L'A400 M prend-il enfin son envol ? On peut l'espérer... Les sept pays associés au programme de l'avion de transporteur militaire européen A400M ont franchi une étape supplémentaire dans le règlement de la crise frappant ce programme phare, un des grands projets de coopération européenne industrielle militaire, en finalisant vendredi les termes d'un accord financier trouvé avec le constructeur EADS.(1)
La formalisation de cet accord, agréé le 5 mars dernier, a été annoncée à Toulouse, au siège d'Airbus, filiale d'EADS, par le ministre français de la Défense Hervé Morin et Louis Gallois, patron du groupe industriel européen.
Hervé Morin a parlé de "grand jour pour l'industrie européenne de défense", tout en concédant qu'il "restait à engager le processus de ratification propre à chaque pays" dans les prochaines semaines. Mais "l'A400M a définitivement décollé", a-t-il lancé.
Plus mesuré, Louis Gallois a rappelé que "le contrat qui vient d'être finalisé fixe les détails de l'accord de principe conclu en mars 2010 et nécessitera quelques travaux légaux complémentaires". Ses clauses répartissant 5,2 milliards d'euros de surcoûts entre EADS et les Etats, n'ont pas changé.
Les Etats paieront 3,5 milliards d'euros de plus (dont 1,5 milliards d'euros en aides à l'exportation) et EADS a déjà dû provisionner 1,8 milliard d'euros dans ses comptes 2009.
Faut-il se réjouir de l'accord ? Sur son blog Secret défense (2) Jean-Dominique Merchet fait part de sa colère : "Il y avait quelque chose d'indécent, vendredi, à entendre le ministre de la Défense Hervé Morin annoncer "une très très bonne nouvelle" après la finalisation de l'accord sur l'Airbus A400M. Sans doute une bonne nouvelle pour l'idée que le président du Nouveau Centre se fait de la construction européenne, mais certainement pas pour le contribuable français. Faisons rapidement les comptes : lorsque ce programme d'avion de transport militaire fut lancé en 2003, le contrat portait sur un total de 180 avions (dont 50 pour la France) pour un coût de 20 milliards d'euros. Soit, 111 millions d'euros par appareil. Vendredi, on apprenait que la facture pour la France serait finalement de 8,4 milliards, toujours pour 50 avions. Soit 168 millions d'euros par appareil.
L'augmentation du prix unitaire est donc de 57 millions : + 51 % ! Pas mal, comme "très très bonne nouvelle"... A part cela, les finances publiques se portent bien...".
En Allemagne, on est également réservé, mais pour d'autres raisons : "Côté allemand, on est moins dithyrambique. Cité par la presse allemande, le ministre zu Gutenberg se rappelle l'âpreté des discussions et la dureté du ton. Et au ministère de la Défense, à Berlin et Bonn, on préfère argumenter gros sous : « Grâce à ces mesures, la part allemande de la hausse des prix d'environ 670 millions compensée. Alors qu'à l'origine, le surcoût aurait dû être de un milliard d'euros ». Explication : le programme Airbus A400M était prévu à l'origine pour couter 20 milliards d'euros. Le surcout a été estimé par l'industriel à 5,2 milliards, sur lequel les Etats clients ont accepté de payer 3,5 milliards d'euros. Toute la difficulté a été de partager cette somme. Au final, la France devrait acquitter une facture de 8,4 milliards d'euros pour 50 avions... "(3)
Certes, le coût de l'appareil a fortement augmenté en période de « vaches (très) maigres » mais on peut se féliciter de ce progrès de l'Europe de la défense alors que celle-ci marque le pas.
Chacun des sept pays devra adopter l'accord avant qu'il soit signé officiellement, ce que Louis Gallois a dit espérer d'ici la fin de l'année.
Hervé Morin a rappelé que le programme A400M était entré dans une "crise majeure à la fin 2008 avec l'annonce de trois à quatre ans de retard".
"Nous avions sous-estimé les uns et les autres la complexité du projet, les technologies avancées à mettre en oeuvre sur un calendrier de 6 ans et demi qui n'était pas réaliste" a expliqué de son côté M. Gallois.
Malgré l'enjeu de 12.000 emplois en France et de 40.000 en Europe, il a fallu une année de psychodrame à rebondissements pour aboutir à l'accord de principe de mars, et encore huit mois pour le "finaliser", dans une situation compliquée par les plans d'économies budgétaires de plusieurs Etats européens.
"Les Etats ont renoncé à réclamer des pénalités à l'industriel et ont accepté une hausse du prix unitaire de 11 millions par avion", a déclaré le ministre tout en confirmant que le nombre de commandes des partenaires devrait être ramené à 170. Le contrat initial de 2003 prévoyait de livrer 180 appareils aux 7 clients pour un montant forfaitaire de 20 milliards d'euros à partir de 2009.
"L'Allemagne, qui avait passé la plus grosse commande avec 60 unités, en a converti sept en options", a annoncé le ministère de la Défense allemand. Le nombre total de commandes sera ramené de 180 à 170, en prenant en compte les trois A400M dont le Royaume-Uni aurait décidé de se passer, ramenant son total à 22. La France a de son côté commandé 50 appareils, l'Espagne 27, la Turquie dix, la Belgique sept et le Luxembourg un."(4)
L'avion sera mis en service actif en 2014 par l'armée française, a dit M. Morin. Le ministre a assuré que cet accord était "bon pour les contribuables" car cet avion est "sans comparaison" avec les prestations (charge, autonomie) des avions américains.
Comme l'indique les Echos lundi 8 novembre (5) : "L'A400M revient de loin". Ne tombons pas dans un optimisme exagéré toutefois : "Si les questions financières semblent en passe d'être résolues, reste maintenant pour Airbus à tenir ses engagements. A commencer par achever la mise au point de l'appareil". Selon Domingo Urena-Raso, le directeur général d'Airbus Military, le programme d'essais en vol, qui avait pris plusieurs mois de retard au printemps, "progresse à bon rythme". "Nous nous apprêtons désormais à lancer la production en série d'ici à la fin de l'année", a-t-il confirmé.
Lire :
(1) « A400M : les Etats et EADS font un pas de plus vers le décollage du programme », AFP, 5 novembre 2010
(2) http://www.marianne2.fr/blogsecretdefense/Formidable--Le-prix-de-l-A400M-a- augmente-de-50_a12.html
(3) http://www.bruxelles2.eu/marches-de-defense-industrie/airbus-a400m/la-fin-du-calvaire-pour-la400m-premiere-livraison-prevue-en-2013.html
(4) « Défense - Accord sur le financement de l'A400M », Reuters, 5 novembre 2010.
(5) « A400M : EADS boucle enfin l'accord avec les Etats clients », Bruno Trevidic, Les Echos, 8 novembre 2010.
Edouard Pflimlin est journaliste