par Baudoin Bollaert, le lundi 17 mai 2010

Dans la crise profonde que traverse l'Europe, tout le monde – des fédéralistes aux souverainistes en passant par les partisans du système actuel – joue les contorsionnistes.


Les premiers peuvent regretter à bon droit l'absence d'un vrai gouvernement fédéral pour mettre un peu d'ordre dans la maison… Surtout soucieux de défendre leurs prés-carrés nationaux, les vingt-sept Etats membres de l'Union n'agissent en commun que le couteau sous la gorge, en dernière extrémité, faute d'autres solutions. La crise grecque l'a encore montré. Et encore a-t-il fallu que le président américain lui-même – et non pas ce pauvre Herman Van Rompoy – les rudoient au téléphone… Oui, les fédéralistes ont de bonnes raisons de croire que des Etats-Unis d'Europe fonctionneraient mieux que l'Union alambiquée du traité de Lisbonne. Sauf que les peuples ont leur mot à dire sur le sujet et que les récentes consultations (référendums et élections européennes) ont témoigné d'un assez net repli identitaire partout sur le vieux continent.

Les souverainistes, eux, crient victoire. L'Union tire à hue et à dia, la monnaie unique bat de l'aile et, avec elle, des pans entiers de l'Europe dite "intégrée" semblent se détricoter. Le leitmotiv des "anti-bruxellois" est toujours le même : "Nous vous l'avions bien dit. Il faut jeter les traités de Maastricht et de Lisbonne aux oubliettes !" Le problème est qu'ils n'ont rien à proposer d'autre que le "concert des nations", l'inflation et la dévaluation pour résoudre la crise. Or, le retour déjà perceptible à l' " Europe des nations", l'affaiblissement de la Commission et la pratique du plus petit dénominateur commun sont à l'origine de la gabegie présente. Quant à l'Angleterre ou à la Suède qui n'appartiennent pas à la zone euro, ont-elles pour autant une économie plus florissante et des caisses moins vides que celles de leurs partenaires ? La réponse est non.

Reste les défenseurs du système actuel… Ils sont aux manettes, tentent de sortir l'Europe de l'impasse et ont beau jeu de dire que les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Face aux bataillons serrés des tenants du "y'a qu'à" et du "faut que", les dirigeants en poste se rappellent les trésors d'ingéniosité qu'ils ont dû déployer pour faire accepter le traité de Lisbonne après l'échec du traité constitutionnel, se satisfont des institutions en vigueur et demandent juste un peu plus de temps pour que les rouages de l'ensemble se mettent en place. Leur pragmatisme n'a qu'un défaut, mais il est de taille : s'il permet le cabotage par temps calme, il n'autorise guère la navigation par gros temps. Des décisions prises dans l'urgence et des sursauts ponctuels ne remplaceront jamais une stratégie à long terme pour faire primer les intérêts européens sur les intérêts nationaux.

Alors, des pro-européens aux anti-européens, chacun se contorsionne pour plier la réalité à ses idées. Mais ces acrobaties intellectuelles n'abusent personne. La construction européenne demeure un chantier d'une complexité inouïe. Un chantier qui n'a pas de plan d'occupation des sols bien établi et dont les architectes successifs – du traité de Rome au traité de Lisbonne – ont privilégié le style baroque plutôt que les lignes épurées…





Baudoin bollaert est journaliste et écrivain. Enseignant à l'Institut catholique de Paris.

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