Les historiens de l'Europe reteindront probablement des récents évènements que l'Europe a failli sombrer corps et âme à la suite des coups de boutoirs qu'elle a subis en raison de la crise économique et politique qui l'a fortement secouée.
Depuis le début de la crise grecque, les divergences ont été majeures et la réponse de l'Europe et de ses institutions a été pour le moins laborieuse. La querelle a mis face à face la France et l'Allemagne qui par leur opposition, ont mis à mal la cohésion européenne dans son ensemble.
Des embrassades et des divergences
Les embrassades publiques entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont ainsi été inversement proportionnelles au degré d'accord entre les deux dirigeants. Plus les divergences augmentaient, plus les sourires et les accolades étaient démonstratives et intenses alors que la chancelière allemande rechigne à ce genre d'exercice qui, aussi, ne fait pas partie de la culture allemande, surtout pour une personne issue de l'ancienne RDA
L'Europe a ainsi, au cours de ces des derniers mois, vécu au rythme des humeurs et chamailleries du couple franco-allemand. Force est de constater que dans cette partie de bras de fer, la chancelière allemande est sortie renforcée. C'est bien son point de vue qui s'est en fin de compte imposé et, à tout réfléchir, il ne pouvait en aller autrement. Que la rigueur ne soit pas une fin en soi, les économistes ne diront pas le contraire. Mais faute pour les Etats d'avoir respecté les traités qui imposent eux-mêmes des règles prudentielles strictes, elle constitue hélas le passage obligé vers une culture plus attentive aux équilibres budgétaires.
Rappelons nous qu'il y a à peine deux ans, le président de la République avait fait la leçon à Bruxelles en faisant valoir que les règles posées par le traité de Masstricht devaient être mises entre parenthèses. Le retour aux réalités n'en a été que plus cinglant, surtout depuis que la chancelière a subi un revers électoral l'obligeant à durcir le ton vis-à-vis de son « lieber Nicolas »
L'art du compromis n'a pas fonctionné
Le chef de l'Etat a donc dû faire contre mauvaise fortune bon cur lors du dîner du 14 juin avec Angela Merkel suivi du conseil européen du 17 juin. L'art du compromis aurait ainsi fait de nouveau des merveilles tout le monde étant d'accord à la fois sur la gouvernance économique et sur la nécessité de contrôler les transactions bancaires grâce aux tests de résistance des banques confiés à des docteurs émérites de la finance internationale
Mais en temps normal l'art du compromis doit donner naissance à un compromis équilibré, ce qui ne semble pas avoir été le cas en l'espèce.
Le chef de l'Etat avait évoqué l'instauration d'un véritable gouvernement économique doté d'un secrétariat regroupant les pays de la zone euro, soit seize sur vingt-sept, dont il prendrait d'ailleurs la direction et qui serait doté de véritables prérogatives. Le président de la banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, avait quant à lui évoqué un « fédéralisme budgétaire ». La nouvelle configuration envisagée eut été véritablement innovatrice voire révolutionnaire. Mais il n'en sera rien, la chancelière ayant opposé un veto sans appel à cette proposition en restant fidèle à sa ligne de conduite : l'Europe se fera ensemble et non pas de façon séparée
Tout juste a-t-elle concédée que les mauvais élèves seraient privés de leur droit de vote au sein du conseil des ministres. Mais il faudrait pour cela une révision des traités : autant dire que ce système ne s'appliquera pas
La commission européenne doit veiller à son rôle de gardienne des traités
L'Europe, quant à elle, n'a pas été très crédible non plus : José Manuel Barroso, le président de la commission a dû faire face à l'offensive d'Herman Van Rompuy, le nouveau président permanent du conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement dont les initiatives l'ont plus ou moins marginalisé
Tout le monde s'est plus ou moins retrouvé sur le fait qu'il fallait privilégier cette instance à vocation intergouvernementale, oubliant un peu vite au passage que la Commission reste toujours jusqu'à nouvel ordre la gardienne des traités. Bref, si elle ne veut pas perdre son rang et ses prérogatives, la commission doit également se ressaisir et son président vient tout juste de le réaliser
La confusion a été telle que l'Europe aurait pu sombrer. Mais elle a résisté et c'est là l'essentiel. Il est néanmoins urgent qu'elle tire sans concession la leçon de ces évènements si elle veut encore développer un vrai projet politique à long terme.
Patrick Martin-Genier est Maître de conférences à l'institut d'études politiques de Paris, spécialiste des questions européennes