par Philippe Etienne, le samedi 08 mai 2010

Entretien de la fondation Robert Schuman avec Philippe Etienne : ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne


Nous fêtons cette année le 60e anniversaire de la déclaration Schuman. Est-ce que le projet de Robert Schuman est encore d'actualité ? Comment a-t-il évolué depuis 60 ans ?

Le projet de Robert Schuman, point de départ de la construction européenne, reste au cœur de la dynamique européenne.

Lorsqu'on jette un regard sur les 60 dernières années, l'approche géniale visant par des "réalisations concrètes" à créer des "solidarités de fait" est toujours restée le fil conducteur de la construction européenne, que ce soit à travers la définition des politiques communes, la constitution du marché intérieur, celle de l'Union économique et monétaire ou encore de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Ces réalisations concrètes ont conduit progressivement à la "fusion d'intérêts" qu'évoque Robert Schuman dans son discours et qui permet d'apporter des réponses communes à des défis communs. Les traités successifs, de l'Acte unique au traité de Lisbonne, en passant par Maastricht, Amsterdam et Nice, ont permis d'approfondir la construction européenne, en appliquant cette méthode à l'extension des domaines de compétence de l'Union.

Aujourd'hui, la même démarche, dans le contexte pourtant très différent d'une Europe élargie confrontée à la mondialisation, doit permettre de relever deux nouveaux défis. Le premier, bien illustré par la crise grecque, est la construction des politiques économiques et le développement d'un gouvernement économique européen. Le deuxième est la transformation de l'Union en un véritable acteur global capable de définir et de défendre ses intérêts, de promouvoir son modèle et ses valeurs, et de réagir efficacement sur la scène internationale.

La difficile ratification du traité de Lisbonne et l'essoufflement de l'élargissement semblent démontrer l'actualité de la méthode préconisée par Robert Schuman selon laquelle l'Europe "ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble" mais "par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait". Quelles sont en 2010 ces "réalisations concrètes" qui permettront de relancer la construction communautaire ?

Face à la crise économique qui a émergé en 2008, l'Union européenne (sous présidence française) a su rapidement développer une réponse cohérente, en sauvant d'abord son secteur financier et en entreprenant la construction de nouvelles règles, puis en coordonnant son plan de relance économique.

Ce travail se poursuit en 2010 :

- les nouvelles régulations financières sont débattues au niveau européen comme au niveau international, au sein du G20, nouvelle instance de gouvernance mondiale créée à l'initiative de l'Union.

- Les leçons devront être tirées de la crise grecque ; un groupe de travail sous la présidence de H. Van Rompuy a été constitué à cet effet et la Commission a annoncé des propositions importantes en matière de coordination et de gouvernance comme en termes de régulation (produits dérivés).

- La nouvelle stratégie économique à moyen terme de l'Union doit comporter des initiatives emblématiques concrètes, renforçant nos solidarités de fait, notamment dans le domaine industriel (voitures propres, agenda numérique, énergies renouvelables ...), et souligner la modernité de nos politiques anciennes, en particulier agricole.

- Le nouveau programme de Stockholm fera avancer l'espace de liberté, de sécurité et de justice, par exemple vers une politique vraiment européenne d'asile et d'immigration.


La France, à l'origine du projet européen, en a longtemps été également le moteur, en tandem avec l'Allemagne. Est-ce que le couple franco-allemand possède toujours la même force de proposition et d'entraînement à l'intérieur d'une Union européenne à 27 ? Ou est-ce que le jeu d'alliances forcement plus complexe qui s'est instauré au fil des élargissements a modifié le rôle des deux pays ?


L'Allemagne et la France continuent à jouer un rôle moteur dans la construction européenne, même si ce rôle s'exerce dans un contexte bien différent des origines. Les derniers sommets ont démontré le caractère essentiel de cette entente pour le bon fonctionnement de l'Union européenne. Le couple franco-allemand n'a pour autant jamais été exclusif comme le montre par exemple le triangle de Weimar avec la Pologne.


L'année 2010 est l'année de la mise en place du traité de Lisbonne. Parmi les innovations introduites par ce texte, lesquelles vous paraissent plus prometteuses ?


Le Traité de Lisbonne permet de renforcer chaque côté du triangle institutionnel. Consacrant le rôle du Conseil européen, renforçant le pouvoir du Parlement européen à travers notamment la généralisation de la codécision, il confère aussi à la Commission européenne un rôle accru en élargissant les possibilités d'action de l'Union, par exemple dans le domaine de l'énergie. La mise en place à la tête du Conseil européen d'un président stable a d'ores et déjà favorisé une plus grande continuité de son action. Le Parlement européen a montré sa volonté d'utiliser ses nouveaux pouvoirs. Mais au total il est encore un peu tôt pour savoir si nos institutions sauront pleinement tirer partie de ces nouvelles innovations et sauront notamment accroître la capacité européenne de réponse aux crises de toutes sortes qui marquent notre époque : plusieurs exemples viennent de nous rappeler les améliorations nécessaires à cet égard.

L'une de ces innovations est la fonction de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et la création du service européen pour l'action extérieure qui permettront de renforcer la cohérence et la visibilité de l'Union sur la scène internationale.

Parmi les changements prometteurs qui rendront l'Union plus démocratique il faut citer, à côté du rôle accru du Parlement européen, celui désormais reconnu aux parlements nationaux ainsi que le renforcement des droits des citoyens européens avec l'institution d'une initiative citoyenne.


Le traité de Lisbonne introduit également plusieurs innovations en matière de représentation extérieure de l'Union européenne. Que pensez-vous des nouvelles figures institutionnelles du président stable du Conseil européen et du Haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité ? Quel devrait être leur rôle et quel équilibre devrait être instauré avec les autres acteurs politiques, notamment les présidents de la Commission et du Parlement européen et le chef de gouvernement assurant la présidence tournante ?


L'institution de ces deux nouveaux postes donnera plus de continuité à l'action de l'Union et à sa représentation extérieure. Les Présidents du Conseil européen et de la Commission ont manifesté leur volonté de bonne coopération, élément évidemment important du bon fonctionnement interne et externe de l'Union. La présidence tournante garde tout son rôle dans beaucoup de domaines et la généralisation de la méthode du trio (trois présidences successives) a introduit un autre élément de continuité. Tous les développements institutionnels déjà cités comportent des enjeux forts de coordination. Il s'agit d'éviter des conflits qui peuvent nuire à l'efficacité et à la lisibilité de l'action de l'Union, vis-à-vis de nos opinions comme de nos partenaires extérieurs et au contraire de tirer pleinement parti des potentialités du nouveau Traité.


L'année 2010 verra également la mise en place du Service européen pour l'action extérieure. Quel devrait être d'après vous le rôle et l'organisation de ce nouvel instrument de la diplomatie européenne, notamment en ce qui concerne le rôle respectif de la Commission et des Etats membres ?


Le nouveau service traitera des relations de l'Union avec tous les pays extérieurs, toutes les organisations internationales. Il sera le principal instrument au service du Haut représentant pour garantir la cohérence de l'action extérieure de l'Union dans toutes ses dimensions et assistera aussi les différentes institutions.

Il ne se substituera pas aux diplomaties nationales mais prendra en charge les tâches de la présidence tournante au titre de la Politique étrangère et de sécurité commune et permettra de développer une culture diplomatique commune en rassemblant en son sein des personnels venus des institutions européennes et des administrations nationales. Le fait que le Haut représentant soit aussi Vice-président de la Commission et Président du Conseil formé par les 27 ministres des affaires étrangères aidera Mme Ashton dans le sens d'une véritable coordination de l'ensemble des moyens et des actions de l'Union européenne dans le monde, y compris la dimension extérieure de plus en plus importante de certaines politiques internes.


Fondation Robert Schuman

http://www.robert-schuman.eu

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