par Elie Herberichs, le jeudi 11 novembre 2010

La dixième réunion des parties à la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies, qui s'est tenue du 18 au 29 octobre 2010 à Nagoya (Japon) a été marquée par des avancées significatives. Cette réussite a été en partie permise par les efforts de l'Union européenne qui a soutenu la production du travail préparatoire « The Economics of Biosystems and Biodiversity » (TEEB) de l'économiste Pavan Sukhdev mettant en évidence le coût économique lié à la dégradation de la biodiversité.


Le sommet de Nagoya d'octobre 2010 effacera-t-il l'échec du sommet de Copenhague de décembre 2009 ? Un an après la conférence sur le climat qui s'est tenue dans la capitale danoise, les perspectives semblent s'ouvrir pour une régulation internationale de la protection de l'environnement. Certes, l'objet des deux rencontres était différent : il s'agissait en 2009 de mettre en place un système de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tandis qu'au Japon en 2010 l'objectif était d'enrayer la dégradation accélérée de la biodiversité. Les deux rendez-vous mondiaux partagent cependant un point commun : dans les deux cas, les regards étaient braqués sur la capacité de l'Union européenne à faire entendre sa voix.

Exemplarité européenne

Il serait hâtif de conclure de cette comparaison entre 2009 et 2010 que les Vingt-Sept ont une préférence pour la biodiversité par rapport à la lutte contre le réchauffement climatique. Le 25 octobre 2010, le président de la Commission Environnement du Parlement européen, Jo Leinen, tirait un bilan négatif de la mise en place des sites protégés « Natura 2000 » : "nous protégeons 10% du territoire et dégradons les 90% restants", déplorait-il, plaidant pour "une approche plus holistique". Si le dispositif européen apparaît aujourd'hui comme insuffisant au regard des objectifs globaux à atteindre, il reste que l'Union reste en avance par rapport aux autres poids lourds de l'économie mondiale.

Au premier rang de ses partenaires, les Etats-Unis, qui ne sont pas signataires de la Convention sur la diversité biologique de 1992 et étaient donc seulement présents à Nagoya en qualité d'observateurs. Le scénario de Copenhague, qui a vu un accord sino-américain bloquer les négociations afin d'empêcher toute mesure contraignante, ne s'est donc pas répété. Cette configuration particulière a permis aux efforts de la négociation européenne de porter leurs fruits.

L'exemplarité de l'Union a joué un rôle important en matière d'aide à la préservation de la biodiversité dans les pays en développement : l'Union Européenne consacre d'ores et déjà un milliard d'euros par an à ce soutien. A Nagoya, le Japon a consenti à des efforts conséquents dans cette voie, s'engageant à verser deux milliards de dollars aux pays en développement sur trois ans.

Par ailleurs, les blocages concernant les possibles entraves au développement économique que représente une régulation environnementale n'ont pas prévalu. Le nouveau protocole « Accès et partage des avantages » additionnel à la convention de 1992 (dit « protocole ABS ») permet de valoriser le patrimoine génétique des pays par un partage plus équitable des avantages scientifiques ou commerciaux tirés de la recherche sur les ressources biologiques. Pour les pays émergeants, il s'agit donc d'une incitation économique à la préservation des équilibres naturels. Cela constitue un avantage pour le Brésil, l'Amazonie accueillant un dixième des espèces animales et végétales du monde vivant.

L'Union entend peser sur le calendrier international

"Nous ne sommes pas venus ici pour une conférence de promesses", a déclaré à Nagoya Karl Falkenberg, directeur général de l'environnement à la Commission européenne. Cette ambition a été servie, on l'a vu, par un contexte de négociations particulièrement favorable aux intérêts européens. Il reste que la mise en œuvre des mécanismes approuvés à Nagoya relève de la seule responsabilité des Etats, ce que regrettent des organisations non gouvernementales telles que Pro Natura. Celles-ci craignent que les engagements pris ne puissent être à terme maintenus, en l'absence d'organisme international de contrôle.

La stratégie adoptée par les 193 participants au sommet vise à établir un calendrier commun plutôt qu'à instaurer un cadre supranational, plus délicat à créer à l'échelle globale. Aux mesures effectives (protection de 17% de la surface des terres et de 10% des océans, contre respectivement 12,5 et 1% auparavant) s'ajoutent vingt objectifs à atteindre en 2020, dits « objectifs d'Aichi ».

L'Union européenne semble ici avoir plusieurs cartes à jouer : les grandes lignes de sa stratégie d'action interne ont été définies par la communication de la Commission « Options possibles pour l'après 2010 en ce qui concerne la perspective et les objectifs de l'Union européenne en matière de biodiversité » du 19 janvier 2010. Elle y définit un agenda faisant de l'horizon 2020 une "variable fixe afin de garantir l'importance de l'objectif de l'UE dans les négociations internationales", nécessitant la mise en place d'instruments de quantification précise des avancées.

En se dotant de son propre échéancier, l'UE favorise les chances de faire valoir ses objectifs dans les négociations internationales. Cette stratégie est d'ores et déjà mise en œuvre au sein de plusieurs instances : au sommet de Potsdam du G8 en 2007, où une réflexion sur le coût économique de la dégradation de la biodiversité avait été amorcée ; au sein de l'OMC également, où l'UE plaide pour une mise en cohérence des accords de libre-échange et des impératifs du développement durable. Enfin, cette stratégie d'influence est appuyée par les actions individuelles des Etats membres.

La cohérence des initiatives de l'Union en la matière n'est certes pas achevée à ce jour : les réformes de la Politique Agricole Commune (PAC) et de la Politique Commune des Pêches (PCP) vers une adéquation avec les objectifs environnementaux sont encore en cours. L'UE a toutefois réussi à identifier clairement les objectifs à atteindre afin d'enrayer la dégradation de la biodiversité. Les conditions semblent donc réunies pour que l'Union européenne devienne une force de proposition majeure en matière de régulation environnementale internationale.


Elie Herberichs pour le Master « Politiques européennes » de l'IEP Strasbourg
novembre 2010

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