par Philippe Herzog, le vendredi 19 novembre 2010

Beaucoup de Français expriment de la lassitude ou de la frustration à propos de l'Union européenne. Beaucoup projettent sur l'Europe leur malaise intérieur et leur peur des réformes. Ce n'est pourtant pas le moment de se replier. Il y a beaucoup d'opportunités à saisir et mieux à faire que démotiver la jeunesse.


Certes, l'Union européenne n'est pas un paquebot qui file sur une mer tranquille. Masquer les problèmes ne rassure personne. M. Barroso a tort d'affirmer que « nous avons apporté une grande partie des solutions requises » pour surmonter l'épreuve de la crise. Mais l'Union n'est pas inerte. Elle s'attaque au plus pressé : établir une stabilité financière et consolider les finances publiques. Sans stabilité financière, une nouvelle crise nous guette, beaucoup plus tôt qu'on ne pense. Sans réforme des finances publiques et de l'Etat providence, le poids de la dette est insoutenable.

Cela étant, il reste beaucoup de chemin à faire en matière de stabilisation financière. En particulier combattre l'avidité et la course à la rentabilité immédiate des investisseurs financiers, et décider du mécanisme qui les fera payer si une nouvelle crise advient. Quant à l'indispensable rigueur budgétaire, il y a le risque qu'elle soit trop brutale. Ainsi la Commission, et de nombreux gouvernements dont l'Allemagne, veulent ramener la dette publique de tous les Etats dans les prochaines années sous 60% du PIB. Ceux qui n'y parviendraient pas seraient sanctionnés. Cela conduirait à la récession. Les politiques de consolidation budgétaire doivent être profondes mais progressives. Elles exigeront une mutation de l'Etat social, qui d'une façon ou d'une autre nécessitera un consensus des populations.

Mais la stabilité financière et budgétaire n'est que la moitié du programme nécessaire pour sortir de la crise. L'autre, tout aussi difficile, consiste à créer les conditions d'une reprise durable des activités économiques. L'Europe doit investir beaucoup plus et se montrer capable d'affronter la compétition globale. Or, la plupart des pays, Allemagne exceptée, sont en difficulté. Le repli national est la pire des réponses, et le plus sûr moyen de paupérisation. Et une société vieillissante qui ne sait pas intégrer les jeunes se ferme l'avenir.

Des initiatives sont annoncées, qui ouvrent de véritables opportunités. La première est un pacte de rénovation du marché intérieur que la Commission proposera dès la fin octobre. Il s'agit de transformer le marché intérieur en camp de base pour les entreprises européennes dans la mondialisation et bâtir le socle d'une nouvelle croissance de la création et de la production. En même temps un renouveau de l'investissement social et du dialogue social serait possible. Associé à ces travaux dans un rôle de conseil du commissaire, je veux souligner ici la détermination politique de Michel Barnier. Un débat public d'envergure va s'ouvrir. Plusieurs mois de consultation intense sont proposés. Il y a bien longtemps que la Commission n'avait pas fait une telle offre en direction de la société civile et des citoyens. Participer est un impératif et j'appelle tous nos lecteurs à le faire. Ce qui est en jeu ? De nouvelles politiques industrielles, une réorientation de la finance vers l'investissement de long terme, une coordination fiscale, un développement d'infrastructures d'intérêt européen, une réévaluation de la place des services publics, l'anticipation des restructurations, de meilleures conditions pour la mobilité des travailleurs en Europe. Sur cette multiplicité de fronts, il y a besoin de l'engagement des entrepreneurs, des syndicalistes, des élus, sur tous les territoires comme au niveau de l'Union. Obtenir l'accord de tous les Etats sera difficile, il faut que les Européens les y poussent.

La réforme du budget européen offre une deuxième opportunité. Le défendre et le réhabiliter est crucial pour la cohésion en Europe. La Commission propose de créer des ressources propres, ce qui est effectivement la condition première de toute solidarité. Elle propose de lancer des euro-obligations, ce qui est la condition du financement des infrastructures communes. Pour réussir, il faudra prouver la valeur ajoutée du budget et de l'emprunt communautaires, que Britanniques, Tchèques, et d'autres, contestent. Et il est impératif d'avancer des propositions ambitieuses de réforme des fonds européens, qui sont actuellement mal ou sous-utilisés.

Si la Commission et le Conseil persévèrent dans leur approche d'un « gouvernement économique » conçu unilatéralement autour de sanctions, si la concurrence prévaut sur la solidarité, il sera plus difficile d'exploiter ces opportunités. Il faut donc interpeler l'Allemagne, qui prône son modèle au déni des différences historiques et des difficultés spécifiques de chacun ; la Grande-Bretagne, qui ne cesse de répéter que la compétition suffit à tout ; et la France, en pointe dans l'action face à la crise en 2008, mais en repli défensif depuis. Contre les replis, c'est l'heure des engagements. Contre les dissensions, c'est l'heure de concessions mutuelles inspirées par la volonté commune de réforme.

Edito paru le 11 octobre 2010 dans le n° 92 de Confrontations Europe


Confrontations Europe

http://www.confrontations.org/

Philippe Herzog vient de sortir son dernier livre intitulé "Un tâche infinie.Fragments d'un projet politique européen" publié aux Editiond du rocher

http://www.editionsdurocher.fr

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