Le 13 septembre 2010, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a rencontré le président ukrainien Viktor Ianoukovitch à Bruxelles. Ils ont discuté du programme de réformes de l'Ukraine, des prochaines étapes pour renforcer les relations entre l'UE et l'Ukraine et des réformes en matière de démocratie et de droits fondamentaux. Membre de l'OMC depuis 2008, Kiev compte signer un accord d'association prévoyant la création d'une zone de libre-échange entre l'Ukraine et l'UE. "Cet accord comprendra un accord de libre-échange d'un type encore jamais conclu par l'UE", a déclaré Herman Van Rompuy au terme de son entretien après avoir affirmé que le prochain sommet EU-Ukraine prévu le 21 novembre, serait "un véritable succès".
Par ailleurs, l'institut allemand pour la politique européenne (IEP) a publié le 30 août une étude sur l'influence de la politique européenne de voisinage sur les développements politiques en Ukraine, intitulée "The EU's 'transformative power' towards the Eastern neighborhood: the case of Ukraine"(1).
L'Union européenne a tout intérêt à soigner ses relations avec un pays qui est, soulignons le, à la frontière orientale de l'Union européenne. Or plusieurs évolutions sont préoccupantes dans cette ex-République de l'Union soviétique.
En matière de droits de l'homme et de la presse d'abord. La commission de suivi de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) s'inquiète d'éventuelles atteintes aux libertés démocratiques en Ukraine. Elle a adopté début septembre à l'unanimité une résolution dans laquelle ses membres expriment "leurs préoccupations à la suite d'allégations selon lesquelles les libertés démocratiques - telles que les libertés de réunion, d'expression et de la presse- ont été mises sous pression ces derniers mois"."Tout recul concernant le respect et la protection de ces droits serait
inacceptable pour l'Assemblée". Reporters sans frontières (RSF) et d'autres organisations de défense de la liberté de la presse ont dénoncé récemment les pressions subies par les journalistes depuis l'arrivée au pouvoir en février de Viktor Ianoukovitch, un proche du Kremlin.
L'Union européenne s'est aussi émue du sort d'un journaliste ukrainien porté disparu le mois dernier et a exhorté les autorités ukrainiennes à tout mettre en oeuvre pour protéger les journalistes. La disparition de Vasil Klimentiev, rédacteur en chef du journal Noviy Stil, a été signalée le 11 août, selon des rapports de police. Son journal est spécialisé dans les affaires de corruption dans l'est de l'Ukraine, où règne l'homme le plus riche d'Ukraine, Rinat Akhmetov. L'hypothèse la plus probable est que le journaliste a été tué. Lors d'une réunion de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), jeudi dernier à Vienne, l'Union européenne a rappelé la promesse faite par Viktor Ianoukovitch, de défendre le pluralisme des médias et de protéger les journalistes.
Le pouvoir exercerait aussi des pressions sur l'opposition. Dernier épisode en date, les services spéciaux ukrainiens (SBU) ont entendu début septembre Olexandre Tourtchinov, bras droit de l'opposante et ex-Premier ministre Ioulia Timochenko, dans le cadre d'une enquête sur l'achat de gaz russe par l'Ukraine, une convocation "politique" selon l'intéressé. Les services spéciaux ukrainiens ont indiqué que M. Tourtchinov avait été entendu comme témoin dans le cadre d'un litige remontant à 2009 entre le gouvernement de Mme Timochenko et la société RosUkrEnergo (RUE), qui était à l'époque l'intermédiaire pour l'achat de gaz russe. "La SBU est utilisé comme un instrument politique", a affirmé M. Tourtchinov, qui était vice-Premier ministre dans le gouvernement de Mme Timochenko, passée à l'opposition en début d'année après à sa défaite à l'élection présidentielle.
Le camp de Mme Timochenko ne cesse d'accuser l'équipe du nouveau chef de l'Etat, Viktor Ianoukovitch, d'exercer des pressions politiques contre ses détracteurs.
L'Ukraine connaît aussi certains maux sociaux très graves et depuis longtemps (2).
La consommation et surtout le trafic de drogues minent par exemple le pays. Le service de sécurité ukrainien (SBU) a annoncé fin juillet avoir saisi 1 200 kilogrammes de cocaïne en provenance du Venezuela dans le port d'Odessa, sur la mer Noire (sud de l'Ukraine), une quantité record pour ce pays. Depuis l'effondrement de l'URSS en 1991, l'Ukraine est devenue une plaque tournante du trafic international de stupéfiants vers l'Europe occidentale. De manière générale, l'état du système de santé du pays est très préoccupant et l'espérance de vie, notamment des hommes qui recule, est nettement plus faible qu'en Europe de l'Ouest.
L'économie traverse aussi dans une passe très difficile. Le Fonds monétaire international a annoncé fin juillet avoir accordé à l'Ukraine une nouvelle facilité de caisse de 15,15 milliards de dollars sur 29 mois, dont les fonds seront débloqués par étapes. Cette facilité de crédit, dont le principe avait été approuvé début juillet, a été validée "pour soutenir le programme de réformes et d'ajustements économiques des autorités" de Kiev. Ce programme a pour objectif de "consolider les finances publiques, ramener le système bancaire à une situation saine, et développer un cadre de politique monétaire plus robuste", ajoute le FMI.
Le FMI était venu en aide à l'Ukraine en lui accordant en novembre 2008 une aide de 16 milliards de dollars. Kiev en a touché près de deux tiers mais, en raison de divergences entre le Fonds et le gouvernement ukrainien sur le montant du déficit budgétaire, le FMI n'a pas débloqué la fin de cette aide, qui doit expirer en novembre. Le FMI veut aider l'Ukraine à redresser son économie, frappée de plein fouet par la crise mondiale. Aux termes des engagements pris par Kiev en échange du financement du Fonds, l'Etat ukrainien table sur un déficit budgétaire de 5,3% du PIB en 2010, qu'il prévoit de ramener à 3,5 % en 2011.
On voit qu'il y a plusieurs fragilités. L'Union européenne devrait donc sans tarder offrir la perspective, même lointaine, d'une adhésion à l'Union européenne. Elle devrait favoriser les réformes dans le pays, limiter les « coups de canif » portés à la démocratie fragile et faire du pays un pôle de stabilité. L'Ukraine est aussi une zone de transit des produits énergétiques russes à destination de l'UE avec plusieurs gazoducs clés. Quelque 80% du gaz russe à destination de l'Europe transite par l'Ukraine. Or il y a régulièrement des problèmes liés à ce transit. La dernière en janvier 2009 avait entraîné une interruption de deux semaines des livraisons russes au beau milieu de l'hiver.
Point positif dans ce tableau sombre, M. Ianoukovitch a annoncé lors d'une visite à Bruxelles pouvoir être en mesure de finaliser à l'occasion du prochain sommet UE-Ukraine, un "plan d'action" en vue d'une abolition des visas entre l'UE et l'Ukraine. Interrogé sur les craintes de voir l'Ukraine se tourner trop vers la Russie depuis l'arrivée au pouvoir du nouveau président ukrainien, M. Barroso s'est au contraire "réjoui du progrès dans les relations entre l'Ukraine et la Russie", car cela a également des répercussions sur l'UE, qui cherche aussi à développer ses relations avec la Russie. L'UE et l'Ukraine veulent également accélérer leurs négociations en vue d'un accord d'association qui comporterait un ambitieux volet commercial, ont aussi annoncé le président de l'UE Herman Van Rompuy et M. Ianoukovitch, à l'issue d'un entretien distinct. Cet accord d'association "comportera l'accord de libre échange le plus développé que l'UE a jamais conclu", a souligné M. Van Rompuy. Il permettra une "intégration graduelle de l'économie ukrainienne dans celle de l'UE", a souligné le président ukrainien.
M. Ianoukovitch, succédant en février au pro-occidental Viktor Iouchtchenko en froid avec Moscou, a dès le départ lancé un rapprochement spectaculaire avec la Russie, avec notamment un accord sur le paiement du gaz russe contre une extension du bail russe pour utiliser la base navale stratégique de Sébastopol en Crimée, tout en cherchant à rassurer ses partenaires européens en affirmant que l'adhésion à l'UE restait prioritaire pour son pays. Il faut le prendre aux mots et que le sommet prochain UE-Ukraine soit à la hauteur des enjeux d'un pays ignoré mais néanmoins clé pour les Européens.
(1)http://www.iep berlin.de/fileadmin/website/09_Publikationen/SPES_Policy_Papers/The_EU_s__transformative_power__towards_the_Eastern_neighbourhood-_the_case_of_Ukraine_Iryna_Solonenko.pdf
(2)Lire aussi, "L'Ukraine, une société bloquée", Le Monde diplomatique, mai 1998 http://www.monde-diplomatique.fr/1998/05/PFLIMLIN/10467
Edouard Pflimlin est journaliste