"Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes"
(Jean Monnet)
Avant la fin de l'année du soixantième anniversaire de la déclaration Schuman,
de préférence dès le 9 mai pour que la portée symbolique du geste soit évidente aux yeux de tous, l'Allemagne et la France renouvellent solennellement, en la forme d'une déclaration publique conjointe, leur promesse de 1950: la Fédération européenne.
Cette déclaration est en même temps un appel, à tous les Etats membres de l'Union européenne dont les gouvernements adhèrent sans réserve à cet objectif, à sceller au plus vite, en tout cas dans un délai raisonnable, un pacte fédéral organisant une forme de gouvernement provisoire et le pouvoir constituant de la Fédération. Ce geste aurait pour effet immédiat de rendre à la construction européenne sa finalité première et d'en finir avec une Europe objet, qui ne progresse qu'au gré des crises, sans maîtriser son destin ni susciter l'enthousiasme.
Sous l'autorité provisoire d'un collège composé de quelques personnalités de
haut niveau, les Etats intéressés s'engageraient dans un double processus inédit: de préparation de la mise en commun des outils administratifs nécessaires au pouvoir fédéral à constituer et de participation des citoyens et de leurs élus à la rédaction de la constitution fédérale. La capacité de prévention et de gestion des crises s'en trouverait améliorée d'emblée.
L'autorité commune provisoire, puis le gouvernement fédéral issu du processus constitutionnel, disposant d'instruments propres (départements ministériels), hérités des Etats, dans le domaine des finances publiques, de la politique extérieure, de la défense, de l'énergie, de la recherche, de l'équipement, serait aussitôt perçu comme un sujet politique majeur sur la scène mondiale, et l'Europe comme une puissance politique nouvelle.
L'Union, outre ses compétences exclusives propres, resterait dans son rôle de coordinateur, à l'échelle du grand espace ouvert de libre circulation. Les autres Etats membres de l'Union bénéficieraient de la dynamique nouvelle imprimée par la Fédération. La sécurité du continent serait mieux garantie. Un équilibre plus stable s'établirait dans le monde.
Il ne s'agit pas d'ajuster le Traité de Lisbonne aux conditions des crises. Il s'agit d'éviter la crise, bien plus grave, où le projet politique européen, puis les Etats et, avec eux, la démocratie, pourraient sombrer, une fois épuisés les expédients de la coopération. Bref, il s'agit de reprendre le chemin de l'unité politique.
L'orientation suggérée appelle les précisions suivantes:
1) L'Europe a besoin d'unité politique. Même les gouvernements l'admettent volontiers. Mais, après s'être donné tant de peine pour sauver le traité dit "constitutionnel", ils veulent donner à croire que le Traité de Lisbonne contient les instruments d'une capacité nouvelle de décision et d'action, suffisante pour faire exister l'Europe dans le monde comme une puissance parmi les puissances. C'est une illusion. C'est oublier que les Etats qui comptent dans le monde ont une assise continentale. C'est aussi négliger totalement le rôle que jouent les opinions publiques à l'ère des moyens de communication de masse.
Tant que l'expression politique de l'Europe ne jouira pas de la légitimité populaire qui est celle d'un Président des Etats-Unis d'Amérique, il est faux de dire que l'Europe puisse peser d'un poids égal dans les affaires du monde. Les autres, ceux qui ne cèdent pas à cette illusion, subissent encore l'intimidation des intergouvernementalistes ultra-libéraux et des sentiments qu'ils propagent, notamment la peur d'un super-Etat, non pas d'un pouvoir européen limité mais réel, c'est-à-dire fédéral, mais d'un Etat hypertrophié qui s'immiscerait sans raison valable dans les affaires internes des Etats membres. Et ils se taisent, sans rien proposer. Seules quelques voix éparses s'élèvent encore pour rappeler qu'unité politique signifie Fédération, les Etats-Unis d'Europe, et qu'il est grand temps de tenir, à ce sujet, la promesse des Pères fondateurs.
Puissance Europe propose une feuille de route vers la Fédération.
2) La feuille de route de Puissance Europe fait d'abord appel à la mémoire des échecs: il est maintenant assez largement reconnu, dans les milieux spécialisés, que la règle de l'unanimité des Etats de l'Union (méthode intergouvernementale), qui expose tout Traité nouveau au veto d'un seul Parlement ou d'un seul peuple, empêchant son entrée en vigueur, ne marche pas. Et que la règle de la majorité des Etats de l'Union, appliquée aux multiples décisions qui jalonnent un processus d'intégration (méthode communautaire), a accompli des prodiges pour ébaucher, puis achever le marché intérieur le plus riche du monde, enfin pour le perfectionner. Ce qui n'interdit pas de reconnaître que cette méthode peut certes "apprivoiser" les souverainetés, mais reste insuffisante quand il s'agit de les mettre en commun. L'unité politique ne peut naître d'un Traité, ni par étapes successives.
3) La feuille de route de Puissance Europe tire aussi la leçon d'un succès, celui de la création de la banque centrale européenne. La BCE ne s'est pas faite contre les banques centrales nationales. Les banques centrales nationales ont fusionné: elles sont intégrées au système européen de banques centrales et ne veillent plus qu'au bon fonctionnement et à la sécurité des systèmes locaux de paiement. Elles n'ont plus d'existence autonome en matière de politique monétaire. Il n'existe qu'une politique monétaire là où circule l'euro, celle de la BCE.
C'est donc la bonne méthode s'il s'agit de mettre en place un Trésor fédéral, ou une diplomatie fédérale, ou une armée fédérale. La forme fédérale de l'unité politique fait souvent l'objet de l'aversion des administrations
centrales des Etats parce qu'elle est vécue comme la menace d'un pouvoir nouveau s'imposant à elles, les évinçant de la conception et de la responsabilité. C'est tout aussi souvent en se fondant sur cette aversion exprimée à grands cris que beaucoup d'observateurs, d'analystes ou d'acteurs de la scène politique décrètent que le fédéral n'est pas possible. C'est pour ces deux raisons que Puissance Europe propose la fusion totale (diplomatie, armée) ou partielle (Trésor, sécurité intérieure) des administrations nationales, intégrées en tout ou en partie à une Administration fédérale.
La Fédération ne se fera pas contre les administrations publiques nationales, mais avec elles et par elles.
4) Non seulement la solution de Puissance Europe ne fait pas disparaître les Etats, mais elle compose leurs administrations en un appareil commun à la disposition d'institutions politiques communes. Les administrations restées nationales ou la partie nationale de celles qui sont recomposées à l'échelle européenne garantissent la survie des Etats, dans leurs frontières actuelles et dans le cadre de l'organisation territoriale qui leur est propre, mais dans les limites de leurs compétences, définies par la constitution de la Fédération, comme celles, limitées aussi, des institutions fédérales.
La préparation de l'administration commune commencera une fois scellé le pacte liant les Etats et ouvrant la voie au processus constitutionnel. L'autorité provisoire, collège restreint de personnalités de haut niveau nommées par les gouvernements signataires, veillera à cette préparation et à la mise en place des services nécessaires à la sortie de crise et à la contribution de l'Europe à un nouvel équilibre planétaire. C'est le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif de la Fédération qui achèveront, une fois la Constitution entrée en vigueur, la mise en place de l'Administration fédérale. Dans le même esprit, ce sont les Parlements nationaux des futurs Etats fédérés qui prendront les dispositions législatives nécessaires à l'adoption d'une définition commune de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, l'impôt citoyen par excellence, et, une fois la Constitution entrée en vigueur, au partage du produit de cet impôt entre les Etats membres et le pouvoir fédéral, sur la base de propositions publiées par l'autorité provisoire, puis des budgets fédéraux successifs.
5) La solution de Puissance Europe ne fait pas non plus disparaître l'Union. Un soupçon largement entretenu à l'égard d'une re-fondation de l'Europe à partir de "ceux qui voudront" est qu'elle ferait table rase. Rien n'est plus faux. La constitution d'une Fédération d'une partie des Etats membres de l'Union est un acte souverain de ceux-ci qui ne remet pas en question leurs droits et leurs devoirs de membres de l'Union. La fédération en hérite, mais elle pourrait choisir de se faire représenter par ses institutions fédérales aux décisions du Conseil de l'Union dans le champ des compétences fédérales exclusives (politique étrangère ou défense, politique budgétaire) et de se faire représenter par ses Etats membres, agissant solidairement, aux décisions du Conseil de l'Union dans le champ des compétences concurrentes où l'Union coopère avec les Etats membres. Point n'est besoin de changer le Traité de Lisbonne pour cela avant longtemps, tant que le nombre et le poids des Etats de l'Union hors Fédération sont encore significatifs.
En revanche, la volonté politique souveraine de la Fédération agirait comme un puissant moteur de l'intégration à l'échelle continentale. Il en résulterait une dynamique nouvelle dont bénéficierait l'Europe entière. Les Etats de l'Union hors Fédération seraient d'autant plus incités à adopter la constitution fédérale que leur nombre irait diminuant (effet domino).
6) Le chantier institutionnel de l'Union ne serait pas donc pas rouvert. L'unité fédérale d'une avant-garde au coeur de l'Union ("un Pacte, puis une Constitution, dans le Traité") mettrait fin à la concurrence malsaine des "grands" Etats pour le leadership illusoire d'une Europe désunie, l'élargissement de l'espace européen pourrait se poursuivre sans nuire à la cohésion de la Fédération. L'espace européen (l'Union) bénéficierait des retombées de la puissance (la Fédération), qui contribuerait à la stabilité et à la sécurité du continent. Les institutions de l'Union garderaient toute leur utilité.
Le Président du Conseil européen veillerait à la compatibilité et à la convergence des actions respectives de la Fédération et des autres Etats membres de l'Union. Une division du travail pourrait s'établir entre la politique étrangère de la Fédération et celle de l'Union dans le cadre d'un dialogue permanent entre le Ministre fédéral et le HRVP de l'Union.
7)La mise à plat des services nationaux en conséquence de la fusion totale ou partielle des administrations et la rationalisation de l'ensemble des administrations affectées par la création de la Fédération seraient la source d'économies d'échelle immédiates tant dans leurs effectifs (services diplomatiques, forces armées) que dans leur équipement (matériels), d'une résilience accrue aux chocs externes (stabilisateurs automatiques) et d'une efficacité nouvelle de la dépense publique (recherche, éducation).
Les contribuables européens s'en trouveraient mieux. Une volonté politique unique, dans le respect de modes de gestion divers, pourrait enfin s'appliquer aux grands problèmes communs (réforme fiscale, financement des retraites,
équilibre des systèmes de protection sociale, activation du marché du travail).
Par souci d'économie, on peut envisager aussi que la Cour de Justice de l'Union et le Parlement européen, en formations réduites aux nationaux des Etats à fédérer, tiennent lieu de Cour et de chambre basse communes, tant que la Constitution fédérale ne sera pas entrée en vigueur.
8) C'est la nature déjà européenne de la Fédération et l'existence maintenue de l'Union, toutes deux basées sur le principe d'égalité des Etats membres, qui met les Etats de l'Union hors Fédération à l'abri des risques de domination "impériale", souvent évoqués à l'encontre d'une nucléation de l'Europe.
L'expérience fédérale sera dès l'origine authentiquement européenne, devant inclure idéalement les membres pleins (euro, Schengen, PESD), ou au moins les Fondateurs. La Fédération, qui aura pour le compte du "peuple des peuples" le monopole de l'action extérieure, fonde celle-ci sur le principe de "l'indépendance dans l'interdépendance" et, comme toute communauté politique présentant les caractéristiques d'un Etat, a deux raisons d'être: la liberté et la sûreté de ses citoyens. Cette sûreté se décline en sûreté physique, sûreté des transactions et des paiements, sécurité économique, protection sociale, sécurité des communications etc. A cet égard, elle vise aussi la pérennité d'un mode de vie européen compatible avec les contraintes climatiques.
9) Autre avantage de cette feuille de route: le périmètre de la fédération, par définition ouverte, tendra au fil des adhésions à la Fédération vers le périmètre de l'Union (ouverte aussi), sans nécessairement l'atteindre.
Elle découple l'Europe-espace et l'Europe-puissance. Le processus constitutionnel dans ses formes participatives doit être accessible aux citoyens de tous les Etats membres de l'Union. On peut imaginer que l'aspiration des peuples à participer au processus engagé constitue un moyen de pression de la population d'un Etat sur un gouvernement réticent, se tenant délibérément à l'écart de l'avant-garde contre l'intérêt bien compris du pays.
10) Enfin,la feuille de route de Puissance Europe ne serait pas complète si elle ne traitait de front la question de la légitimité. C'est pour les Européens que l'unité a été poursuivie inlassablement, au moins par quelques hommes d'Etat et par ceux qu'on appelle les artisans de l'Europe. Mais c'est dans leur dos que l'essentiel a été accompli, sans leur dire clairement pour quoi faire, sans tenir compte de leurs attentes, de leurs doutes, de leurs angoisses, sans les associer autrement que par quelques consultations éparses et des élections européennes détournées de leur objet, et surtout sans jamais leur poser franchement la question à l'échelle européenne: unité ou division?
Il convient, pour éviter la catastrophe d'un repli sur les nations, voire les micro-nations ou les nano-nations, tragique pour la démocratie elle-même, de faire preuve, là encore, d'imagination. Puissance Europe propose d'associer les citoyens au processus constituant de bout en bout. Cette association peut avoir alternativement, selon le cours des choses, deux fonctions:
1) préparer les travaux de la Constituante représentative, pour le jour où elle sera convoquée par les Etats, en offrant aux citoyens dans les villes et les régions, à leurs élus municipaux, régionaux, aux maires et aux présidents de régions, aux parlementaires nationaux et aux citoyens dans les villes et les régions, à leurs élus municipaux, régionaux, aux maires et aux présidents de régions, aux parlementaires nationaux et aux organisations représentatives de la société civile, l'occasion d'exprimer, à échelle humaine, leurs préférences pour l'Europe, ou
2) décider les Etats à renoncer à l'exclusivité du pouvoir constituant européen, au lieu d'en garder le monopole et de prétendre rester "les maîtres" d'une pseudo-constitution en forme de traité. Dans les deux cas, la participation des citoyens, la confrontation de leurs attentes et de leurs préférences à l'échelle plurirégionale, puis, en définitive, européenne, après généralisation de l'expérience, mettraient entre les mains des pouvoirs locaux et des peuples une "arme de démocratisation massive" du processus constituant, en amont d'une Constituante européenne (et d'un référendum européen).
Puissance Europe est présidée par Bernard Barthalay
http://www.puissanceeurope.eu