C'est en 1593 qu'Henri IV aurait prononcé la phrase "Paris vaut bien une messe ". Renonçant au protestantisme, il a embrassé la religion catholique, sans doute moins par conviction que pour assurer son sacre sur le trône de France. C'est un peu la même chose qui est arrivée à l'euro. Mettant de côté certains de leurs principes, les autorités européennes ont (enfin !) su, le dimanche 9 mai, agir avec pragmatisme pour assurer la survie de l'euro. Alors qu'elles se refusaient à faire autre chose qu'afficher de la solidarité financière, elles ont dû monter un mécanisme susceptible de mobiliser (conjointement avec le FMI) jusqu'à 750 milliards d'euros ! Alors que la BCE refusait d'acheter la dette des Etats européens, elle a su mettre de côté ce dogme et pourra, en cas de besoin, en acquérir sur le marché secondaire.
Sortir quelques pays de l'euro ? Une option suicidaire
Pourquoi était-ce nécessaire ? D'abord, parce que l'euro vaut ces efforts. A lire, dans la période récente, certains articles appelant la Grèce à sortir de l'euro, on avait l'impression que la monnaie unique, qui a réclamé tant d'efforts aux Européens (notamment des politiques de désinflation compétitive dans les années 1990), constituait le problème.
Ces appels à la sortie de l'euro ont de quoi surprendre ! Sans l'euro, et si tous les pays avaient gardé "leur" banque centrale, certaines d'entre elles n'auraient pas pu mettre en uvre une politique aussi accommodante que celle de la BCE depuis le début de la crise des subprimes. La spéculation se serait déchaînée contre certaines devises. Au début des années 1990, une quinte de taux du dollar pouvait parfois entraîner une tempête monétaire en Europe.
De plus, une monnaie unique constitue potentiellement - une force. Les Etats-Unis financent leurs déficits publics et commerciaux grâce au statut mondial du dollar. Peut-on croire que les pays les plus endettés de l'Europe se financeraient plus facilement auprès des marchés si l'Union retournait à l'émiettement monétaire ? Pourquoi l'état dégradé des finances publiques en Californie n'a-t-il pas créé un choc aussi grand que la crise grecque ? Parce qu'aucun spéculateur ne parierait un yuan sur le fait que la Californie va sortir des Etats-Unis. Qu'un ou plusieurs pays de l'euro quitte la zone ; et les problèmes sérieux commenceraient ! A la pénurie de moyens de paiements s'ajouteraient des dévaluations compétitives en série.
Pour une souveraineté politique accrue
Si le plan du 9 mai était à ce point nécessaire, c'est aussi qu'il venait (en partie) corriger un défaut originel de fabrication de l'euro. Celui-ci, depuis le début, constitue une cote mal taillée, une construction incomplète. Les Européens ont voulu se persuader qu'une monnaie était neutre, qu'elle n'avait aucune dimension politique et qu'il suffisait de s'en remettre à des règles (comme le Pacte de stabilité et de croissance...) pour ne pas avoir à piloter leur monnaie. Du coup, par exemple, l'euro, dans les faits, se distingue du dollar et du yuan en ceci qu'il n'a pas de politique de change ; il n'est même pas représenté en tant que tel au FMI. Certes, la baisse actuelle de l'euro constitue plutôt une bonne nouvelle pour l'activité des seize, mais l'Union reste un "ventre mou" monétaire.
Pour qu'un pilotage politique prenne forme, il ne suffit plus d'appeler à un " gouvernement économique" de l'UEM, formule vague. L'heure est aux propositions concrètes. A cet égard, la suggestion faite le 12 mai par Olli Rehn, commissaire aux affaires économiques et européennes, d'un examen européen des budgets avant qu'ils ne soient votés mérite réflexion. A quoi sert en effet la surveillance multilatérale si les décisions budgétaires nationales sont arrêtées ? Il ne s'agirait pas de déposséder les Parlements nationaux d'une partie de leur pouvoir ce qui poserait un problème de légitimité démocratique mais de créer un dialogue avec les autres Européens - y compris le Parlement européen - ce qui permettrait d'enrichir la réflexion des Parlements nationaux et européen. Une piste de réforme, à explorer.
L'Europe pour le suffrage censitaire ?
La coordination économique européenne est restée, jusqu'à présent, plus virtuelle qu'effective. D'abord, elle s'est focalisée exclusivement sur les finances publiques et l'inflation. Elle a négligé de surveiller l'endettement privé. Le résultat, c'est que la dérive du crédit d'avant la crise des subprimes faisant place à une brutale contraction des bilans, la dette publique a dû se substituer à la dette privée. Espérons que la surveillance macro-prudentielle exercée par le Conseil européen du risque systémique comblera cette faille. La surveillance multilatérale a également négligé de s'intéresser aux différences de compétitivité ce que veulent corriger les Européens.
Ceux-ci cherchent également à rendre plus stricte la discipline en matière de finances publiques. Les questions sont épineuses. Faut-il punir un Etat laxiste un lui supprimant ses fonds structurels ? Comment concilier cette mesure de rétorsion avec la nécessité de faire de ces fonds des instruments plus incitatifs en faveur de la croissance et des investissements de long terme ? Vu la discrimination opérée actuellement entre les dettes publiques, une sanction en cas de manquement à la discipline serait de désigner les laxistes aux marchés. Une idée semble en revanche plus contestable : celle de priver les Etats fautifs de leurs droits de vote dans l'Union (sans qu'on sache si cette mesure s'appliquerait aussi aux eurodéputés issus de ces pays
). Ne faire voter que les "riches", comme au temps du suffrage censitaire : belle manière de vendre l'Europe auprès des citoyens ! Poussons cette règle jusqu'à l'absurde : d'après les chiffres Eurostat portant sur l'exercice 2009, seuls cinq pays respectent les critères de la dette et du déficit. Ainsi, seuls le Danemark, l'Estonie, le Luxembourg, la Finlande et la Suède pourraient aujourd'hui voter !
Extrait d'Inferface de mai
Olivier Lacoste est directeur des études de Confrontations Europe
http://www.confrontations.org