par Edouard Pflimlin, le lundi 31 mai 2010

Le groupe d'experts, nommé par le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, qui a planché "pour un nouveau concept stratégique" de l'OTAN, a rendu le 17 mai 2010 son rapport(1). Présidé par l'ancienne secrétaire d'Etat américaine Madeleine Albright, ce rapport intitulé "OTAN 2020. Sécurité assurée, engagement dynamique" dresse un état des lieux de la situation internationale et des défis auxquels est confrontée l'OTAN. Il comprend de nombreuses recommandations. Anders Fogh Rasmussen doit s'appuyer sur ce rapport pour présenter le nouveau "Concept stratégique" de l'OTAN au prochain sommet de l'Alliance, en novembre à Lisbonne.

Revenons sur les observations de ce rapport qui souligne la complexité des tâches pour l'Alliance atlantique.


L'OTAN doit continuer d'assurer la sécurité de ses membres comme elle l'a fait depuis 1949 et en même temps se tenir prête à intervenir au-delà de leur territoire. "Dans les 10 années à venir, l'OTAN aura quatre grandes missions militaires interdépendantes", assurent les 12 experts sous la houlette de l'ex-secrétaire d'Etat de Bill Clinton.

Le rapport, qui devra ensuite être examiné et amendé avant d'être soumis pour adoption aux dirigeants alliés à leur sommet de Lisbonne, maintient le rôle central de l'organisation du traité de l'Atlantique Nord. En effet, la première de ces missions consiste, selon l'article 5 du traité, à "défendre contre toute menace d'agression" les pays membres, conformément à sa mission première depuis plus de 60 ans. Mais, l'OTAN doit aussi préparer des "capacités expéditionnaires pour des opérations militaires au-delà de la zone du traité", comme c'est le cas aujourd'hui en Afghanistan. Autrement dit, ce qui était une exception avec l'intervention militaire hors zone de l'OTAN en Afghanistan, provoquée par les attentats du 11-Septembre, deviendrait la règle. En effet, la sécurité des membres de l'Alliance n'est pas limitée à sa zone géographique "traditionnelle". La sécurité des membres de l'OTAN peut se jouer très loin de l'Europe ou de l'Amérique du Nord.

Cette proposition est formulée dans des termes "allant bien au-delà de ce qui était envisagé" dans la précédente version du "concept stratégique" de l'alliance militaire occidentale en 1999, a noté elle-même Mme Albright dans une lettre à l'OTAN, dont le texte a été rendu public.

Une autre mission essentielle de l'OTAN sur le plan militaire, selon le groupe qu'elle a présidé, est de coopérer avec d'autres partenaires dans le monde pour faire face aux nouvelles menaces (attaques informatiques, piraterie, prolifération balistique et nucléaire, risque de pénurie énergétique).

Une dernière mission enfin est d'aider à la formation de la police et de l'armée dans les pays les moins stables pour contribuer à la sécurité internationale, comme l'OTAN le fait déjà en Afghanistan et en Irak.


Opportunités pour l'Union européenne


Il y a dans ce rapport de nombreuses "opportunités" pour l'UE et la PESD pour qu'elle joue un rôle clé aux côtés de l'OTAN, en support (ou en leader ?) des opérations de l'organisation euro-atlantique.

Il y a évidemment de profonds intérêts et menaces communs avec l'OTAN. La stratégie européenne de sécurité (SES)(2) du 12 décembre 2003 le souligne : " l'Europe est confrontée à de nouvelles menaces, qui sont plus variées, moins visibles et moins prévisibles." Et elle énumère : terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, conflits régionaux, criminalité organisée... Menaces que met en évidence le rapport d'experts de l'OTAN.

La SES définit aussi le fait que pour garantir sa sécurité l'Union européenne peut avoir intérêt à intervenir loin de son aire géographique...La SES l'indique : "à l'ère de la mondialisation, les menaces lointaines peuvent être aussi préoccupantes que les plus proches…C'est à l'étranger que se situera souvent la première ligne de défense. Les nouvelles menaces sont dynamiques… Il n'est jamais trop tôt pour prévenir des conflits et des menaces".

Ces menaces ont d'ailleurs conduit l'Union européenne à intervenir dans son environnement proche et dans différentes régions du monde. Rappelons que la PESD s'est développée depuis une dizaine d'années et assuré de nombreuses opérations (3). Ces opérations sont à caractère militaire, civilo-militaire ou civil. Les premières opérations ont eu lieu dans les Balkans, avec une mission de stabilisation en Bosnie-Herzégovine à partir de 2004. D'autres missions ont eu lieu ensuite en Afrique, Asie et Moyen-Orient. Parmi les missions récentes, en mai 2007, l'UE a envoyé une mission de police pour 3 ans en Afghanistan et au début 2008, une force militaire de 3000 hommes a été placée aux frontières du Tchad et la République centrafricaine pour protéger les réfugiés fuyant les combats dans la région du Darfour (Soudan). Depuis décembre 2008, l'UE a lancé sa mission Atalante, première opération maritime pour protéger les navires des pirates installés le long de la côte de la Somalie.

La PESD peut venir en soutien de l'OTAN et des Etats-Unis : la SES souligne que "les États-Unis ont joué un rôle capital dans l'intégration et la sécurité européennes, notamment par le biais de l'OTAN. La fin de la guerre froide a laissé les États-Unis dans une position dominante en tant qu'acteur militaire. Aucun pays n'est toutefois en mesure de faire face, seul, aux problèmes complexes de notre temps". Elle apporte son expertise en matière de gestion civile des crises. Mais elle peut aussi assurer certaines missions dans des aires que l'OTAN ne couvrirait pas ou ne serait pas suffisamment expérimentée. On pense évidemment à l'Afrique. Pour cela, elle bénéficie de la pleine capacité opérationnelle des groupements tactiques, des forces très réactives de 1500 hommes, dont deux peuvent être employées presque simultanément(4) .

Le rapport d'experts reconnaît que : "l'UE est un partenaire unique et essentiel à l'OTAN". Mais il souligne que les mécanismes de coopération n'ont pas toujours fonctionné "aussi bien qu'espéré". "Une complémentarité entre l'OTAN et l'Union européenne sera essentielle si les Alliés doivent forger une approche globale et efficace de la sécurité quand les deux sont impliqués dans une mission de stabilisation. Une meilleure coopération peut aussi être utile pour répondre aux menaces non conventionnelles comme le terrorisme, les cyber-attaques et les vulnérabilités énergétiques. L'UE aura souvent une plus grande expertise que l'OTAN pour contrer les aspects non-militaires de tels dangers, même si la ligne entre menaces militaires et non-militaires devient confuse."

On voit là que les deux organisations peuvent s'appuyer, même si reste encore la trace du passé qui tentait de limiter l'UE à des tâches plus secondaires.
Parmi les recommandations des experts (page 24 du rapport) figure notamment l'idée que les deux organisations doivent éviter le piège de distinguer toutes les menaces et les responsabilités comme étant "distinctement" "militaires" ou "non-militaires". "De nombreuses situations nécessiteront une réponse qui inclut à la fois des éléments coercitifs et non-coercitifs ; l'OTAN, l'UE et d'autres devraient apporter les capacités qui ajoutent le plus de valeur pour trouver une solution."

Aussi les experts préconisent de développer toutes les instances de coordination entre les deux organisations.

Le rapport prévoit aussi de développer les partenariats avec différents Etats ou régions : Russie, Méditerranée, Moyen-Orient, etc… L'UE peut aussi contribuer à favoriser ces partenariats puisqu'elle entretient avec l'ensemble de ces acteurs des relations étroites.


Des obstacles, des freins importants


Mais ce rapport d'expert est par certains côtés assez irréaliste (5). Pour mener à bien les quatre missions énoncées plus haut, soulignent les auteurs, les experts pensent que les Etats membres devraient non seulement dépenser mieux mais davantage pour la défense.

Ils notent que : "le principal obstacle à la transformation militaire est l'insuffisance des dépenses et des investissements de défense en Europe. Aujourd'hui, il n'y a que six Alliés européens sur 26 qui consacrent 2 % ou plus de leur PIB à la défense, et seulement une douzaine qui atteignent les objectifs de déployabilité et de soutenabilité des forces militaires" . À cela s'ajoute le fait que, ces vingt dernières années, "les dépenses de fonctionnement et de personnel ont représenté une part disproportionnée des budgets de défense des pays européens".

Quant au critère de l'Alliance selon lequel 20 % des dépenses militaires doivent être consacrées aux investissements, "il est respecté par moins de la moitié des pays de l'OTAN". Ainsi "un fossé particulièrement large s'est creusé entre les capacités des États-Unis et celles des autres pays de l'OTAN, et ce déséquilibre, s'il n'est pas corrigé, pourrait nuire à la cohésion de l'Alliance".

Les experts préconisent donc nécessaire pour l'OTAN, entre autres recommandations, de "mettre un coup d'arrêt à la forte baisse des dépenses de défense nationales, engager de nouvelles réformes et mesures d'efficience (efficacité) et fixer des priorités pour les futures capacités"...

Ils jugent aussi nécessaire que les membres de l'OTAN devraient "engager de nouvelles réformes" de nature à la rendre plus efficace, y compris un allègement de ses structures.

Mais ces propositions arrivent dans un contexte budgétaire plus que tendu : l'heure est à la rigueur et à la diminution des effectifs (et des budgets) qu'à leur augmentation. Même les pays qui respectent le critère de 2 % (Grèce, Royaume-Uni, France) ne pensent qu'à dépenser moins. La France chercherait à économiser jusqu'à 4,8 milliards d'euros sur les trois prochaines années dans le budget de la défense !(6)

Les pays qui étaient déjà au-dessous du seuil de 2 % ont entamé un "dégraissage", plus ou moins, drastique du nombre de leurs militaires. "Certes ces mesures peuvent paraître conjoncturelles (deux à cinq années). Mais sauf changement drastique de la donne internationale, et menace directe, on voit mal la tendance s'inverser et les budgets de défense retrouver des ressources nouvelles dans les années suivantes (à moins de recourir de façon plus importante au secteur privé). Dans les faits, cet objectif de 2 % semble donc condamné."(7)

"C'est un motif d'inquiétude de voir ce fossé se creuser", a d'ailleurs déclaré M. Rasmussen, qui, tout en reconnaissant "les formidables défis économiques", a affirmé "les réductions draconiennes aux dépens de la sécurité future ont aussi des implications économiques désastreuses".

Les Etats européens, une fois la crise passée et leurs finances publiques remises en ordre, devront à nouveau donc se poser la question des moyens pour leur défense et pour développer leurs capacités militaires. C'est une nécessité pour l'OTAN, c'est une nécessité aussi pour la PESD. On l'a vu les deux étant amenées à encore accroître leurs liens.

Notons aussi que ce nouveau concept peut être source d'inquiétudes et donc de tensions, notamment avec la Russie, voisin de l'Union européenne. "L'OTAN n'a pas l'ambition de devenir le gendarme du monde", a tenu cependant à assurer M. Rasmussen, affirmant que l'envoi d'un corps expéditionnaire devra être "fondé sur les principes de la Charte de l'ONU". Malgré les garde-fous invoqués, cet aspect "expéditionnaire", s'il était entériné à Lisbonne, risquerait d'être accueilli avec méfiance à Moscou ou à Pékin comme par d'autres puissances émergentes.

Ceci ne manquerait pas aussi de se répercuter sur la PESD, compliquant sa tâche avec un voisin si les tensions venaient à s'accroître avec la Russie.
Se pose aussi la question de l'efficacité de l'Alliance à mener ces nouvelles missions au lointain. En effet, l'OTAN patine en Afghanistan. Avec déjà 200 soldats tués en 2010 (bilan au 17 mai), les forces internationales essuient leurs pertes les plus lourdes sur cette période de l'année en plus de huit ans de guerre, signe que l'insurrection des talibans s'intensifie alors que les renforts affluent dans les pays. Pour comparaison, 119 soldats de l'OTAN avaient péri entre janvier et fin mai 2009. L'année 2009, avec 520 soldats des forces internationales tués en Afghanistan, avait été de très loin la plus meurtrière depuis la chute des talibans fin 2001. En moyenne, depuis l'été 2009, un à deux soldats de l'OTAN meurent chaque jour en Afghanistan. Cette hausse continue des violences intervient alors que les forces internationales injectent, conformément à la nouvelle stratégie de la Maison Blanche, de nouvelles troupes dans le pays. Le nombre des soldats étrangers doit ainsi passer à l'été de quelque 130 000 à environ 150 000, dont plus des deux tiers sont américains. On peut s'interroger sur la pertinence de la stratégie américaine et donc de celle de l'OTAN.

Il faudrait que l'OTAN tire réellement, ce que le rapport juge nécessaire, les conclusions de ce type d'engagement et de ne s'en remettre qu'à l'utilisation de la force.

Là encore, l'Union européenne a son rôle à jouer. Comme le disait la SES : " Contrairement à la menace massive et visible du temps de la guerre froide, aucune des nouvelles menaces n'est purement militaire et ne peut être contrée par des moyens purement militaires. À chacune il faut opposer une combinaison de moyens d'action." Aux côtés de l'OTAN, l'UE peut apporter son expertise.

Le rapport reconnaît d'ailleurs que l'OTAN doit mieux intégrer la dimension civilo-militaire des missions de sécurité.

La PESD gagne depuis maintenant plusieurs années en autonomie, l'UE s'affirme mieux sur la scène internationale. Le nouveau concept de l'OTAN, me semble-t-il, pourrait ouvrir de nouveaux champs, de nouvelles pistes et de nouvelles collaborations entre UE et OTAN.

Il permettrait de développer un nouveau partenariat stratégique transatlantique entre les Etats-Unis et l'Europe que de nombreux politiques ou analystes appellent de leurs vœux.

Il faut cependant rester prudent. Le nouveau concept ne serait-ils pas marqué par des arrières pensées américaines. Rappelons que peu après le sommet de Saint-Malo de décembre 1998 qui avait relancé l'Europe de la défense, celle qui était alors secrétaire d'Etat américaine, cette même Madeleine Albright qui avait publiquement mis en relief la volonté de tutelle sur l'autoaffirmation européenne naissante en énonçant le principe des « 3 D » (8) (pas de découplage transatlantique, pas de duplication des moyens et pas de discrimination des pays membres de l'OTAN non membres de l'UE).


1(http://www.nato.int/nato_static/assets/pdf/pdf_2010_05/20100517_100517_expertsreport.pdf
(2)http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cmsUpload/031208ESSIIFR.pdf
(3)http://www.consilium.europa.eu/showPage.aspx?id=268&lang=FR
(4)http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cmsUpload/100217%20Factsheet%20-%20Battlegroups%20-%20version%204_FR.pdf
(5)Lire : Il faut dépenser plus pour la défense, dit l'OTAN. Est-ce vraiment sérieux !, Nicolas Gros-Verheyde, 19 mai 2010, Blog Bruxelles2 l'Europe de la défense et de la sécurité
http://bruxelles2.over-blog.com/article-il-faut-depenser-plus-pour-la-defense-dit-l-otan-est-ce-vraiment-serieux-50615700.html
(6) « La rigueur budgétaire pourrait coûter jusqu'à 4,8 milliards d'euros sur trois ans à la Défense», Alain Ruello, Les Echos, Jeudi 27 mai 2010
(7) « Il faut dépenser plus pour la défense, dit l'OTAN. Est-ce vraiment sérieux ! » op cit
(8)« La relation UE-OTAN : complémentarité ou subordination ? », mémoire de géopolitique du commandant Joaquin Broch Hueso (Espagne) dans le cadre du séminaire « Union européenne et lien transatlantique » dirigé par Pierre

Lire sur l'évolution du concept stratégique de l'OTAN : http://www.nato.int/cps/en/natolive/topics_56626.htm


Edouard Pflimlin est journaliste. Il est, notamment, l'auteur d'une note de la Fondation Schuman, « Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ? », 2006 .

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