par Mercedes Bresso, le jeudi 07 octobre 2010

Mercedes Bresso (PSE-IT) se dit en faveur du "maintien des fonds structurels pour toutes les régions européennes" et pour "tirer des conséquences plus nettes de l'introduction de l'objectif de cohésion territoriale dans la structure de la future politique régionale." Sur les stratégies macro régionales, par contre, elle pense que "l'ARLEM (Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne) serait un cadre idéal pour étendre le modèle du GECT en Méditerranée."

Elle répond aux questions d'Enrico Mayohfer pour la lettre de la CRPM de septembre 2010
http://www.crpm.org


1) Mme Bresso, l'année prochaine, vous serez, avec M. Valcárcel Siso, rapporteure de l'avis sur le budget de l'UE. Comment soulignerez-vous l'importance de la politique de cohésion dans cet avis?

Le débat sur le futur budget de l'Union préfigure en réalité le niveau d'ambition de l'Union européenne pour cette décennie. Avec, d'une part, le nouvel équilibre politique et institutionnel créé par le Traité de Lisbonne et, d'autre part, les contraintes liées à la crise, les politiques communes de l'Union devront être plus que jamais mobilisées pour atteindre les objectifs d'Europe 2020. Il faudra donc les doter de moyens financiers suffisants.

Très probablement, les propositions présentées par la Commission seront accompagnées d'un appel à une plus grande efficacité dans l'utilisation des fonds européens, un ciblage sur les domaines correspondant à une valeur ajoutée européenne et une amélioration de la cohérence entre les politiques. Or, c'est précisément avec une politique de cohésion européenne forte pour toutes les régions qu'on pourra le mieux y parvenir. Les modalités de programmation et de gestion de la politique de cohésion se prêtent parfaitement à une approche intégrée de développement, avec la flexibilité nécessaire pour s'adapter aux spécificités territoriales. Les régions européennes sont, je crois, prêtes à jouer la carte d'une conditionnalité renforcée des fonds structurels. Ce sont de tels arguments que nous mettrons en avant.

2) La CRPM, en tant qu'association paneuropéenne, compte également 6 commissions géographiques. Depuis notre création en 1973, nous avons dès lors promu activement à la fois la cohésion territoriale dans toute l'Europe et la coopération au niveau macrorégional. Comment voyez-vous l'équilibre entre ces deux priorités au sein de l'UE?

Avec l'adoption de la stratégie de l'Union européenne pour la région de la mer Baltique et le lancement d'un processus analogue pour le Danube, les stratégies macrorégionales sont plus que jamais sous les feux de l'actualité. Mais beaucoup de questions ne sont pas réglées, notamment celle de l'égalité de traitement de tous les territoires européens en matière d'expérimentation du modèle macrorégional.

Ceci dit, le laboratoire des stratégies macro-régionales est intéressant à plus d'un titre. Dans une Union politique, qui est en train de retrouver son unité géographique et d'asseoir sa visibilité externe, il est très important de mettre en œuvre des politiques communes pour les bassins maritimes, les grandes voies fluviales, les massifs montagneux, afin d'en faire des espaces de coexistence et de développement commun et non des barrières. Le projet pour les mers Adriatique et Ionienne montre même la possibilité d'utiliser ce format dans le contexte de l'élargissement, en l'occurrence vers les Balkans.

Les stratégies macrorégionales nous permettent de planifier de manière intégrée et sur une vaste échelle territoriale les politiques sectorielles, et notamment les politiques menées par les différents niveaux de gouvernement. En outre, elles nous poussent à l'expérimentation, qui est un moteur essentiel du processus d'intégration européenne, aux yeux du Comité des régions.

Il s'agit de stratégies pilotes qui, si elles font la preuve de leur efficacité, peuvent devenir un des instruments de la politique de cohésion, mais seulement l'un d'entre eux. Elles ne peuvent prétendre répondre à toutes les questions posées par l'objectif de la cohésion territoriale, et encore moins à celles relatives aux priorités budgétaires de l'UE et à ses modalités d'intervention en direction des régions.

Une deuxième précaution doit être prise avec les stratégies macrorégionales; elles ne doivent en aucun cas ouvrir la porte à une intégration européenne et un développement socio-économique à plusieurs vitesses.

3) Existe-t-il selon vous un lien entre ces stratégies et les GECT?

En facilitant l'adoption des stratégies macro-régionales, la Commission européenne va dans le bon sens. En même temps, il est tout aussi indispensable qu'elle encourage le développement des autres instruments de coopération, surtout s'ils sont fondés sur un règlement de l'Union.

Il me semble qu'il faut explorer plus à fond les potentialités du GECT (groupement européen de coopération territoriale) qui a été créé par un règlement de juillet 2006. Les coopérations dotées de GECT, qu'elles soient de niveau euro-régional, transfrontalier ou intercommunal, peuvent et doivent pouvoir jouer un rôle central dans la conception et la mise en œuvre des stratégies macrorégionales. De plus, dans le prochain avis du Comité des régions pour améliorer les GECT, il y aura des propositions pour une meilleure association des partenaires non européens. Personnellement, je pense que l'ARLEM (Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne) serait un cadre idéal pour étendre le modèle du GECT en Méditerranée.

4) Comment la synergie entre la CRPM et le CdR peut-elle être améliorée, en particulier en ce qui concerne la contribution éventuelle des associations régionales aux prochaines négociations sur le budget?

Il me semble qu'aujourd'hui le partage des tâches entre le Comité des régions, institution européenne, et les associations de régions ou de collectivités locales, à vocation spécialisée, est entré dans une phase très dynamique. Nous avons tout intérêt à sceller une alliance forte au stade du débat d'idées, afin de confronter l'approche du Comité qui se doit d'être plus consensuelle et générale, avec les points de vue plus spécifiques qu'expriment les associations, par exemple la sensibilité des régions périphériques et maritimes pour la CRPM. C'est donc, à mon avis, en amont des négociations quelle que soit la politique concernée qu'il faut renforcer la synergie. Pour ce qui est du futur budget et de la future politique de cohésion, nous avons déjà programmé deux opportunités de dialogue en octobre et novembre, l'un avec le Commissaire Hahn, à l'occasion de la sortie du 5e rapport de cohésion et l'autre avec le Commissaire Lewandowski.

5) Le Piémont, votre région d'origine, n'est pas une région de convergence. Pourquoi est-il important de maintenir des fonds régionaux pour toutes les régions européennes? Comment justifier cette position?

Le maintien de l'accès aux fonds structurels pour toutes les régions européennes est une revendication forte du Comité des régions. Cette demande s'appuie sur l'argumentation qui a déjà été utilisée pour l'Agenda 2000: c'est moins une question de moyens financiers que de gouvernance. Il est maintenant largement reconnu que la politique de cohésion est un instrument majeur au service de l'intégration européenne, en permettant aux citoyens de percevoir concrètement ce que l'Union européenne leur apporte – l'amélioration de leurs conditions de vie, l'accès à l'emploi ou à la formation, la connexion à Internet, la rénovation des réseaux d'assainissement ou de transports, etc. C'est aussi un outil de pédagogie pour les responsables publics locaux, qui acquièrent ainsi aussi bien des compétences pour la gestion de grands projets que pour des techniques participatives démocratiques modernes ouvertes à de multiples partenaires. C'est enfin une garantie de cohérence globale: riches ou pauvres, toutes les régions vont dans la même direction, même si chacune va à son rythme et chacune a ses particularités. La stratégie Europe 2020 vise à donner à la croissance européenne un nouveau cours, en la rendant plus intelligente, plus verte et plus inclusive; elle n'y parviendra toutefois que si, au-delà des plans nationaux de réforme, toutes les régions y contribuent sur le terrain.

6) Pensez-vous que la structure de la politique régionale axée sur 3 objectifs corresponde aux besoins actuels de l'Europe?

Le Comité des régions s'est déjà prononcé sur le sujet dans un avis adopté en avril dernier. Toutefois, depuis cette date, les réflexions progressent. Personnellement, je crois qu'il faudrait tirer des conséquences plus nettes de l'introduction de l'objectif de cohésion territoriale dans la structure de la future politique régionale: Quel type de soutien faut-il donner aux territoires géographiquement spécifiques, au-delà de ce qui est déjà prévu pour les RUP? Faut-il créer des opportunités particulières de coopération et de mise en réseau pour ces régions ou pour ces zones? Parlons-nous exactement de la même chose et devons-nous envisager le même traitement pour améliorer les relations rural-urbain ou la coopération transfrontalière?
Il faudrait aussi porter notre regard au-delà de la politique de cohésion et peut-être s'inspirer de ce qui marche dans les zones rurales et les zones côtières avec les programmes de développement local LEADER et FARNET.

7) Selon vous, comment la nouvelle période de programmation sera-t-elle liée à la stratégie Europe 2020?

En l'état actuel des choses, la stratégie Europe 2020 et la prochaine période de programmation ont le même horizon temporel. Ceci plaide évidemment pour une mise en synergie des deux, mais l'expérience actuelle pousse à la plus grande prudence.

En effet, nous risquons de souffrir encore jusqu'en 2013 de certaines dérives auxquelles la stratégie de Lisbonne nous a conduits. Ses promoteurs nous ont souvent tenu un raisonnement simpliste sur l'innovation technologique et ses effets de percolation et d'entraînement quasi-automatique à d'autres secteurs. Dans le domaine social, ils nous ont incités à prêter davantage d'attention à la flexibilité qu'à la sécurité et à la satisfaction des besoins de court terme plutôt qu'à la recherche de solutions durables parfois moins faciles. Par souci d'afficher des scores et des performances, ils nous ont poussés à juxtaposer les projets sectoriels plutôt qu'à mettre en œuvre des approches intégrées.

Bref, nous sommes nombreux à nous interroger sur l'efficacité du fléchage (earmarking) sur certaines priorités de la stratégie de Lisbonne. Ne s'agissait-il pas seulement d'un habillage de ce que les régions faisaient déjà avec la politique de cohésion? Ou, au contraire, ce fléchage a-t-il contraint inutilement les régions à se lancer dans des stratégies de concurrence et à négliger d'autres investissements moins attrayants mais plus essentiels à la vie des citoyens? Malgré les demandes répétées du Comité des régions, aucune évaluation de ce dispositif ne semble à l'ordre du jour de la Commission.

Personnellement une déclinaison des propositions formulées par Fabrizio Barca me semblerait préférable.


Mercedes Bresso (PSE-IT) est Présidente du Comité des régions et Membre du Conseil régional du Piémont. Professeur d'économie à l'Université Polytechnique de Turin, elle a été Députée au Parlement européen et Présidente de l'Union européenne des fédéralistes (UEF) ainsi que Présidente de la région du Piémont.

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