l'Europe occidentale dissoute après avoir rempli sa mission », Pascal Mallet, AFP, 24 mars 2010


Edouard Pflimlin est journaliste. Il est, notamment, l'auteur d'une note de la Fondation Schuman, « Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ? », 2006 où il détaillé ces évolutions.

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