Les Européens veulent améliorer la "gouvernance économique", notamment en renforçant le Pacte de stabilité et de croissance (PSC). A cette fin, le Conseil européen (CE) du 26 mars 2010 a constitué une "Task Force", dirigée par Herman Van Rompuy. La Commission a fait, le 29 septembre, des propositions législatives. La Task Force a remis son rapport le 21 octobre ; cependant que l'Allemagne et la France négociaient au plus haut niveau de façon bilatérale et publiaient une déclaration commune le 19 octobre.
Ces tiraillements de calendrier renvoient à des questions de fond.
Un débat concerne l'automaticité - ou non - des sanctions. Celles-ci, selon la Task Force et la Commission, seraient mises en uvre d'office, sauf si le Conseil décidait de s'y opposer à la majorité qualifiée. Ce système est dit de la " majorité inversée". Du fait de cette automaticité, la politique budgétaire risque d'être privée de tout débat public. C'est peut-être le souci de garder une place à la politique qui a conduit l'Allemagne et la France à estimer que les sanctions devraient être votées selon le système normal de la majorité qualifiée.
Le Conseil européen des 28 et 29 octobre ne dit pas un mot sur cette question, qu'il faudra trancher. C'est peut-être aussi parce qu'ils estiment que les règles ne dispensent pas d'un pilotage politique que l'Allemagne et la France ont obtenu du CE qu'ils prévoient un mécanisme permanent de gestion des crises (voir plus loin). Sous réserve des évolutions ultérieures du dossier, voici les projets sur la table.
1. Le "semestre européen". Approuvé par le Conseil Ecofin du 7 septembre 2010, il vise à intensifier la coordination européenne. Le CE et le Conseil diront aux Etats membres ce qu'ils pensent des projets de budget, avant que ceux-ci ne soient soumis aux Parlements nationaux. Analyser la cohérence européenne des budgets avant qu'ils ne soient votés est positif. On peut regretter que Commission et Conseil n'aient prévu aucun rôle pour le Parlement européen. Une conférence annuelle, tenue conjointement avec les parlements nationaux, sur la politique économique et les budgets est souhaitée par Alain Lamassoure.
2. Le renforcement du volet préventif du Pacte. La Commission introduit une norme de progression des dépenses publiques : elles ne devront pas augmenter plus vite que le PIB. Dans les propositions de la Commission, si un pays de la zone euro s'écarte d'une gestion prudente, il devra faire un dépôt (portant intérêt) d'un montant de 0,2 % du PIB (dans le cas de la France, avec un PIB d'environ 2000 mds d'euros courants, cela représenterait 4 mds d'euros). Par ailleurs, les Etats membres sont invités à se doter d'un cadre budgétaire rigoureux (statistiques fiables, prévisions crédibles, règles sérieuses
).
3. Le renforcement du volet correctif du PSC. La Task Force et la Commission constatent que seul le critère du déficit a déclenché les procédures de déficit public excessif (DPE) et veulent renforcer le critère de la dette. Les textes sacralisent le niveau de 60 % du PIB, alors qu'un retour sous ce niveau ne paraît pas un objectif crédible à moyen terme. Les traités actuels permettent des sanctions pour les pays de la zone euro (0,2 % du PIB, sous forme de dépôt ne portant pas intérêt, puis sous forme d'amende).
4. La surveillance macroéconomique. La surveillance multilatérale avait négligé d'importantes variables, comme les comptes courants, l'endettement privé
Les propositions sur la table ont le mérite de combler ce manque ; en revanche, elles ne disent rien des indicateurs qui seront utilisés. Les projets de la Commission prévoient une "procédure de déséquilibre excessif", pouvant donner lieu à des sanctions (0,1 % du PIB) pour un pays de la zone euro ne prenant pas les mesures qui lui auront été conseillées.
Les textes de la Commission et de la Task Force présentent des manques. D'une part, ils ne font pas le lien entre consolidation budgétaire nationale et budget européen (lien que le CE esquisse). Or, un des moyens de mieux utiliser les finances publiques serait sans doute d'en mutualiser certaines au niveau communautaire pour éviter les doublons. D'autre part, ils ne disent rien de la coopération/concurrence fiscale entre les Etats membres. Or ce débat devra être ouvert pour rendre la consolidation budgétaire crédible.
Vers un Fonds monétaire européen (FME) ?
Dans leur déclaration commune du 19 octobre, la France et l'Allemagne soulignaient la nécessité d'un "mécanisme robuste de résolution des crises". En effet, le fonds de stabilisation mis en place en mai n'est prévu que pour trois ans. Le Conseil européen des 28 et 29 octobre a accédé à cette demande puisque ses conclusions "conviennent que les Etats membres doivent établir un mécanisme permanent de gestion de crise pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et invitent le président du CE à engager avec les membres du CE des consultations sur une modification limitée du traité nécessaire à cet effet, sans toucher à l'article 125 TFUE (clause de « no bail out »)."
Les contours de cette sorte de FME (fonds monétaire européen) ne sont pas précisés ; ils devraient l'être davantage d'ici décembre. De nombreuses options sont à trancher. Une des plus épineuses concerne les "arrangements nécessaires pour une participation adéquate du secteur privé" que la déclaration franco-allemande appelait de ses vux. Une restructuration des dettes ne serait donc plus exclue, ce qui peut entraîner des pertes pour les prêteurs.
La question est donc de savoir si une telle perspective peut inquiéter les marchés, les poussant à discriminer davantage les dettes souveraines de la zone euro, et donc provoquer une nouvelle crise obligataire, ou si elle peut rassurer les opérateurs, en ce sens qu'il vaut mieux se doter d'un pilotage politique et prévoir à l'avance un mécanisme de résolution plutôt que de le créer à chaud. L'évolution des écarts de rendement obligataire dans les semaines à venir constituera un paramètre important de la réflexion et des négociations à venir des Européens.
Paru dans interface d'octobre 2010 de Confrontations Europe
Olivier Lacoste est directeur des études, Confrontations Europe
http://www.confrontations.org