par Claude Emmanuel Triomphe, le vendredi 08 octobre 2010

Nos modèles sociaux traversent de sacrées turbulences ces derniers temps. En France comme en Europe, les réformes se succèdent afin de permettre aux systèmes généralement issus de la deuxième moitié du vingtième siècle, de tenir le coup face aux défis multiples que leur posent la démographie, les transformations économiques et sociales, les choix de finances publiques. Nombre de ces réformes - sur la santé, sur les retraites, sur l'éducation - passent mal, c'est le moins qu'on puisse dire. Et l'Europe ne respire pas l'optimisme.


Le succès de l'extrême droite en Suède - au passage elle n'atteint quand même que le tiers des niveaux observés en France, en Belgique aux Pays Bas ou en Hongrie ! - témoigne d'une montée et d'une cristallisation des peurs qui ne peut qu'interroger les grandes forces politiques du continent, à commencer par la social démocratie. La crise d'ailleurs n'a rien modifié sur le fond et n'a généré aucune révision significative. Et les temps de la « refondation du capitalisme » semblent déjà lointains !


Eloignons nous un moment de l'Europe. Nous avons voulu ce mois ci regarder de plus près ce qui se passait dans les pays dits émergents. En commençant par le Brésil où Lula achève son deuxième mandat, doté d'une popularité qui avoisine les 80% et dont le bilan social est loin d'être négligeable . Dans ce pays immense en pleine croissance - de Rio ou de Manaus, la rhétorique européenne sur les « grands » et les petits pays européens doit sembler un peu étrange ! - les problèmes sont innombrables, les inégalités immenses et les énergies... formidables. La question du travail, petite partie de la question sociale ne donne pas lieu forcément à un syndicalisme beaucoup plus innovant ou à un droit du travail bien adapté à une économie encore très largement informelle ! Mais ce qui frappe c'est cette capacité à s'auto-organiser, à mobiliser « le peuple », à rechercher des alternatives comme le montre si bien Chico Whitaker, co-fondateur du Forum social Mondial. Cette capacité à fonctionner en réseau, à travailler de manière beaucoup moins pyramidale et plus horizontale et, ce faisant, de peser politiquement, juridiquement - la rédaction de la Constitution brésilienne en porte largement la trace - est certainement quelque chose dont la vieille Europe, et singulièrement la France, pourrait s'inspirer ! Tant il est vrai que nous croulons sous des organisations économiques, politiques et sociales ankylosées et ankylosantes.

Le Brésil nous ramène sur la nécessité des réformes politiques, sur le besoin d'alternatives à un modèle de gestion insoutenable et cette question est devenue universelle. Elle touche d'autres pays émergents, et notamment la Chine. Une de nos lectrices, qui en revient, pense que la Chine se livre sur les questions du travail à un début d'introspection. Nous essaierons dans d'autres dossiers de prolonger son regard. Mais il est évident que l'Europe, à la fois dans ses états constituants comme dans sa forme d'Union a sacrément besoin là aussi d'un coup de jeune !

Il y a peut-être des leçons à tirer de ces pays dont la pauvreté est une richesse, comme le proclamait, il y a près de 35 ans et dans un scepticisme généralisé, Albert Tévoédjré, un économiste camerounais dans un livre préfacé d'ailleurs par un Brésilien célèbre Dom Helder Camara. En d'autres termes, lorsqu‘un pays en est encore, comme c'est le cas du Brésil, à se demander comment satisfaire les besoins premiers, et non pas les besoins de confort, il est parfois plus lucide que d'autres sur les choix, les méthodes et les priorités.

Editorial de Métis du 27 septembre 2010


Claude-Emmanuel Triomphe est directeur de publication et de la rédaction de Metis.

http://www.metiseurope.eu

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