Certes, les retours de congés, du moins pour celles et ceux qui sont partis en vacances, sont d'actualité ces jours-ci. Vous avez sans doute comme beaucoup d'Européens suivi de loin les inondations au Pakistan, les incendies russes et d'autres encore. Vous attendez peut-être la suite des « affaires » déballées au début de l'été, si symptomatiques des conflits d'intérêt des élites françaises. Mais il est plus que probable que le nouveau discours sécuritaire, aux relents ouvertement xénophobes, ne vous apparaît pas comme une dérive somme toute secondaire. La question de la sécurité, dans des sociétés à la fois diverses et fragmentées, est éminemment complexe... Mais les mots employés cet été sont d'un simplisme effrayant.
Metis avait publié en 2007 un article sur les Roms en Italie - édifiant à la lumière du contexte actuel ! - nous croyions à l'époque pouvoir distinguer l'Italie berlusconienne de ses voisins. Nous nous sommes trompés. Car la tentation et le discours xénophobe et sécuritaire semble s'étendre. Il y a comme un dénominateur commun dans la montée de la xénophobie, relayée sur le plan politique, dans des pays aussi divers que la France, le Royaume Uni, les Pays-Bas, la Suisse, l'Autriche, la Belgique, mais aussi la Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie, sans oublier la Russie et les Etats-Unis !
Pour nous qui nous consacrons au travail, à l'emploi et au dialogue social, cet enjeu n'est pas lointain. Il fait partie de la question sociale actuelle et recoupe parfois les frontières de l'emploi et du chômage, de la sécurité et de l'insécurité socio-professionnelle. Jusqu'à quel point les acteurs des relations du travail doivent-ils s'en emparer ? Question visiblement récurrente: on l'a vu avec la question d'un engagement syndical inégal sur les travailleurs sans papiers, on le voit en matière de promotion de la diversité et de lutte contre les discriminations - où la faiblesse des engagements des acteurs économiques comme sociaux est patente. On le voit sur la question des banlieues. On y revient avec « les gens du voyage ».
Bref le rapport aux autres repose tout simplement la question sociale. Les concepts qui l'ont structurée - le travail industriel, une Europe maîtresse du monde, une division de l'espace entre villes et campagnes, une certaine majesté de la loi, une « communauté nationale » - sont aujourd'hui largement dépassés. Il est à craindre que ses faiblesses accumulées n'engendrent demain bien plus qu'une vague anti Roms.
Retour au travail donc ! L'affaire France Telecom éclatait avec ses suicides en rafale. Depuis, beaucoup d'eau - et d'encre - ont coulé et ce mois-ci nous voulons revenir sur la question de l'organisation du travail. Comme le rappelle le rapport rendu public par ASTREES en juin dernier la question du travail a été masquée depuis des années par le chômage de masse. « L'emploi, l'emploi, l'emploi » s'écriait même l'ex-premier ministre hollandais Wim Kok qui en avait fait le titre d'un de ses rapports au Conseil. Car le flot de réorganisations/restructurations qui traverse nos économies depuis plus de 30 ans va bien au-delà de l'emploi : il a transformé de fond en comble nos activités, nos manières de travailler, nos façons de vivre. Pas étonnant par exemple que la question du rapport entre santé des personnes et restructurations émerge dans toute l'Europe comme en atteste une synthèse européenne récente. Ni que les conditions de travail que l'on croyait améliorées le soient réellement, comme le montrent les dernières enquêtes européennes. Pas étonnant non plus que le stress soit devenu un objet de négociation sociale à l'échelle de l'UE et que s'y affrontent plusieurs visions, notamment celles qui font la part belle à la dimension individuelle et celles qui privilégient la dimension collective et organisationnelle .
Faut-il alors crier haro sur les organisations actuelles ? Nouvelles formes d'expression au travail, contrat de compétences, sous-traitance plus équitable : il y a bien des choses à revoir dit le rapport ASTREES. Mais Xavier Baron nous rappelle que l'organisation du travail, avant d'être " rationnelle et scientifique" ou "sociale et démocratique" est une pratique sociale. Gestionnaire, elle doit nécessairement être efficace. Sociale, est doit être en même temps légitime. Et il montre que loin d'être mort le taylorisme fait aujourd'hui le succès des économies chinoises, indiennes et autres. Et que d'organisation du travail alternative, point !
Selon lui le probable aujourd'hui est clairement dans la reconduction et l'exacerbation (toujours plus de la même chose) de l'existant, c'est-à-dire une situation qui fait que la démocratie est un luxe du point de vue des systèmes de production. Elle est un obstacle à l'efficacité. Que l'on pense au droit social, aux normes environnementales, aux exigences de la RSE, elle est une source de surcoûts, un handicap concurrentiel. C'est au point que l'organisation du travail, toujours plus « scientifique », doit sans cesse, dans tous les cas, a minima contenir la démocratie hors de l'entreprise, si possible l'amender, au pire accepter d'en être dégradée du point de vue de son efficacité ». Certains à l'instar de l'entreprise Generali ont voulu mettre en place une organisation du travail responsabilisante censée à la fois renforcer la communauté de travail et améliorer le lien avec les clients. Mais pour quels effets ? A voir....
extraits de l'Editorial de Metis du 24 aôut 2010
Claude-Emmanuel Triomphe est directeur de publication et de la rédaction de Metis.
http://www.metiseurope.eu