par Olivier Lacoste, le lundi 05 juillet 2010

La Commission nous a récemment réservé une bonne surprise. Le Livre vert qu'elle a rendu public le 2 juin sur "le gouvernement d'entreprise dans les établissements financiers et les politiques de rémunération" ne se contente pas d'énumérer quelques considérations techniques. Il pose, au moins de façon implicite, des questions pertinentes sur le rôle social des entreprises financières et sur les impasses auxquelles a conduit la seule recherche du taux le plus élevé possible de rentabilité financière (RoE).


Une critique voilée du "modèle actionnarial"


A priori, on n'attend pas de la Commission qu'elle fasse une critique radicale du capitalisme patrimonial, c'est-à-dire de ce modèle qui prétend que maximiser les intérêts des actionnaires revient aussi à satisfaire les intérêts de tous les autres partenaires dans le jeu économique. Et pourtant le Livre vert constate que : "la confiance dans le modèle de l'actionnaire propriétaire et participant à la viabilité à long terme de l'entreprise a été pour le moins fortement entamée. La « financiarisation » de l'économie, grâce en particulier à la multiplication des sources de financement/d'apport en capital, a introduit de nouvelles catégories d'actionnaires. Celles-ci semblent montrer peu d'intérêt pour les objectifs à long terme de la gouvernance des entreprises/établissements financiers dans lesquelles elles investissent et peuvent être elles-mêmes sources d'incitation de prises de risque excessives en raison de leurs horizons d'investissement relativement courts…."

Vu ces attendus, le lecteur est déçu par les suggestions du Livre vert, qui propose seulement que le Conseil d'administration prenne en compte, dans ses décisions, les intérêts des autres parties prenantes (« duty of care »).

Espérons que les réponses à la consultation, ouverte jusqu'à fin août 2010, feront le lien avec les dispositions visant à assurer l'information et la consultation des salariés. En ce domaine, le droit communautaire (directive 2002/14/CE) n'est pas assez contraignant. Espérons aussi que certaines contributions feront le lien avec la RSE (responsabilité sociale des entreprises) et avec le dialogue social. Dans la revue 88 de Confrontations Europe, Marcel Grignard, secrétaire national de la CFDT, faisait ce vœu : "A l'échelle de l'Europe, il faudrait que les partenaires sociaux, CES et Business Europe, soient capables de repenser l'entreprise dans un délai maximal de deux ans et de proposer un autre type de gouvernance."

Le Livre vert insiste par ailleurs sur les carences du Conseil d'administration (CA) et sur le manque de compétence de certains de ses membres. En revanche, il ne dit rien sur les modèles d'appréciation du risque.

Modifier les systèmes d'incitation

Le Livre vert ouvre le dossier des rémunérations. Celles-ci, contrairement à ce que certains affirment, ne renvoient pas à des questions de morale, mais sont au cœur des incitations qui ont mené les dirigeants à privilégier le court terme et les produits spéculatifs. Le Livre vert s'interroge donc sur la pertinence de nouvelles mesures, contraignantes ou non, en matière de rémunération de dirigeants des sociétés cotées. Espérons que la consultation mettra en avant l'idée qu'un des moyens d'éviter les dérives court-termistes du système est d'intégrer (par la réglementation ?) de nouveaux critères (par exemple sociaux) dans les critères de rémunération du top management. Le Livre vert aborde aussi la question des options d'actions (stock options) et le fait avec raison. Elles ne constituent pas de bonnes incitations ; par exemple, en quoi poussent-elles à une gestion avisée si le prix de l'action dépend moins des performances spécifiques des dirigeants que de l'évolution générale du marché boursier ? Par ailleurs, le Livre vert pointe à bon escient le comportement de certains investisseurs institutionnels.

Au total, la consultation ouverte est tout sauf étroitement technique. Elle pose des questions politiques sur le rôle social des acteurs financiers et les moyens de faire en sorte que ceux-ci n'exercent pas de prédation sur l'ensemble de l'économie. Aux acteurs, à présent, d'alimenter le débat.
Olivier Lacoste, directeur des études, Confrontations Europe

Une analyse du Livre vert est disponible sur le site de Confrontations europe, à la rubrique « A lire ». Pour la consultation :

http://europa.eu/documentation/official-docs/green-papers/index_fr.htm


Olivier Lacoste, est directeur des études à Confrontations Europe

Organisations en lien avec Fenêtre sur l'Europe :