par Patrick Martin Genier, le mardi 18 mai 2010

Pendant cinq jours, la Grande-Bretagne a vécu une crise institutionnelle sans précédent dans son histoire contemporaine. Aucune majorité ne s'étant dégagée des élections législatives du 6 mai dernier, ce pays s'est ainsi retrouvé avec un « hung parliament », les électeurs ayant voulu sanctionner les travaillistes sans pour autant donner un blanc-seing aux conservateurs.



Des enchères politiques élevées


Les libéraux démocrates de Nick Clegg étant devenu les arbitres de façon inhabituelle, ces derniers ont fait monter les enchères.

Nick Clegg, le chef du parti libéral-démocrate, a été nommé vice-premier ministre dans le cabinet Cameron et cinq autres membres de son parti à des responsabilités gouvernementales.

En contrepartie, Nick Clegg a obtenu la promesse du nouveau premier ministre de ne pas dissoudre la chambre des communes avant le terme normal de la législature comme il est de coutume dan ce pays, c'est-à-dire 2015, le temps de faire passer la réforme du mode de scrutin particulièrement inique en effet.

Les libéraux démocrates espèrent ainsi tirer leur épingle du jeu et de pouvoir enfin inscrire leur action politique dans la durée.


L'idéal européen abandonné en rase campagne


Pour ce faire, ils sont dû céder du terrain sur d'autres sujets et non des moindres, comme l'Europe. Voilà donc un parti politique qui est apparu pendant la campagne électorale comme le plus europhile, contraint d'abandonner une vision favorable à l'Europe. Nick Clegg, qui a été membre du Parlement européen, est un fin connaisseur des arcanes communautaires. C'est d'ailleurs ce qui a rassuré la City lors de son entrée au gouvernement en vue de permettre, non pas une plus grande intégration européenne, mais une défense des intérêts de la City, notamment lorsque viendra sur le tapis la question de la taxation éventuelle des hedge funds dont les banques britanniques sont friandes…

Face à des eurosceptiques forcenés, représentés notamment par le nouveau ministre des affaires étrangères William Hague, qui a mené la danse lors de négociations préliminaires à la formation du nouveau gouvernement, Nick Clegg a carrément déserté la cause européenne : il a donc accepté le principe fixé par les conservateurs de s'opposer d'une part à toute nouvelle intégration communautaire et, d'autre part, à la disparition de la livre sterling comme monnaie nationale. Comment faire du neuf avec du vieux ou perdre son âme en quelque jours seulement.


Le superbe isolement n'est plus possible


Le cabinet Cameron va donc nous ressortir le thème usé jusqu'à la corde de la "relation spéciale avec les Etats-Unis" au détriment de l'Union européenne, au moment même où l'administration démocrate a du mal à montrer un intérêt pour l'Europe, censée de ne plus être un lieu qui compte sur la scène internationale.…Au moment également où l'économie britannique, comme l'ensemble des économies européennes, est plongée dans la crise économique et financière….

Or M. Cameron sait très bien que le Grande-Bretagne ne peut plus s'isoler sur le plan monétaire et qu'il n'est pas réaliste de feindre d'ignorer purement ou simplement l'euro. Même en cas de faiblesse de l'économie ou de la monnaie britannique, une dévaluation censée donner des gages de compétitivité à son économie serait très mal vue. On ne voit pas bien non plus quelle serait la marge de manœuvre d'un gouvernement qui a décidé, à l'unisson des autres pays de l'union européenne, de réduire de manière drastique le déficit et l'endettement publics.


Une coalition durable ou "implosive" ?


La coalition entre les conservateurs et les libéraux-démocrates teindra-t-elle jusqu'en 2015 ? Malgré la bonne entente entre les deux leaders, orchestrée par la belle conférence de presse commune organisée le 12 mai sur les pelouses du 10 Downing Street, l'alliance libérale-conservatrice pourrait ainsi être un attelage plus fragile qu'on ne le croit, notamment lorsque viendra le temps d'assumer des décisions difficiles.

Car le salut aujourd'hui réside dans une intégration toujours plus forte des économies européennes, notamment en renforçant les mécanismes de gouvernance politique comme viennent de le décider les chefs d'Etat et de gouvernement pour sauver l'euro du désastre.

Nick Clegg avait un programme ambitieux sur l'Europe. En abandonnant en rase campagne ses beaux principes, il n'est pas sûr qu'il y gagne à terme car on ne voit pas bien où pourrait mener la logique eurosceptique de David Cameron et William Hague.

En proposant un référendum sur la réforme institutionnelle, tout en prévenant qu'ils feraient campagne pour le "non", les conservateurs ont d'ores et déjà annoncé que leur stratégie serait en réalité d'éliminer les libéraux-démocrates aux prochaines élections législatives, lesquelles pourraient d'ailleurs être avancées, comme il est de tradition dans ce pays, en cas de victoire préalable du "non" au référendum.

Nick Clegg aurait alors perdu sur le plan de la réforme institutionnelle tout en ayant abandonné ses idées sur l'Europe.

Mais pour l'heure, laissons les deux leaders se congratuler mutuellement…





Patrick Martin-Genier est Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris, expert des questions européennes.

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